Pourquoi certains orthodoxes russes se convertissent-ils à d’autres religions?

Yaroslav Neelov, Ramil Sitdikov, Ilya Pitalev/Sputnik; Pixabay
L’incompréhension des traditions, la pression parentales ou encore l’amour – ce ne sont que quelques raisons qui peuvent pousser les gens à renoncer au christianisme orthodoxe.

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En 2017, par une journée enneigée de janvier, le concepteur de sites Web Evgueni, alors âgé de 38 ans, est allé par habitude assister au service du dimanche. Faisant machinalement un signe de croix à l’entrée de l’église orthodoxe, il y est entré, pénétrant à travers des hordes de vieilles dames mécontentes.

« On a chanté quelque chose en ancien slave, bredouillé, les vieilles m’ont basculé. Puis on m’a dit d’aller acheter une chandelle. Où aller, où mettre la chandelle – aucune idée, c’est ainsi que décrit Evgueni l’une de ses dernières visites à l’église orthodoxe. Puis, le prêtre a directement dit pour qui il fallait voter lors de la présidentielle ».

Comme il l’explique, il a eu l’impression d’avoir reçu un coup « de couteau brûlant ». Entouré d’une foule, il ne comprenait plus ce qu’il faisait dans cette cathédrale. C’est alors qu’il a pris la décision d’abandonner l’Église orthodoxe.

D’après un sondage réalisé par le Centre panrusse d'étude de l'opinion publique (VTsIOM), 63% des croyants du pays sont orthodoxes, les 37% restant étant les représentants d’autres confessions. L’étude ne tient pas en compte les athées. Ceci dit, l’enquête ne livre aucune information sur le nombre de Russes ayant renoncé à l’orthodoxie en faveur d’une autre foi.

Coercition et résignation

66% des orthodoxes du pays ont été baptisés encore enfants, sur décision de leurs parents, indique le VTsIOM.

Evgueni ne fait pas exception à la règle : baptisé à son plus jeune âge, il s’est régulièrement rendu à l’église avec ses parents. Lorsqu’il avait 25 ans, sa sœur a péri (il n’explique pas la cause de son décès). Un an plus tard, il s’est séparé de sa première épouse. C’est alors qu’il a commencé à se poser des questions liées à la foi.

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« J’ai commencé à me rendre aux monastères et églises et à poser toute sorte de questions : pourquoi il faut prier, que signifie le service et ce qu’il donne. Pourquoi le prêtre nous dit d’être humbles et de jeûner alors qu’il est lui-même pompeusement habillé ? On ne me donnait pas de réponses, m’envoyant prier ou lire la Bible. L’orthodoxie a commencé à me repousser à cause de mon comportement et de mon attitude », se souvient-il.

Une telle approche peut être liée à une forte occupation des prêtres. Comme l’a expliqué le métropolite Illarion de Volokolamsk à l’antenne de l’émission Église et monde, le travail ne leur laisse même pas de temps pour leur famille.

L’hiéromoine Alexandre Mitrofanov partage son avis :

« Le prêtre peut être sujet à la fatigue, à la saturation et à l’épuisement ainsi qu’au manque de temps. Aussi, il peut tout simplement manquer de talent, explique-t-il. Et parfois les gens cherchent tout simplement un coupable – on ne m’a pas suffisamment aimé, donc je me suis orienté vers des adeptes d’une secte ».

Evgueni s’est converti au catholicisme lorsqu’il a déménagé avec sa nouvelle épouse et leurs deux filles dans un nouvel appartement, situé non loin d’une église catholique.

« Nous sommes entrés pendant un office. J’ai été surpris de voir tant de jeunes à l’intérieur. Tout le monde comprend le sens de la prière et personne ne te regarde de travers. Je n’oublierai jamais l’exaltation et le sentiment d’unité alors éprouvé, bien qu’on n’ait même pas pris part à la prière. Ensuite je suis allé voir le prêtre qui m’a demandé si je ne me fuyais pas moi-même. J’ai été foudroyé », se souvient-il.

Après cela, son épouse et lui ont écouté un cours sur l’histoire de la formation de l’Église catholique et un délai leur a été accordé afin qu’ils pèsent bien leur décision. Un mois plus tard, ils ont été initiés.

Comme Evgueni l’explique, ce qui l’attire dans cette Église, c’est l’ouverture et la volonté de répondre à toute sorte de questions.

« Nous n’avons pas encore pris l’habitude de toutes les fêtes, mais lors de chaque office, on nous explique de quelle fête il s’agit, ce qu’elle signifie et pourquoi elle est importante. On n’envisage pas de changer d’avis, notre décision a été bien pesée », résume-t-il.

Chaînes ôtées

Iouri Vachourine, ce professeur d’anglais et de chinois âgé aujourd’hui de 25 ans, a renoncé à l’orthodoxie à 19 ans, pour embrasser le bouddhiste. Baptisé à l’âge de 3 ans, il est devenu servant d'autel à 10 ans seulement. Très timide et renfermé, il n’avait pas d’amis à l’école.

« On m’amenait régulièrement à l’église, on me communiait, me disait de jeûner et de prier le matin et le soir. Comme les enfants ne possèdent pratiquement pas d’esprit critique, je percevais tout cela comme quelque chose d’absolument indispensable », raconte le jeune homme.

Adolescent, il a commencé éprouver de l’irritation à l’égard de « l’autoritarisme de l’Église orthodoxe ».

« Je devais observer les rituels juste parce que les prêtres et Dieu le voulaient. Ensuite, j’ai commencé à me pencher sur la pertinence de plusieurs rites et prescriptions », explique-t-il.

Quant à ses parents, avec du temps ils ont commencé à s’intéresser aux sectes para-orthodoxes.

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« Ils attendaient tout le temps l’avènement de l’Apocalypse, croyaient à un complot maçonnique. Afin de ne pas glisser dans les mêmes idées, je suis entré à la faculté d’orientalisme et j’ai commencé à étudier la langue et la culture chinoises. Grâce à cela, je me suis intéressé à l’Asie de l’Est, où le bouddhisme joue un rôle important », explique Iouri.

Il explique qu’il a été attiré par le côté « discret » de la religion et par un attachement mois important aux textes sacrés. N’ayant pas trouvé de temples bouddhistes dans sa ville natale, Iouri a commencé à étudier tout seul les livres bouddhistes et à pratiquer la méditation.

« J’ai beaucoup aimé qu’il ne fallait pas croire aveuglement à ce que disait Bouddha, mais qu’il faut avant voir si cela te convient. Je n’ai rien vu de tel auparavant, dit-il. Heureusement, les parents ont cessé d’être fanatiques et juste les prêtres locaux ont commencé à me considérer comme étant un rebelle. Mais j’ai eu l’impression que des chaînes avaient été ôtés. J’ai commencé à vivre sans cette pression désagréable, devenant plus ouvert au monde. Bref, je suis devenu une personne normale ».

Religion pour (et contre) les femmes

Daria Khmeleva, cette châtaine fine, aura bientôt 18 ans. Toutefois, sur les réseaux sociaux, vous ne la verrez pas sur des photographies de soirées. D’ailleurs, vous ne verrez même son visage sur aucune photo. Elle tourne son dos aux caméras et range ses cheveux sous un voile. À côté d’elle, on peut voir un jeune homme, apparemment musulman. Sur la page de ce dernier sur le réseau social VKontakte, on peut lire que la jalousie est la qualité des fidèles. Quant à sa page à elle, elle est remplie de publications reprises aux communautés musulmanes. La jeune fille s’est convertie à l’islam l’année dernière, et ce, contre la volonté de ses parents.

« On m’a baptisée lorsque j’avais 5 ans environ. J’étais tellement heureuse. Je portais une croix, mais un jour elle s’est cassée. Il se peut que cela ait été un signe », dit Daria.

Ses parents ont toujours critiqué les musulmans pour leurs règles jugées trop strictes et Daria leur faisait confiance. Mais à l’âge de 14 ans, elle a décidé de voir s’ils avaient raison. À l’école, elle a décidé de faire une présentation sur l’islam, voulant en apprendre plus sur cette religion vue par ses proches comme étant « incorrecte ». 

« Je garde toujours cette présentation. La première chose qui m’a étonnée et attirée – la femme dans l’islam n’est ni une servante, ni une esclave comme le pensent certains, mais un trésor que le mari doit protéger », se souvient la jeune femme.

Son passage à l’islam a pris trois ans.

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« D’abord j’ai commencé à écrire aux musulmans sur les réseaux sociaux. J’ai appris la prière et je cherchais des sœurs capables de m’aider », explique-t-elle.

Ensuite, elle s’est rendue à la mosquée et s’est convertie. Est-ce son copain qui l’a persuadée de devenir musulmane ? Daria refuse de répondre. Comment ses parents et sa sœur ont-ils réagi ? Elle ne le dit pas non plus, se contentant d’affirmer que cette décision a été très lourde pour la famille dans son ensemble, ses parents ayant refusé de la comprendre. La jeune fille explique que pendant les premiers mois elle a hésité, se demandant si elle avait pris la bonne décision.

« Mais dès que je lis le Coran, tous les doutes se dissipent », assure-t-elle.

Les femmes ne sont pas toutes à se convertir à l’islam à cause de l’amour pour un homme pratiquant cette religion, assure Amina (née Aliona), cette écologiste de 29 ans. Elle s’est convertie il y a deux ans, après quelques années d’étude de cette religion.

« En elle-même, la religion est très simple et claire, il n’y a aucune confusion. C’est chez les orthodoxes que Dieu est le père, le fils et Saint-Esprit et il est impossible de comprendre ou d’expliquer quoi que ce soit. L’islam loue tout d’abord une bonne attitude à l’égard des parents et des femmes et c’est important ».

Selon elle, après qu’elle a lu la chahada (attestation de la foi en Allah et son prophète Mahomet), une atmosphère amicale d’harmonie et de joie régnait à la mosquée. Aujourd’hui, elle poursuit son éducation et travaille comme professeur défectologue et espère se marier prochainement. Amina explique que c’est avec « précaution » que ses parents ont réagi face à sa nouvelle foi, mais qu’ils n’ont pas tardé à accepter son choix.

« Il est important que la personne se dirige sciemment vers Dieu. Comment elle parvient à le faire, c’est une autre histoire », assure la jeune femme.

La question n’est pas dans la religion

L’hiéromoine Alexandre Mitrofanov explique que les Russes ne sont pas nombreux à abandonner l’orthodoxie au profit d’autres confessions.

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« Je n’en connais que deux. L’un est devenu vieux-croyant, l’autre est d’abord devenu vieux-croyant, puis s’est converti à l’islam. Mais dans ces cas, à mon avis, ce n’est pas lié à la recherche du sens, mais à l’incapacité de ces personnes concrètes à rester en place », assure-t-il.

Selon lui, la tendance en Russie est plutôt inverse : le nombre de ceux qui se tournent vers l’orthodoxie prévaut.

« Certes, il arrive qu’une personne n’ayant pas compris, n’ayant pas connu l’orthodoxie part. Mais, d’habitude, si la personne comprend l’orthodoxie c’est un amour à vie », résume-t-il.

Dans cet autre article, nous nous intéressons à ces couples russes dont les deux membres sont de confessions différentes.

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