Pourquoi le «wagon commun» peut-il devenir votre pire cauchemar sur les rails de Russie?

Pixabay - gsz/Visual Hunt
Vous pensiez que le platzkart était la plus archaïque des classes de wagon russe? Que nenni. Nous vous ouvrons aujourd’hui les portes d’un territoire où les lois du monde civilisé n’ont plus cours, où les instincts les plus primaires ressurgissent: le wagon commun.

N’ayant jamais tari d’éloges au sujet des trains de nuit russes, appréciant tout particulièrement de parcourir les étendues du pays à leur bord, jamais je n’aurais pu imaginer subir une telle désillusion nocturne dans l’un d’entre eux.

Pourtant, la pire de mes bêtes noires a désormais un nom : « wagon commun » (obchtchi vagon).

Témoignage d’un voyageur désenchanté

Bien qu’ayant d’ores et déjà plusieurs milliers de kilomètres de chemins de fer à mon actif en Russie, ce n’est que récemment que j’ai découvert l’existence de cette fameuse classe de wagon, pour mon plus grand malheur.

Devant me rendre près de la frontière biélorusse, je n’ai tout d’abord eu aucun mal à réserver un aller en platzkart (wagon-couchettes) habituel. Néanmoins, pour le trajet retour, cette option alliant coût abordable et confort suffisant n’était pas disponible, et ne restaient que deux choix : un wagon koupé (à compartiments) hors de prix, ou une mystérieuse variante baptisée « wagon commun ».

Curieux de nature, c’est en réalité avec enthousiasme que j’ai jeté mon dévolu sur cette dernière, avide d’expérimenter cette facette inexplorée du réseau ferroviaire russe, que même de nombreux locaux ignorent. Bien mal m’en a pris.

Gare de Kazan, à Moscou

Le jour venu, en pénétrant dans le wagon à minuit, je me suis mis en quête de la place n°20 indiquée sur mon billet. Néanmoins, le concept m’étant inconnu, j’ai, comme d’ordinaire, porté mon attention sur la numérotation désignant les couchettes inférieures et supérieures. Une erreur de débutant rapidement corrigée par un autre passager, m’expliquant qu’il convenait ici de prendre en considération les chiffres correspondant aux places assises.

Schéma des plaques de numérotation présentes près de chaque banquette

En effet, à l’achat d’un billet en wagon commun, contrairement aux autres classes, il est impossible de sélectionner sa place : toutes étant identiques, assises, elles sont réparties de manière aléatoire. Il faut comprendre qu’il s’agit généralement de wagons platzkarts classiques, même si des koupés et SV (luxe) peuvent également faire office de wagons communs, où les couchettes supérieures ne sont pas réservables, mais où les inférieures sont attribuées à trois personnes chacune au lieu d’une seule. Cela permet ainsi d’augmenter d’un tiers le nombre de passagers, qui passe donc de 54 à 81.

Cette surprenante pratique remonte à la perestroïka, période de réformes lancées à la veille de la chute de l’URSS, lorsque de nombreux secteurs économiques se sont retrouvés en proie à de profondes difficultés. Le ferroviaire n’ayant pas fait exception, dans un souci de meilleure rationalisation des coûts, l’accent a alors notamment été placé sur un remplissage optimal des trains, ceux de nuit inclus. Aujourd’hui, la santé financière de cette industrie en Russie s’étant rétablie, ces wagons ne se rencontrent plus que très rarement, mais continuent toutefois de circuler sur certaines lignes.

Le service y est d’ailleurs minimum : ici, ne vous seront remis ni matelas ou oreiller, ni drap ou couverture, tandis que ne vous seront proposés ni victuailles ou souvenirs. Seuls des verres pour les boissons chaudes sont à disposition. Un confort d’autant plus sommaire que les wagons prioritairement affectés à ce service sont ceux présentant des problèmes techniques ainsi que les plus anciens modèles. Ne soyez donc pas étonné si l’un des sanitaires est condamné, si la climatisation et le chauffage sont absents, si les fenêtres ne s’ouvrent pas, ou si les prises électriques ne fonctionnent plus.

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Dure loi de la jungle

Aussitôt ma place enfin repérée, une vieille femme installée sur la même banquette que moi m’a cependant gentiment suggéré de m’emparer d’une couchette supérieure voisine encore libre. Ravi à l’idée de pouvoir rejoindre les bras de Morphée, je n’ai malheureusement pas réalisé qu’il s’agissait en vérité d’une tactique bien rodée de cette babouchka des plus rusées.

En effet, bien qu’ayant pu m’allonger et fermer les yeux quelque temps, suite à un arrêt, j’ai soudain été réveillé par une passagère tout juste montée à bord et dont la place se situait sous ma couchette, ce qui lui donnait la priorité pour jouir de mon lit de fortune. Un droit qu’elle n’a donc pas tardé à faire valoir.

Descendant de mon perchoir, je suis par conséquent retourné à ma place n°20, où dormait à présent cette même grand-mère qui m’avait stratégiquement redirigé. Après avoir passé quelques interminables minutes assis et somnolant au bord de la banquette, près de ses pieds, j’ai finalement pris la décision désespérée de me coucher par terre, le long de sa valise. Un autre passager en détresse avait quant à lui choisi de se hisser sur l’étagère surplombant la couchette supérieure, où sont généralement entreposés bagages, matelas et couvertures.

Rapidement néanmoins, prise de pitié à mon égard, une deuxième sexagénaire est venue à mon secours, me proposant d’occuper sa banquette pour dormir un peu, tandis qu’elle irait s’asseoir plus loin, s’étant suffisamment reposée. Une éclaircie qui ne sera que de courte durée, puisqu’un voyageur ayant assisté à la scène se manifestera dans la minute, expliquant qu’il s’agissait en réalité de sa banquette, et non de celle de ma bienfaitrice, et qu’il souhaitait donc en profiter.

Conclusion de ce joyeux remue-ménage, vers 3 heures du matin, j’ai finalement pu prendre place sur la couchette que cet homme occupait en attendant que ne se libère la sienne, et m’y allonger jusqu’à la fin du trajet, aucun autre passager n’ayant réclamé la place qui lui était due.

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Astuces de survie

Si vous souhaitez réserver  un voyage sur le site de la compagnie des Chemins de fer de Russie et que ne s’offre à vous que l’option du wagon commun, ne paniquez pas. Cliquez sur la petite croix rouge en haut à droite de votre écran, prenez une grande inspiration et faites un trait sur vos projets de périple.

Non, plus sérieusement, ce n’est pas si terrible que cela. Il suffit simplement d’y être bien préparé et les conseils suivant vous aideront à traverser cette épreuve :

- Munissez-vous d’un coussin et d’une couverture de voyage. Si vous parvenez à obtenir une place allongée, ils vous permettront de passer confortablement la nuit.

- À votre entrée dans le wagon, n’examinez que la série de chiffres du bas pour trouver votre place.

- N’écoutez en aucun cas les passagers vous proposant de quitter la banquette vous ayant été attribuée pour en rejoindre une autre libre, il s’agit certainement d’une ruse.

- Si vous occupez une place qui n’est pas la vôtre, attendez-vous à en être délogé par un voyageur monté à une gare intermédiaire.

- Si la couchette située au-dessus de votre place assise est libre, emparez-vous en avant qu’un autre ne le fasse.

- Une fois allongé dessus, faites semblant de dormir profondément, même si l’on vous secoue violemment. Il s’agit sûrement de l’un de vos voisins de banquette qui souhaite s’y reposer à tour de rôle.

Dans tous les cas, rappelez-vous que, comme Maupassant l’avait écrit : « Le voyage est une espèce de porte par où l’on sort de la réalité comme pour pénétrer dans une réalité inexplorée qui semble un rêve », cette nuit en wagon commun ne sera bientôt plus qu’un songe aussi brumeux que lointain.

Dans cet autre article, nous vous décrivons pourquoi le trajet en wagon-couchette russe est un voyage en soi.

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