Vivre en résidence universitaire russe: le quotidien d’étudiants internationaux à Moscou

Les étudiants internationaux de Plekhanov dans la salle commune de l'obchejitie

Les étudiants internationaux de Plekhanov dans la salle commune de l'obchejitie

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En échange universitaire, le choix du logement n’est pas toujours libre, et les internats sont parfois la solution la plus commode et économe. En Russie, les «obchtchejitié» sont un concentré de ce que cette vie peut apporter de pratique, de convivial, mais aussi parfois de décontenançant, voire d’absurde. Pour Russia Beyond, des étudiants internationaux livrent leurs témoignages, permettant de mieux comprendre ce que vivre en obchtchejitié veut dire.

Vivre dans un logement universitaire n’est jamais chose totalement aisée, ni instinctive : l’intimité y est forcément mise entre parenthèses, la vie en commun nous rappelle à certains détails importants, et le confort n’est pas toujours au rendez-vous. Nulle chance que les cités U russes, les fameux obchtchejitié, ne dérogent à la règle. Plus encore, ils sont un symbole de la Russie, un concentré de ce qu’elle peut offrir de rigidités administratives, d’incompréhensions, d’absurde parfois, mais aussi de belles expériences, de rencontres et de souvenirs mémorables. Étudiant à Moscou pendant un an, j’ai vécu dans l’un d’eux, y ai rencontré des personnes de toutes les nationalités et me suis lié d’amitié avec certaines, qui ont accepté de me livrer leur témoignage pour tenter de donner à voir ce que les internats russes ont de si particulier, de décrire à quel point ils sont indescriptibles.

Nastia, Natacha, Hekmat, Jules, Vanella, Yanis et Agathe

Quand l’adaptation fait loi

Notre obchtchejitié, situé non loin du centre de Moscou, comporte 16 étages, majoritairement occupés par des étudiants russes, dont deux réservés aux étudiants internationaux en échange universitaire. Chaque étage comprend une cuisine commune ainsi que deux lave-linges, et 14 blocs. Ces derniers sont tous similaires : une chambre de deux personnes, une de trois, ainsi qu’une salle de bain commune à ces cinq résidents. Une chose est sûre : en y arrivant pour la première fois, on sait qu’on y sera déstabilisé et qu’on y fera des découvertes. Quelles qu’elles soient.

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Jules, étudiant français en langues étrangères, raconte par exemple son arrivée, le premier soir : « Je n’étais pas prêt à ça. Je suis arrivé assez tard, j’étais seul et je faisais partie des premiers arrivés. C’était un peu difficile. Puis dans le bureau, dès les premières minutes, j’ai vu l’administratrice écraser un énorme cafard qui passait sous sa chaise, sans paraître plus inquiétée que cela ».

Mais ces impressions varient évidemment selon l’origine et selon les expériences précédentes de chaque étudiant. Pour Lu Jie, étudiant chinois ayant vécu dans un internat dans son pays avant d’arriver en Russie, cette résidence est « plutôt propre, petite mais chacun possède un espace suffisant », ce que l’on comprend aisément lorsqu’il précise qu’il vivait auparavant dans une chambre de taille équivalente aux nôtres mais hébergeant 5 étudiants au lieu de 3.

Lu Jie

Le choc culturel est aussi souvent mis en avant par les étudiants pour justifier leur temps d’adaptation parfois difficile. « On se retrouve confrontés à des personnes de tous les horizons et nationalités, c’est génial, confie Natacha, une Française, Mais cela requiert de s’adapter, de pouvoir facilement parler anglais aussi ».

Natacha

Bien sûr, très rapidement, ces différences culturelles deviennent une force et un moteur : « Le fait de vivre en communauté et avec des étrangers nous pousse à nous ouvrir et nous donne envie de visiter la ville d’une autre façon, pas seulement en fonction de nos propres centres d’intérêts. Découvrir une immense ville comme Moscou seul demande beaucoup plus d’énergie et de motivation, tandis qu’ici chacun apporte sa contribution et son enthousiasme », affirme Jules.

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Cet enthousiasme se ressent en rencontrant des étudiants russes lors de nos excursions. Désireux de discuter avec nous, ils nous demandent très souvent les raisons de notre présence ici, parfois en insistant sur le fait qu’eux préféreraient étudier en Europe. Plus d’une fois nous avons dû expliquer à quel point il était important pour nous de découvrir la Russie de l’intérieur, et qu’y étudier et y vivre au contact d’autres étudiants nous semblait être le meilleur moyen. Enfin, le loyer en obchtchejitié est extrêmement faible (50 euros par mois environ), ce qui, comparé avec le prix du logement à Moscou, constitue un immense avantage.

Le confort, en revanche, est souvent un point sur lequel les étudiants insistent (en riant), lorsqu’ils évoquent l’obchtchejitié. De nombreuses règles et restrictions sont mises en places et certains le vivent comme un carcan qu’ils regrettent. Parfois, les règles semblent absurdes mais elles sont en réalité toujours légitimées par des expériences passées – dramatiques pour certaines – comme par exemple l’interdiction faite aux étudiants de nouer leurs draps entre eux pour fabriquer une corde grâce à laquelle ils descendraient par la fenêtre… D’autres règles nuisent de temps à autre au bon déroulement de la vie en communauté, comme le fait qu’il faille systématiquement réclamer une clé afin d’ouvrir la buanderie dans laquelle sont disposés les lave-linges, ce qui donne à chaque lessive un aspect de chasse au trésor, les administratrices n’étant pas toujours disponibles sur le moment.

Un foyer d’expériences

Malgré tout, l’obchtchejitié en Russie est le genre de lieux dans lequel il se passe constamment quelque chose. Et si Lu Jie pointe le fait que l’on y soit « tout le temps dérangé », lui et ses amis soulignent tous à quel point il est réjouissant d’avoir en permanence quelqu’un avec qui échanger. En particulier lorsque, en hiver, le soleil se cache dès la fin d’après-midi, si tant est qu’il se soit montré une fois dans la journée, et que les glaciales soirées moscovites nous plongent dans un état mental proche de celui des héros de Dostoïevski.

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Les meilleurs souvenirs se créent donc très souvent avec les personnes rencontrées dans l’obchtchejitié, lors de visites des plus improbables dans des lieux parfois cachés de Moscou, d’autres fois tout simplement à l’occasion de grands repas cuisinés par les plus motivés d’entre nous. Jules et Vanella, fins gourmets français de la bande, mettent d’ailleurs en avant les dîners comme une source principale de la bonne ambiance qui règne au dortoir. Repas arrosés ?

Agathe, Tanguy, Edgar, Victor, Yanis

« C’est vrai que l’alcool est interdit dans le bâtiment, mais de temps à autre nous pouvons en boire pour nos repas, en tant que Français, on a du mal à se passer de vin ! », confie Natacha. Le fait de devoir être très discret en ce qui concerne l’alcool – officiellement prohibé, bien que parfois toléré – crée même des situations mémorables et pousse à développer des techniques imparables afin de passer le contrôle de sécurité, comme « la fameuse technique de la capuche ! » plaisante Vanella, qui tire avantage des grandes capuches des manteaux d’hiver pour y cacher ce que l’on veut : le froid n’a pas que des inconvénients !

Victor et Benedikt (étudiant allemand) au milieu d'autres étudiants préparant un dîner

Une des différences entre les résidences universitaires françaises et l’obchtchejitié tient au fait que, dans ce dernier, les invités ne sont tolérés qu’entre 16 et 23 heures. Les repas préparés pour nos « convives », rencontrés au gré de nos excursions, n’en deviennent donc que plus festifs et conduisent parfois à des situations cocasses, lorsque les agents de sécurité poursuivent les intrus dans les couloirs à 23h01 pour leur signifier qu’il est temps pour eux de regagner leurs pénates. Il arrive parfois même que nous invitions des Moscovites qui, vivant depuis leur enfance chez leurs parents, n’avaient jamais visité d’obchtchejitié auparavant, et sont étonnés de ce qu’ils y voient. Une de mes amies nous a par exemple posé plusieurs fois la question « est-ce la seule cuisine à cet étage ?! », trouvant l’endroit bien trop petit pour y accueillir tant de personnes.

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Un des meilleurs souvenirs de mes compagnons de vie est le repas de Noël : « Comme les Russes ne célèbrent pas Noël comme nous, plutôt que de sortir quelque part, nous avons préféré tout organiser nous-mêmes, comme à la maison ! », raconte Jules, qui pour l’occasion avait réjoui les convives avec ses plats français, qu’il n’oublia pas d’accompagner de l’éternelle vodka locale. Lu Jie a quant à lui fêté son anniversaire à l’obchtchejitié, il y avait convié une bonne partie des étudiants internationaux et se rappelle cette soirée comme l’une des meilleures qu’il ait passées à Moscou. Même les soirées banales peuvent être chaleureuses, après un apéritif et un repas, le traditionnel tchaï à la russe permet de resserrer encore les liens et de partager des moments d’intimité.

Un des inconvénients de cette configuration reste malgré tout le fait que les étudiants internationaux sont peu amenés à côtoyer leurs homologues russes qui vivent dans tous les autres étages du bâtiment. En effet, les cuisines étant partagées à chaque étage, il y a peu d’incitation à aller se balader ailleurs, et même si certains le font parfois et réalisent grâce à cela de belles rencontres, les contacts avec les étudiants russes restent limités.

La pratique de l’anglais est donc très courante, et peut parfois poser problème, notamment avec les administratrices qui le parlent rarement. « Si je n’avais pas été là pour traduire ce que disait l’administration à mes amis ne parlant pas le russe, à certains moments il y aurait pu avoir de sérieux problèmes de compréhension », raconte Nastia, étudiante franco-russe vivant à l’étage des internationaux. Malgré tout, les relations avec les administratrices – assez distantes à notre arrivée – se sont rapidement améliorées et, selon Lu Jie, celles-ci sont « gentilles et responsables, prêtes à nous aider, même si elles sont parfois envahissantes », allusion au fait que, chaque week-end, elles parcourent l’étage afin d’inspecter la propreté et le rangement des chambres.

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Tanguy, Agathe, Vanella, Edgar (au premier plan), Victor et Nastia (au fond)

Finalement la vie en obchtchejitié est le type d’expérience qui ne peut laisser indifférent et engendre nécessairement des rencontres, tisse des liens. Tout ce que l’on apprend dans un obchtchejitié russe, c’est quelque chose que l’on apprend sur la Russie, mais aussi sur nous-mêmes. Sur nos manières de vivre, et sur notre capacité à nous adapter à un pays où les pratiques sont si différentes mais qui a toujours tant à nous apporter. Faire l’expérience de l’obchtchejitié c’est aussi décider de vivre Moscou « de l’intérieur », mais avec des gens qui ne la connaissent pas, c’est-à-dire choisir de la découvrir ensemble. Et être prêt à affronter tous les souvenirs qu’elle peut nous donner.

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