La Russie est-elle prête à avoir une femme présidente?

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ALEXANDR BRATERSKY
Une femme a-t-elle vraiment une chance sérieuse de devenir présidente de la Russie? Si oui, quel genre de personne doit-elle être afin de conquérir le cœur des gens ordinaires? Une jeune beauté saisissante, ou une «dame de fer» sage de la cinquantaine?

Depuis la semaine dernière, Ksenia Sobchak, célébrité flamboyante de la télévision, a annoncé sa candidature à la présidentielle de 2018. Deux autres femmes ont rapidement suivi son exemple. Alors que la Russie est connue pour la beauté féminine, il est encore difficile de dire si le pays est prêt pour élire sa première femme présidente.

Alors que le président Vladimir Poutine n'a pas encore annoncé s'il était candidat en 2018, Sobtchak a d'ores et déjà monopolisé le débat électoral.

« Nous rassemblerons un grand nombre de personnes qui pourraient ne pas être d'accord entre elles et ne pas être d'accord avec moi, mais elles ne veulent pas vivre sous le système actuel », a déclaré Sobtchak lors d'une récente conférence de presse.

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Alors que Sobtchak a par le passé a flirté avec l'opposition et a même organisé une émission sur la chaîne libérale TV Dojd, elle n'est certainement pas une fille lambda. Diplômée de la prestigieuse académie diplomatique MGIMO, elle est la fille unique du défunt maire de Saint-Pétersbourg, Anatoli Sobtchak, qui fut le premier mentor politique de Poutine, alors maire adjoint de la ville.

L'annonce de Sobtchak semble cependant avoir libéré la fierté féminine, incitant d'autres femmes à suivre son exemple. La journaliste Ekaterina Gordon, une ancienne résidente de New York, prévoit également de se lancer dans la course au Kremlin. Moins connue que son mari, l'animateur de télévision sarcastique Alexander Gordon, Ekaterina est une femme très talentueuse et équilibrée. Blonde comme Sobtchak, Gordon est animatrice radio, réalisatrice et même auteur de romans. Sa plate-forme politique se concentrera sur la défense des droits des femmes et des enfants.

La troisième candidate est l'animatrice Anfissa Tchekhova, qui a adopté son nom de scène en l'honneur du célèbre écrivain russe Anton Tchekhov. Alors que l'auteur d'Oncle Vanya est connu pour ses histoires qui scrutent l'âme humaine, la jeune femme portant son nom de famille est plus connue comme l'animatrice de l'émission de télévision Sexe avec Anfisa Tchekhova.

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L'émergence de ces trois femmes en tant que candidates potentielles a créé une profonde fracture entre les différentes couches de la société russe. Alors que certains louent leur courage, d'autres estiment qu'elles transforment la campagne présidentielle en cirque.

«Une tentative de trouver un visage féminin pour la campagne présidentielle devient un genre de casting, un concours de beauté ou quelque chose de proche de l'émission télévisée de l'ère soviétique +Allez les filles+», a écrit Gazeta.ru dans un récent éditorial.

Alors que de nombreux experts disent que l'issue de la campagne sera prévisible si Poutine décide de se présenter, d'autres affirment que ce sera néanmoins une bonne expérience pour ces jeunes femmes et qu'elle leur donnera une chance de susciter un débat national. Obtenir du temps d'antenne gratuit à la télévision et avoir la chance de parler des problèmes du pays devant des millions de personnes est une bonne opportunité pour tout futur dirigeant politique.

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Cependant, le politologue et ancien stratège de campagne Konstantin Kalatchev pense que la troïka féminine actuelle est une « profanation » de la politique : « Les électeurs verront cela comme ça. Bien sûr, si ce ne sont pas des féministes acharnées qui sont prêtes à voter pour n'importe qui juste parce que c'est une femme », a déclaré Kalatchev.

Ce n'est pas tout, cependant. Il est tout à fait possible qu'une autre candidate, Oxana Dmitrieva, membre senior du parti pro-entreprises Partia Rosta (Parti de la croissance), rejoigne la troïka féminine actuelle.

Elle a récemment déclaré aux journalistes que son parti pourrait envisager de la désigner comme candidate. Dmitrieva pourrait être un choix sérieux. Économiste de talent dont les opinions sont proches de la gauche démocratique, elle a travaillé comme ministre du Travail au milieu des années 1990.

Grandes filles, petite voix

Des femmes politiques ont déjà rivalisé pour la présidence de Russie. En l'an 2000, Ella Pamfilova, aujourd'hui à la tête de la Commission électorale de Russie, est devenue la première femme à se présenter aux élections présidentielles en Russie. Bien qu'elle fût une politicienne expérimentée, Pamfilova, de tendance libérale, ne put obtenir que 1% des voix.

En 2004, la charismatique Irina Khakamada, une politicienne russe à moitié japonaise à l'esprit vif et puissant, a suivi son exemple. Sa performance fut bien meilleure que Pamfilova, recueillant près de quatre pour cent des voix.

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Les sociologues disent que dans l'ensemble, l'état d'esprit qui règne en Russie n'est toujours pas en faveur des candidats de sexe féminin. Selon un sondage réalisé en mars 2017 par le Centre Levada, seuls 33% des Russes sont prêts à voter pour une candidate. L'humeur change, cependant, et selon l'enquête la plus récente de l'institut de sondage VTsIOM, 54% affirment que le sexe d'un candidat n'a pas d'importance.

Alexeï Andreïev, directeur associé de l'agence de marque Depot WPF, a déclaré qu'une candidate n'avait que deux stratégies pour essayer de conquérir le cœur et l'esprit du public. La première est de miser sur l'absence de genre.

« La candidate se déclare prête à répondre aux défis externes et à satisfaire toutes les demandes internes. Et elle promet de le faire mieux que les autres candidats », a déclaré Andreïev, qui a ajouté que ceci était commun à de nombreux pays.

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Une autre stratégie consiste à se concentrer sur des questions précises : « La candidate féminine appelle à résoudre les problèmes des autres femmes, des personnes âgées ou des chiens. Cette mission n'a pas de couverture nationale, mais en raison de son attractivité sociale, elle est capable de recruter les électeurs infantiles », a-t-il analysé, ajoutant qu'il pensait qu'aucune de ces deux stratégies ne fonctionnerait en Russie aujourd'hui.

Peut-être que les femmes intéressées par une carrière présidentielle devraient regarder celle qui a atteint le plus haut niveau du pouvoir en Russie. Bien que Catherine la Grande n'ait pas été élue, elle est toujours considérée comme l'une des plus grandes dirigeantes du pays. Même si elle est née princesse allemande de bas rang, elle a poussé de l'avant les réformes économiques, fut un patron des arts et de la science, et a créé une armée forte.

Selon un sondage effectué en mars par le VTsIOM, Catherine la Grande était considérée comme l'une des femmes les plus intelligentes de l'histoire de la Russie. Si elle vivait aujourd'hui, elle aurait probablement eu une solide chance de remporter l'élection présidentielle de 2018.