La Turquie renoue avec la Russie et regarde vers l’Eurasie

Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan.

Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan.

Kommersant
Sur fond de la détérioration de ses relations avec l’Occident et de relance de la coopération avec la Russie, la Turquie remet en question les avantages de l’intégration européenne et évoque un éventuel « tournant vers l’Est ». Selon les experts, la Turquie prend conscience de son identité eurasienne. Dans le même temps, les relations avec Moscou ne sont pas encore rétablies intégralement.

La visite à Moscou le 5 et le 6 décembre dernier du premier ministre turc Binali Yildirim envoie un message clair : Ankara est décidé non seulement à rétablir entièrement ses relations avec Moscou, fortement dégradées après que la Turquie eut abattu un avion militaire russe le 24 novembre 2015, mais encore à assurer leur développement ultérieur.

Ainsi, Binali Yildirim a déclaré que les deux pays pourraient porter leurs échanges commerciaux à 93 milliards d’euros et a estimé nécessaire d’œuvrer dans ce sens (selon les données du journal des milieux d’affaires russes Kommersant, le chiffre n’a été que de 21 milliards d’euros en 2015).

Entretemps, le président turc Recep Tayyip Erdogan a ratifié l’accord sur la construction du gazoduc Turkish Stream, le plus important projet énergétique russo-turc.

Les problèmes

Toutefois, il est évident que les relations russo-turques ne sont pas rétablies dans leur intégralité. L’interdiction d’exporter vers la Russie le régime de visas pour les citoyens turcs. En outre, les positions politiques des deux pays divergent sérieusement au sujet de la situation au Proche-Orient : la Russie soutient le régime du président en exercice Bachar el-Assad, tandis que Recep Tayyip Erdogan appelle à le renverser.

Les experts font remarquer que la Russie lie la relance des rapports économiques au progrès politiques. « Tant que les problèmes politiques et les questions de la sécurité demeureront, il sera impossible d’évoquer un rétablissement intégral des relations », a indiqué à RBTH Vladimir Avatkov, professeur à l’Institut des relations internationales de Moscou et directeur du Centre des études orientalistes. C’est d’ailleurs à cause du danger lié au terrorisme en Turquie que la Russie n’abroge pas pour l’instant le régime des visas. Le dossier syrien revêt également une grande importance, a-t-il ajouté.

Relance de la coopération

La Turquie subit un préjudice plus important que la Russie à la suite du rétrécissement des contacts économiques bilatéraux, a affirmé Youri Mavachev, du Centre d’études de la Turquie moderne. « Selon les données existantes, les pertes de Moscou ne sont pas aussi importantes que celles de la Turquie suite à l’embargo sur les produits alimentaires. La Russie a réussi à se réorienter vers d’autres fournisseurs », a-t-il constaté.

Toutefois, les deux pays réalisent clairement que la coopération doit être rétablie, estiment les experts. « À en juger d’après les déclarations à l’issue des négociations (entre Binali Yildirim et les responsables russes), Moscou et Ankara se sont entendus sur les modalités et les délais de la levée des sanctions imposées à la Turquie », a fait remarquer Youri Mavachev. Pour Vladimir Avatkov, la ratification de l’accord sur Turkish Stream prouve que les relations économiques seront progressivement rétablies.

L’éventuel tournant eurasien de la Turquie

L’amélioration des rapports russo-turcs va de pair avec le déclin des relations entre la Turquie et l’Occident, surtout après la tentative de coup d’État dans le pays, les 15 et 16 juillet 2016, et les arrestations de masse parmi l’opposition et les journalistes. L’UE a sévèrement critiqué Recep Tayyip Erdogan, allant jusqu’à poser la question d’une éventuelle introduction de sanctions contre Ankara. Le président turc a alors mis en doute la poursuite du dialogue sur l’adhésion de son pays à l’UE.

Le 20 novembre dernier, Recep Tayyip Erdogan a déclaré qu’au lieu de l’UE, la Turquie pourrait adhérer à l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), groupe d’intégration mené par la Russie et la Chine. À l’heure actuelle, Ankara possède le statut de partenaire de dialogue au sein de l’OCS. Pour les experts, le président turc marchande avec Bruxelles tout en examinant réellement la possibilité d’une intégration eurasienne pour son pays.

« Ankara s’intéresse depuis plusieurs années à l’OCS, a rappelé Youri Mavachev. La Turquie ne s’est jamais considérée comme un pays exclusivement occidental. C’est évident aussi bien pour les Européens que pour les Turcs ». D’après lui, l’adhésion de la Turquie profiterait également à l’OCS du point de vue économique : « Le potentiel de la Turquie est énorme : ressources économiques et humaines, couloirs de transport, hubs et échangeurs ».

« La Turquie en a apparemment assez de frapper à la porte de l’UE, souligne Vladimir Avatkov. Elle se déplace de plus en plus vers le centre, s’orientant en même temps vers l’Occident et l’Orient, elle se définit comme un centre eurasien d’attraction ». Ce qui est profitable à la Russie, car Ankara abandonne sa politique exclusivement pro-occidentale. Mais cela recèle également un risque, car la Turquie pourrait vouloir renforcer son influence dans les pays ayant par le passé fait partie de l’URSS, a-t-il noté.

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