Bachar al-Assad (à gauche) et Tayyip Erdogan (à droite) en 2010.
ReutersLors de son intervention au symposium économique qui s’est tenu à Istanbul le 29 novembre, le président turc Recep Tayyip Erdogan a à l’improviste fait une déclaration détonante : « Nous sommes venus en Syrie [les troupes turques sont présentes au nord de la Syrie depuis août 2016] pour mettre fin au règne du tyran cruel Bachar al-Assad, qui a instauré un terrorisme d’État dans son pays ».
Dans la soirée du 30 novembre, l’administration Erdogan а fait savoir qu’il ne fallait pas prendre les propos du président au pied de la lettre, mais ceux-ci avaient déjà suscité une vive réaction.La déclaration du président turc détonne d’autant plus que Moscou est l’un des principaux alliés du président syrien Assad. Les relations entre les deux pays sont toujours en cours de rétablissement depuis l’incident du 24 novembre 2015, lorsque la Turquie avait abattu l’avion militaire russe Su-24, et la perspective d’une nouvelle confrontation en Syrie ne réjouit personne.
C’est la première fois que Recep Tayyip Erdogan mentionne directement sa lutte contre le président syrien. Auparavant, la Turquie mettait en avant son combat contre Daech en Syrie. L’attaque soudaine pourrait s’expliquer par la mort récente de trois soldats turcs dans le nord de la Syrie, probablement suite à un bombardement syrien, estime Iouri Mavachev, directeur du département politique du Centre d’étude de la Turquie contemporaine.
Les soldats turcs sont morts le 24 novembre, un an jour pour jour après l’attaque contre Su-24 russe, dans un bombardement près de la ville d’Al-Bab dans le nord de la Syrie. La Russie nie son implication dans cet incident, alors que les autorités syriennes restent silencieuses. Iouri Mavachev précise que la Turquie accuse la Syrie pour la mort de ses soldats, ce qui expliquerait la déclaration du président turc. « Ergodan ne peut laisser cet incident sans réponse aux yeux de ses alliés. Il veut les rassurer que tout se déroule comme prévu et que la Turquie ne reculera pas sur la Syrie », poursuit l’expert.
D’autres versions peuvent expliquer les propos du président turc sur le renversement d’Assad. Ainsi, Vladimir Avatkov, directeur du Centre d’études orientales, souligne que la rhétorique belliqueuse est un moyen pour le président turc de resserrer les rangs de ses troupes et une tentative de faire pression sur les alliés d’Assad, à savoir la Russie et l’Iran. Il veut pousser ces deux pays à faire des concessions sur la question syrienne, estime le directeur.
Le spécialiste de la Turquie Victor Nadeïne-Raïevski, directeur de recherche à l’Institut de l’économie mondiale et des relations internationales auprès de l’Académie russe des sciences, nous explique : « Je dirais que c’est une crise de nerfs d’Erdogan, une déclaration purement émotionnelle. C’est un homme impulsif ». Nadeïne-Raïevski estime que le leader turc aurait pu être dérangé par les derniers succès de l’armée syrienne à Alep, où les insurgés soutenus par la Turquie subissent des pertes.
Vladimir Avatkov rappelle qu’Erdogan a constamment critiqué Assad, même avant ses propos du 29 novembre. « Depuis le début du conflit, la Turquie appelle à une transformation du régime syrien, nous explique l’expert. La Turquie est l’un des premiers pays à avoir proclamé qu’Assad était un dictateur et devait partir ». Ainsi, les propos du président turc s’inscrivent dans le prolongement de sa politique, d’autant que les armées syrienne et turque sont dangereusement proches l’une de l’autre dans le Nord de la Syrie.
Cependant, Iouri Mavachev doute que ces deux pays se lancent dans une guerre ouverte. « Damas ne dispose pas du potentiel suffisant pour mener une guerre contre un adversaire aussi sérieux qu’Ankara. Les Turcs non plus ne combattront pas Daech, les Kurdes et Damas en même temps », précise l’expert. Pour lui, seules ses altercations ponctuelles sont possibles, mais une guerre ouverte est exclue.
Les responsables russes ont réagi prudemment aux propos de Recep Tayyip Erdogan. Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères a souligné que cette déclaration n’était pas publique et s’est abstenue de tout commentaire. Le porte-parole du président Poutine a reconnu que cette déclaration « sérieuse » était « inattendue » et a souligné qu’une discussion supplémentaire était nécessaire. Il s’est cependant abstenu de toute critique et a souligné que les présidents Poutine et Erdogan entretenaient « un contact très intensif et ouvert ».
Les spécialistes de la Turquie soulignent que la Russie et la Turquie ont des accords sur la Syrie. La Russie soutient les troupes d’Assad à Alep, la Turquie combat Daech et les Kurdes dans les zones frontalières et les deux pays évitent de pénétrer dans leurs « zones de responsabilités » respectives. « Erdogan ne devrait pas dépasser le cadre des accords, même s’il en montre la volonté », estime Victor Nadeïne-Raïevski, précisant toutefois que le comportement du dirigeant turc était parfois imprévisible.
Iouri Mavachev estime pour sa part que, dans l’altercation entre Damas et Ankara, Moscou cherchera à s’abstenir de toute déclaration ou action forte. « La Russie restera neutre en apparence, préférant les négociations de coulisses avec l’une et l’autre partie », indique Mavachev.
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