Crise entre la Russie et la Turquie : «Heureusement, c’est fini !»

Vendeur des drapeaux. Istanbul, Turquie.

Vendeur des drapeaux. Istanbul, Turquie.

AP
Les Russes habitant en Turquie et les Turcs habitant en Russie évoquent l’impact des sept mois de crise dans les relations bilatérales sur leur vie.

Efe Tanay, juriste, Moscou

Efe Tanay / Archives personnellesEfe Tanay / Archives personnellesL’incident avec l’avion russe (qui a été abattu en novembre dernier en Syrie par les forces aériennes turques, ndlr) était tout à fait inattendu pour le peuple turc. Nous avions de magnifiques relations avec la Russie et les Russes pendant très longtemps et cette crise a été un choc pour tout le monde et pour moi surtout. En l’espace de quelques heures, ces relations ont volé en éclats et nous sommes devenus des ennemis.

La réaction de Moscou est compréhensible, mais, aux yeux du peuple turc, trop sévère. Les restrictions décrétées par Moscou ont frappé de plein fouet les Turcs qui vivaient depuis longtemps en Russie, qui étaient mariés à des Russes et qui y avaient fondé des familles.

Pour ma part, je n’ai éprouvé aucune attitude négative envers moi. Mes amis russes sont cultivés et bien élevés, ils comprennent qu’il y a la politique et les relations humaines et qu’il ne faut jamais les mélanger. Personnellement, la crise n’a pas eu d’effet sur moi, mais nombre de mes compatriotes ont dû tout abandonner et rentrer chez eux.

Olga Haldiz, journaliste, Istanbul

Olga Haldiz / Archives personnellesOlga Haldiz / Archives personnellesLa crise dans les relations entre Moscou et Ankara a laissé une empreinte plutôt psychologique sur notre famille. Après l’incident, la situation est restée floue et lourde pendant plusieurs jours, personne ne savait comment elle allait évoluer. Puis les deux parties ont commencé à attiser la tension, ce qui était accablant. Les têtes chaudes évoquaient déjà une guerre. Nous, on gardait espoir sans pour autant exclure l’éventualité de devoir tout abandonner pour partir dans un autre pays. On restait dans l’expectative. Notre projet d’aller en voyage en Russie avait capoté.

On voulait faire un tour à Kazan, Nijni Novgorod et Moscou, mais on a dû tout annuler. En ce qui concerne les relations avec nos camarades et amis turcs, elles n’ont subi aucun changement. Non seulement les Turcs n’étaient pas devenus plus durs envers moi, mais mes voisins venaient s’excuser pour le pilote abattu et répétaient : « Les Turcs et les Russes sont frères ». J’ai reçu les excuses d’un membre de la famille de mon mari, pourtant partisan acharné du président Recep Tayyip Erdogan. Tête basse, il me disait que le pilote n’aurait pas dû être abattu, que c’était une erreur. Je n’étais pas la seule à bénéficier d’une telle attitude. Nombre de mes amis russes en Turquie ont vécu des situations semblables. Une jeune fille m’a raconté que le conducteur du bus qu’elle prenait régulièrement l’a fait voyager « de force » gratuitement.

Yusuf Sen, leader de la diaspora turque en Russie, Moscou

Yusuf Sen / Archives personnellesYusuf Sen / Archives personnellesLa crise dans les relations bilatérales a eu des répercussions négatives sur les Turcs habitant en Russie. L’attitude envers les Turcs a changé du jour au lendemain, on cherchait une raison pour les expulser, la télévision diffusait tous les jours des émissions à tendance antiturque. En outre, des perquisitions et des contrôles ont été lancés dans toutes les sociétés turques, dans les maisons et foyers habités par les Turcs. Certains n’ont pas tenu et ont quitté la Russie, d’autres ont été expulsés ou contraints de quitter le pays. La diaspora turque s’est réduite de 10 000 personnes. Avant la crise, la Russie comptait environ 85 000 citoyens turcs. Quelques mois après l’éclatement de la crise, il n’en restait que 75 000.

Personnellement, je n’ai pas eu de problèmes parce que j’ai un permis de séjour en Russie et que j’y ai ma famille. Mais j’essayais de rester le plus possible chez moi. Si je sortais, je ne parlais russe à personne. Je ne suis jamais allé en Turquie pendant ces sept mois de crise. Souvent, les Turcs qui rentraient en Russie d’un voyage dans leur pays étaient retenus pendant plusieurs heures au contrôle des passeports et interrogés. D’autres étaient obligés de rester pendant des heures à attendre, tandis que certains se voyaient interdire l’entrée alors qu’ils avaient tous les documents nécessaires.

Heureusement c’est fini. La tension est levée pour la première fois depuis des mois. Maintenant la situation va s’améliorer, mais il faudra du temps. Suite à cette crise politique, un nombre accru de Russes considèrent les Turcs comme des ennemis et ont envers eux une attitude négative.

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