Les villages antiques du Nord de la Syrie, ou Villes mortes.
Alamy/Legion MediaTimour Karmov, de l’Institut du patrimoine auprès du ministère de la Culture de Russie, a été parmi les premiers civils à pénétrer en avril 2016 sur le site historique de Palmyre, dans les pas de l’armée gouvernementale syrienne. Dès que les extrémistes de Daech ont fui la ville, plusieurs archéologues russes sont venus étudier l’état des monuments de Palmyre.
D’ici la fin du mois d’octobre, Timour Karmov et plusieurs de ses collègues partiront pour une nouvelle expédition en Syrie et se dirigeront dans le Nord, dans la province d’Alep, où la guerre civile fait toujours rage.
L’archéologue russe Timour Karmov. Crédit : Archives personnelles
RBTH : Quel est l’objectif de cette expédition ? Pourquoi dépêcher des archéologues dans des régions de combats ?
Timour Karmov : Nous ne prévoyons pas d’organiser des fouilles. Notre objectif essentiel est de préciser l’emplacement et l’état des ouvrages du patrimoine culturel mondial de l’UNESCO.
Nous devons évaluer sur place l’état de ces monuments, comprendre dans quelle mesure ils ont été touchés par la guerre et rédiger un compte rendu pour l’envoyer à l’UNESCO qui, sur la base de ces données, formulera des recommandations sur les moyens de les préserver.
C’est ce que nous avons fait à Palmyre quand le site a été libéré. Les monuments que nous visiterons maintenant étaient inaccessibles depuis le début de la guerre, car ils se trouvent soit directement dans la zone des hostilités, soit juste à côté.
RBTH : Quels sont les monuments du Nord de la Syrie ?
Timour Karmov : Leur appellation officielle sur la liste de l’UNESCO est Villages antiques du Nord de la Syrie. Il s’agit de plusieurs centaines de bâtiments dans une quarantaine de villages éloignés les uns des autres, mais regroupés au sein de huit parcs dont quatre sont situés dans les territoires sous contrôle des terroristes. Nous travaillerons dans les quatre autres.
L’un des parcs se trouvait directement sur la ligne des hostilités entre les Kurdes syriens et les extrémistes du Front al-Nosra et le risque de destructions y est très grand. Or, c’est ici que se trouve l’église Saint-Siméon-le-Stylite qui est un bâtiment très important pour le patrimoine chrétien en général et orthodoxe en particulier.
Nous nous rendons dans la région où les chrétiens ont été nommés chrétiens pour la première fois de l’histoire, dans la région des premiers monastères et églises. C’est ici, en Syrie, que la tradition orthodoxe a déployé ses ailes. Et je pense que pour la Russie (dont 75% de la population se dit orthodoxe), ce n’est pas seulement le patrimoine culturel mondial, c’est aussi quelque chose de personnel.
RBTH : Il s’agit essentiellement de monuments de la période du haut Moyen Âge ?
Timour Karmov : Pas seulement. La région conserve des vestiges de l'Antiquité tardive et de l'époque byzantine. Par exemple, le temple d’Ayn Dara de la période néo-hittite est un exemple éclatant de l’architecture du Xe siècle av. J.-C. qui a été découvert par des archéologues européens, notamment français.
RBTH : Serez-vous accompagnés en Syrie de collègues étrangers ou est-ce une expédition purement russe ?
Timour Karmov : C’est une expédition russe. Elle se tiendra sous les auspices de l’Institut du patrimoine qui a décidé de superviser l’état des vestiges, étant donné qu’il est tout simplement impossible de faire venir aujourd’hui des experts internationaux en Syrie. Personne ne prend le risque d’y aller. En outre, les Russes y sont plus facilement admis grâce aux relations privilégiées entre Damas et Moscou. Notre sécurité sera assurée par le ministère russe de la Défense.
L’une de nos missions les plus importantes sera de vérifier les rumeurs sur la destruction de plusieurs monuments dans le Nord. Les informations sont très contradictoires : les sources de l’opposition accusent les forces aériennes syriennes d’effectuer des frappes contre les régions concentrant du patrimoine culturel et publient des photos d’ouvrages détruits. Mais faut-il leur faire confiance ? Il se peut que ce soit de la désinformation et il est indispensable de faire le point de la situation sur le terrain.
RBTH : Globalement, comment évaluez-vous l’état des monuments culturels en Syrie ? Y a-t-il des progrès ?
Timour Karmov : Je ne voudrais pas estimer le patrimoine culturel en termes de progrès ou de régression, compte tenu de la situation dans le pays. Les autorités syriennes essaient d’être le plus efficaces possible : dès qu’elles le peuvent, elles font sortir des collections et des ouvrages des villes, mais elles sont obligées de laisser les biens immeubles.
Vous vous souvenez encore des tragédies qui se sont déroulées notamment à Palmyre quand la ville se trouvait sous le contrôle de Daech : l’archéologue syrien Khaled Al-Asaad, l’ancien directeur de l’un des plus beaux sites gréco-romains du monde, a été assassiné par les islamistes alors qu’il tentait de prévenir les destructions. Ensuite ses bourreaux ont détruit des monuments de manière démonstrative.
Aujourd’hui, Daech a d’autres problèmes. Au moins de ce point de vue-là, la situation s’est stabilisée, mais il est encore trop tôt pour parler d’expéditions ou de travaux de restauration, car il faut avant tout que les hostilités prennent fin. Pour le moment, tout ce que nous pouvons faire, c’est assurer le monitorage.
RBTH : Reste-t-il encore des monuments du patrimoine culturel de l’UNESCO dans les territoires déchirés par la guerre ?
Timour Karmov : Bien sûr. Outre le Nord de la Syrie, il y a également la vieille ville d’Alep en proie à des combats acharnés ou encore Bosra dans le Sud.
Toutefois, le gouvernement a repris le contrôle de certains autres vestiges comme le Crac des Chevaliers, château fort datant de l'époque des croisades, ou la citadelle Qal’at Salah El-Din. Ils ont été libérés avec un minimum de dommages, moindres que Palmyre : les dégâts ne sont évalués qu’à quelques pour cent.
RBTH : La situation en Syrie est très compliquée : le gouvernement et l’opposition se livrent bataille, la Russie et l’Occident croisent le fer verbalement. Est-ce que ce conflit se ressent dans le monde international de la culture et de la science ?
Timour Karmov : Toute structure internationale est influencée par la conjoncture politique, mais l’UNESCO est, à mon avis, moins concernée que les autres. Les différends sont présents, mais ils sont moins saillants que dans les autres domaines. L’agressivité n’existe pas, il n’y a qu’une certaine compétition dans le secteur scientifique, qui ne cause aucun dommage. Au contraire, elle aide à préserver et étudier le patrimoine culturel.
Même en pleine confrontation avec l’Occident, la coopération scientifique appliquée est très peu concernée par les sanctions. Nous communiquons et nous essayons d’assister aux conférences des collègues. Tout le monde est intéressé par la coopération en Syrie, notamment les experts européens, surtout les Français. Je crois même que notre unité dans l’aspiration à préserver le patrimoine culturel pourrait servir de pont, de point de jonction dans le processus de négociations.
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