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Comme le montre leur présence dans de nombreux films soviétiques à partir des années 1960, les distributeurs d’eau plate gazéifiée faisaient à la belle saison partie du quotidien des citadins soviétiques.
Origines
L’idée de gazéifier de l’eau plate remonte à la seconde moitié des années 1760. Le chimiste suédois Torbern Olof Bergman mit au point un procédé de gazéification de l’eau en 1766. L’année suivante, le Britannique Joseph Priestley proposa une technique différente. L’horloger suisse Johann Schweppe la reprit, la développa et la fit breveter en 1783. À partir du milieu du XIXe siècle, la fabrication d’eau gazeuse se démocratisa, ce dont témoigne la production croissante de siphons.
En URSS, la première mention d’un distributeur d’eau gazeuse date du 16 avril 1932. On pouvait alors lire dans le quotidien Vetchernaïa Moskva (Вечерняя Москва) qu’un certain « Agrochkine, ouvrier à l’usine Viéna a[vait] inventé un appareil intéressant. [...] Le premier "Saturateur" fabriqué a[vait] été installé à la cantine de Smolny ».
Si l’entrefilet paru dans le quotidien promettait à l’invention d’Agrochkine un bel avenir, il fallut attendre la fin des années 1950 pour que « [son] appareil soit fabriqué en grand nombre ».
Essor
Dans les années 1930 et 1940, une quarantaine de brevets furent délivrés pour des distributeurs d’eau plate ou gazeuse. Si plusieurs appareils furent installés à la fin des années 1930 à Moscou et Leningrad, l’expérience n’eut pas de suite immédiate.
En mai 1958, un distributeur d’eau gazeuse fut placé dans un magasin de boissons de Kharkov. Il s’agissait du modèle AT-26 Kharkov, ainsi nommé parce qu’il était fabriqué dans une usine de cette ville d’Ukraine soviétique.
Deux événements précipitèrent ensuite la fabrication et la diffusion de ces distributeurs en URSS. D’une part, l’exposition nationale américaine organisée au parc Sokolniki de Moscou durant l‘été 1959. Outre la cuisine équipée par General Electric, où eut lieu « le débat de la cuisine » entre Nikita Khrouchtchev (1894-1971) et Richard Nixon (1913-1994), étaient exposés des distributeurs de boissons américains. Et, d’autre part, la visite que fit aux États-Unis le dirigeant soviétique en septembre de la même année.
Dès 1960, les Soviétiques virent apparaître dans les rues de leurs villes, sur leurs lieux de travail et d’études (comme Chourik du film Opération Y dans la cour de l’Institut Polytechnique où il étudie ). La poétesse Bella Akhmadoulina composa cette même année un poème intitulé L’Eau gazeuse.
Selon certaines estimations, on compta jusqu‘à dix mille distributeurs d’eau gazeuse à Moscou et quarante mille dans toute l’URSS. Comme on le voit, par exemple, dans le film de 1963 Je Marche dans Moscou (Я Шагаю по Москве – ia chagaïou pa Maskvié), dans les rues, on en trouvait généralement plusieurs placés côte à côte.
Fonctionnement
Les très nombreux modèles de distributeurs soviétiques fonctionnaient tous sur le même principe. Ils étaient branchés sur les réseaux d’eau et d’électricité de la ville ou de l’institution où ils étaient installés. Si nécessaire, l’eau était refroidie par un système au fréon jusqu’à une température comprise entre 12 et 14°C. Elle était ensuite enrichie en gaz carbonique – celui-ci se trouvait sous pression dans une bonbonne – puis servie au consommateur. Certains modèles étaient conçus pour ajouter du sirop après que l’eau avait été versée. Dix litres de sirop équivalaient à cinq cents portions. Les parfums étaient variés : poire (дюшес – diouchesse), épine-vinette, orange, citron (ситро– citro), prune, crème-soda ou estragon du Caucase (тархун – tarkhoune). L’opération de préparation d’un verre d’eau gazeuse au sirop prenait une vingtaine de secondes au cours desquelles on entendait la machine chanter.
La plupart des distributeurs versaient leur eau gazeuse dans un verre en verre épais. Tous les consommateurs buvaient dans un seul et même verre qu’ils rinçaient avant de le remplir. Ils le posaient, ouverture vers le bas, sur une petite grille qui s’abaissait lorsqu’ils appuyaient sur le verre. Un jet d’eau en nettoyait alors l’intérieur. Du point de vue sanitaire, ce système laissait évidemment à désirer. Ce fut la raison pour laquelle on mit au point des appareils qui distribuaient la boisson dans des gobelets. Ces contenants n’étant pas fabriqués en URSS, l’exploitation de ces machines n’était pas rentable. Les consommateurs soucieux d’hygiène plaçaient sous l‘orifice d’où s‘écoulait l’eau gazeuse le verre en plastique pliable qu’ils avaient toujours avec eux dans leurs sacs. C’était d’autant plus pratique que le verre était souvent dérobé par ceux qui préféraient l’eau ferrugineuse à l’eau gazeuse.
Pour régler cette question, on en venait parfois à attacher les verres aux distributeurs avec un petit anti-vol. Les gens qui craignaient de consommer de l’eau non filtrée et non bouillie s’abstenaient de boire de l’eau à ces distributeurs. Les appareils étaient régulièrement nettoyés avec un mélange d’eau chaude et de bicarbonate de soude.
Prix
De mai à septembre, on pouvait se rafraîchir grâce à ces distributeurs. Pendant la saison froide, ils n’étaient pas enlevés mais placés dans des coffres métalliques. Un verre d’eau gazeuse coûtait un kopeck ; un verre d’eau gazeuse avec du sirop, trois, comme on le voit à la fin du premier épisode de la série télévisée La Grande Récréation (Большая Перемена – Bolchaïa Pirimiéna) tournée en 1972-1973.
À titre de comparaison, un trajet en métro coûtait cinq kopecks. Les enfants à l’esprit inventif comprirent rapidement comment boire du sirop gratuitement : ils accrochaient leur pièce de trois kopecks à un fil, l’introduisaient dans la fente de l’appareil puis la remontaient lentement après avoir entendu le mécanisme de préparation se mettre en marche. Les adolescents ou les adultes qui refusaient de payer leur verre d’eau donnaient un grand coup sur un des côtés des appareils. С’est à peu de chose près la méthode utilisée par le loup du dessin animé Attends un peu voir ! (Ну, погоди! – Nou, pagadi !).
Dans les usines et les casernes de pompiers, l’utilisation des distributeurs d’eau gazeuse sans sirop était totalement gratuite. S’ils le souhaitaient, les ouvriers et les soldats du feu demandaient aux machines de saler légèrement leur eau pour en favoriser la rétention par leur organisme.
D’autres distributeurs, de conception plus simple, servaient des jus de fruits, du kvas et même du vin. Un verre de vin coûtait quinze kopecks. À Moscou, ils n’étaient pas installés dans les rues.
La fin de l’URSS et la vente d’eau embouteillée croissante durant les années 1990 provoquèrent la disparition rapide des distributeurs d’eau gazeuse. Les modes de consommation évoluant et la nostalgie aidant, ces appareils font progressivement leur retour, notamment dans les centres commerciaux.
Dans cet autre article, découvrez comment l’URSS échangeait son mousseux et sa vodka contre du Pepsi-Cola américain.
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