Petite histoire du mariage «soviétique» du père de l’Europe Jean Monnet

Fondation Jean Monnet pour l'Europe, Lausanne
De 19 ans sa cadette, Silvia de Bondini avait déjà un époux et une fille. Et si le divorce était impossible en Italie, il était légal dans la Russie soviétique depuis la Révolution de 1917. Une audacieuse manœuvre internationale a donc suivi.

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Avant de devenir l’homme considéré comme l’un des pères fondateurs de l’Union européenne, le Français Jean Monnet était engagé dans l’affaire familiale de négoce en cognac et dans la haute finance internationale. Au début des années 1930, le destin le conduit à Shanghai, où il se charge de la création et du développement de la China Development Finance Corporation (CDFC) et convainc les grandes banques et sociétés britanniques présentes dans l’Empire du Milieu de souscrire à des obligations.

Cependant, quand, en juillet 1934, il monte dans un wagon du Transsibérien pour quitter provisoirement la Chine, les projets économiques de ce pays asiatique sur le Vieux continent et en Amérique ne sont pas les seuls à préoccuper son esprit. Une escale prévue dans les jours prochains à Moscou revêt un caractère bien personnel : le mariage.

Amour béni par le Kremlin

En août 1929, lors d’un dîner à Paris, il avait en effet rencontré la peintre italienne Silvia de Bondini. Née en 1907 à Constantinople (ce n’est qu’en 1930 que la ville a officiellement changé de nom pour devenir Istanbul), elle était de 19 ans sa cadette. Néanmoins, ce n’est point la différence d’âge qui a constitué le principal obstacle à l’amour, qui, comme il s’en souvenait, a éclaté dès le premier regard : Silvia était mariée depuis quelques mois à l’Italien Francesco Giannini. Et, en 1931, la fille Anna est née de leur union.

Jean Monnet et Silvia de Bondini

À l’époque, le divorce était encore interdit en Italie et ce n’est qu’en 1970 que la situation changera. Or, pour Silvia, fervente catholique, la dissolution du lien sacré du mariage était très importante (même si obtenir une annulation du mariage au Vatican était impossible). Réalisant que la solution ne pouvait venir de la Botte, ils avaient d’abord tourné leur regard vers les États-Unis, mais n’avaient pas tardé à constater l’absence de perspectives. L’idée d’opter pour l’URSS et de légaliser leur union dans la Moscou de Staline s’était alors présentée. Elle serait venue par Ludwik Rajchman, homme considéré comme fondateur de l’UNICEF.

Pourquoi le pays des Soviets ?

L’Union soviétique présentait à l’époque deux avantages à la fois : d’un côté, la rapidité de l’obtention de la citoyenneté et de la résidence, et, de l’autre, la possibilité de divorcer et de se remarier lors d’une seule et même procédure.

Toutefois, même là, l’affaire s’avère plus complexe qu’elle n’y paraît : sous Staline, la liberté de divorce consécutive à la révolution bolchévique connaissait déjà quelques freins (d’autres restrictions étaient encore à venir). Quant à la résidence, elle était accordée aux communistes venus s’installer dans le pays des Soviets pour des raisons idéologiques. Or, le profil de la catholique Silvia de Bondini, mariée à un employé de la banque américaine Blair & Company et amoureuse d’une figure de proue de la finance internationale, correspondait peu à celui exigé.

Pour mener à bien son plan, Monnet a par conséquent eu recours à des connaissances influentes, et les ambassadeurs américain et français à Moscou, William Bullitt et Charles Alphand, y auraient apporté leur concours. Qui plus est, la situation politique était favorable : les diplomates travaillaient sur le traité franco-soviétique d’assistance mutuelle qui sera signé le 2 mai 1935 à Paris.

Silvia de Bondini Monnet, Jean Monnet, Anna et Marianne à la fin de l’année 1945

Le succès de ce qu’il qualifiera de son opération la plus brillante, comme il l’avouera plus tard, lui a valu des mois de travail et une fortune.

Finalement, Silvia est arrivée à Moscou de Suisse, où elle avait séjourné avec sa mère et sa fille Anna. En l’espace de quelques jours, elle est devenue citoyenne soviétique, obtenant, en vertu de la loi locale, le droit de divorcer de manière unilatérale. Elle s’en est servie sans tarder et, une fois le divorce prononcé, elle s’est remariée avec Jean Monnet, puis le couple a quitté le sol soviétique. Ils sont alors d’abord partis aux États-Unis, puis se sont installés à Shanghai.

Mariage religieux à Lourdes

Lorsque, après la guerre, le couple Monnet est revenu sur le Vieux continent – tout retour antérieur avait été compliqué par le fait que la justice avait accordé la garde de la fille de Silvia à son ex-époux – ils avaient déjà un enfant commun, Marianne, née en 1941. Anna, quant à elle, avait déjà presque 15 ans et son père biologique se soumettait progressivement à l’idée de ne plus pouvoir la récupérer.

Lorsque Francesco Giannini meurt en 1974, Silvia et Jean Monnet décident de consacrer leur union devant Dieu. Silvia étant devenue au fil des années une catholique de plus en plus ardente, ils célèbrent un mariage religieux dans la cathédrale de Lourdes.

Quai d’Orsay, le 21 octobre 1972. Jean Monnet et son épouse lors d’une réception

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L’influence de Silvia sur son époux

Tous ceux qui ont travaillé avec Monnet ont reconnu que son épouse avait exercé une forte influence sur lui tout au long des 45 ans qu’a duré leur union. Louis Joxe, diplomate et homme politique français, écrivait que l’avis de Silvia comptait plus pour lui que celui de n’importe quelle autre personne.

En effet, c’était une femme intelligente, forte et très cultivée et, apparemment, Monnet demandait son avis sur toutes les questions clés et prenait en compte son opinion. Cependant, son influence réelle sur ses décisions reste difficile à évaluer : selon des témoins, il sollicitait son avis plutôt pour se faire une idée de l’attitude de l’opinion publique éduquée sur telle ou telle question plutôt que pour prendre des décisions politiques en s’appuyant sur son conseil. Quoi qu’il en soit, nous n’exagérerons pas en l’inscrivant sur la liste des « mères fondatrices » de l’Union européenne, et ce, grâce à la législation progressiste sur le mariage en Union soviétique.

Dans cet autre article, découvrez comment l’URSS persécutait ses citoyens ayant décidé de se marier à des étrangers. 

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