Actrice soviétique et amiral américain: histoire d’un amour interdit digne d’un film hollywoodien

Ils se sont connus à Moscou vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais leur relation leur a coûté cher: très rapidement, elle s’est retrouvée dans un camp et lui s’est vu expulsé du pays. Ce n’est qu’après des années qu’il apprendra que sa fille Viktoria, fruit de leur amour, vivait derrière le rideau de fer.

En janvier 1945, alors que la victoire sur l’ennemi commun approchait, ils se sont rencontrés lors d’une réception donnée au ministère des Affaires étrangères à Moscou. Elle, la vedette du cinéma soviétique Zoïa Fiodorova et lui, le marin américain Jackson Tate, arrivé en URSS dans le cadre d’une mission militaire. Pour eux deux, cela a été un coup de foudre, et en proposant à la beauté russe de la revoir ailleurs, Jackson ne réalisait même pas à quels dangers il l’exposait : la relation avec un étranger pouvait la conduire tout droit derrière les barreaux. De son côté, ne pouvant résister à son charme et se persuadant que les Américains étaient avant tout les alliés de son peuple dans la guerre contre les nazis, Zoïa a dit oui. Après un mariage tourné en échec, elle a perçu la rencontre avec ce bel Américain comme une bouffée d’oxygène. Mais, à la plus grande surprise de Jack, sa bienaimée le suppliait de ne pas se rendre aux rendez-vous en uniforme militaire et de ne pas parler en public, pour que nul ne puisse deviner sa nationalité.

Viktoria, comme «Victoire»

La clandestinité n’a en réalité qu’attisé leur passion. Ils songeaient à un avenir commun et, entre les 8 et 9 mai 1945, Zoïa a assuré à Jack qu'elle était sûre et certaine que c’est cette nuit qu’elle tomberait enceinte. Il a été alors décidé d’appeler l’enfant Viktor ou Viktoria, en l’honneur de la Victoire.

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Même sous Staline cette romance avait des chances d’avoir un avenir. Toutefois, Lavrenti Beria, la personnalité la plus redoutable de l’entourage du leader soviétique, tristement célèbre pour son rôle dans les répressions sanglantes, s’est interposé dans l’affaire. En effet, encore avant le début de la guerre, Zoïa avait été contrainte de s’adresser à lui pour plaider en faveur de son père, un révolutionnaire-communiste arrêté pour des propos maladroits émis à l’encontre de Staline. Charmé par la beauté de Zoïa, Beria, connu pour son penchant pour les jeunes femmes, avait alors cherché à établir une relation avec elle, mais avait essuyé un refus.

Peu après le 9 mai 1945, Zoïa a subitement été envoyée en tournée sur le littoral de la mer Noire, quant à Jack, il a été renvoyé d’urgence d’URSS. Parti à la hâte, il n’a même pas appris que Zoïa portait déjà l’enfant pressenti la nuit de la Victoire.

En apprenant la grossesse de Zoïa, le NKVD l’a surveillé même à la maternité. C’est alors qu’elle a réalisé qu’il s’agissait en réalité d’un règlement de compte à son égard orchestré par Beria.

Pendant ce temps, le malheureux Jack écrivait à son amante une lettre après l’autre, messages qu’elle n’a jamais reçus. Quant à elle, il était hors de question qu’elle lui écrive. Un jour, Jack a même reçu une missive anonyme, demandant de ne plus jamais déranger Zoïa. Il est probable que cette lettre lui avait été adressée par le NKVD.

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Élevée par une tante

La petite Viktoria n’avait même pas un an lorsque sa mère a été arrêtée. Lors d’interrogatoires, on a en effet déclaré à cette dernière que Jack était un espion et qu’elle-même lui transmettait des informations secrètes. L’actrice s’est alors vue accusée d’être derrière une bande de criminels cherchant à assassiner le camarade Staline et condamnée à 25 ans de prison avec confiscation de ses biens. Viktoria s’est par conséquent retrouvée dans la famille de sa tante, renvoyée en séjour forcé à vie au Kazakhstan. Au sein de cette nouvelle famille, elle a grandi sans même savoir qu’elle n’était que la nièce de celle qu’elle prenait pour sa mère.

En 1953, après la mort de Staline, Zoïa a finalement été réhabilitée. Malgré tout ce qu’elle avait eu à traverser dans les camps, elle a alors récupéré sa fille et signé son retour sur le grand écran.

Premières tentatives de rétablir le contact avec Jack

Que deviendra ma fille si on me renvoie de nouveau derrière les barreaux ? Soucieuse de l’avenir de Viktoria, Zoïa a commencé à chercher à rétablir le contact avec Jack pour lui faire apprendre l’existence de leur enfant commun. L’opportunité s’est offerte lorsqu’une amie, qui travaillait dans un hôtel où l’on accueillait souvent des étrangers, lui a conseillé de s’adresser à l’Américaine Irina Kirk, professeur de l’Université du Connecticut travaillant à Moscou. Fille d’un officier blanc ayant quitté la Russie, elle connaissait parfaitement les films dans lesquels Zoïa avait figuré pendant sa jeunesse.

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Ce n’est qu’à ce moment que Zoïa a révélé à sa fille la vérité sur l’identité de son père. Jusque-là elle lui avait en effet soutenu qu’il s’agissait d’un pilote russe mort à la guerre. Jeune de 15 ans, Viktoria n’a dès lors eu que pour seul rêve de rencontrer son père américain. Mais cela s’est avéré plus difficile que sa mère et elles ne le pensaient. Irina a en effet mis des années pour retrouver Jack. Finalement, par le biais de connaissances de ses amis, elle est parvenue à lui transmettre une photo de sa fille, qu’il a immédiatement reconnue.

La séparation perdure

Toutefois, même après cette nouvelle, le trio n’a pu se réunir. Ce n’est qu’au bout de quelques années, lors d’un déplacement en URSS, qu’Irina a pu leur transmettre que Jack avait été retrouvé et qu’il avait reconnu leur fille. Pour cette dernière, le seul moyen de voir son père était de se rendre aux États-Unis, ce qui n’était point facile. Âgé de 75 ans et souffrant d’un cancer, Jack ne pouvait venir. Les lettres qu’il rédigeait à sa fille ne lui parvenaient qu’occasionnellement, tous leurs appels étaient écoutés voire, plus souvent, coupés.

Il faut qu’il y ait une issue

Réalisant qu’il fallait enfin sortir de l’impasse, Viktoria, alors devenue elle aussi actrice, s’est adressée aux journalistes américains. Le 27 janvier 1975, l’article intitulé Un enfant de guerre soviétique rêve de rencontrer son père américain sort dans The New York Times. Suit un article dans les pages de The Los Angeles Times dédié à Jackson Tate et confirmant que cette histoire longue de 30 ans est absolument vraie.

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En quête d’un bon exclusif, le journaliste de l’hebdomadaire National Enquirer Henry Gris propose à Viktoria d’organiser et de financer son voyage aux États-Unis en échange d’articles sur la réunification du père avec sa fille.

La rencontre a été très touchante et Viktoria a décidé de ne pas retourner en URSS. Elle n’a alors pas tardé à épouser un pilote civil de la compagnie aérienne Pan American World Airlines et s’est installée définitivement aux États-Unis. En 1976, Zoïa s’y est finalement rendue en visite pour revoir enfin son Jack. Celui-ci est décédé deux ans plus tard des suites d’un cancer. Quant à Zoïa, elle sera assassinée en décembre 1981 dans son appartement moscovite par une balle tirée dans la tête. 37 ans plus tard, ce crime reste non élucidé.

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