Cinq Néerlandais qui ont brillamment servi la Russie

Histoire
BORIS EGOROV
Marins et constructeurs navals nés, les Néerlandais ont largement contribué à la naissance de la marine russe. En tant que capitaines, ils ont plus d’une fois glorifié la Russie par leurs victoires au cours de grandes batailles.

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Franz Timmerman

À la fin des années 1680, le tsar Pierre Ier, qui dans les décennies suivantes vaincrait la puissante Suède et ferait entrer la Russie dans le club des grandes puissances européennes, était encore un jeune homme inexpérimenté. Cependant, dès cette époque, il s’était fixé comme objectif de procéder à une modernisation en profondeur de l’État et cherchait à s’entourer d’enseignants et de mentors dont les connaissances et les compétences pourraient l’aider à atteindre son but.

L’une de ces personnes était le marchand hollandais Franz Timmerman. Entré au service du tsar en 1687, il enseigne à Pierre la géométrie, l’astronomie, la construction navale, les sciences maritimes, ainsi que les bases de la fortification et de l’artillerie. De plus, grâce à ses efforts, le tsar a réalisé un stage dans les chantiers navals d’Amsterdam, avec un diplôme de charpentier de marine à la clé.

Timmerman a activement participé à la création de la marine russe : il était responsable de l’achat et de la livraison des matériaux pour la construction des navires, et s’occupait d’attirer des artisans étrangers en Russie. À un moment donné, il dirigeait une usine de voiles qui employait plus d’un millier de personnes.

Le Néerlandais, décédé en 1702, n’a jamais occupé de poste officiel élevé. Dans les documents, il était simplement appelé « étranger », « maître » ou « ingénieur ».

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Carsten Brandt

En mai 1688, le tsar Pierre, visitant le domaine du boyard Nikita Romanov près de Moscou, a découvert un bateau anglais abandonné dans une grange et s’est montré très intéressé. Il a chargé Timmerman, qui l’accompagnait, de trouver un spécialiste pour restaurer le navire. Bientôt, ce dernier a présenté au tsar son compatriote, le charpentier Carsten Brandt.

Brandt était arrivé en Russie en 1667 sous le règne du père de Pierre, le tsar Alexis Ier. Il a participé à la construction du premier navire russe appelé pinasse (un navire à voile et à rames), l’Oriol, qui, peu de temps après sa mise à l’eau a été capturé à Astrakhan par les cosaques rebelles de Stepan Razine, puis abandonné sur le rivage, où il a ensuite pourri.

Le Néerlandais a réparé le bateau (renommé Saint-Nicolas), y a placé un mât et une voile, et a également appris à Pierre à le diriger. Sur suggestion du tsar, le navire a commencé à être surnommé « grand-père de la flotte russe ».

Plus tard, Carsten Brandt, qui jouissait de la pleine confiance du tsar, a participé à la création d’une « flottille de jeu » sur le lac Plechtcheïevo, non loin de Moscou, qui est devenu le prototype de la future marine russe. À la mort du Néerlandais en 1693, elle comptait une centaine de navires grands et petits.

Jan van Kinsbergen

En 1771, un officier de la flotte hollandaise, Jan Hendrik van Kinsbergen, qui avait à son actif 20 années de service irréprochable ainsi qu’une une expédition aux Antilles et sur les côtes de l’Afrique du Nord, décide de se rendre dans la lointaine Russie. Le pays accueillait bras ouverts les marins expérimentés, et bientôt le capitaine de 2e rang Kinsbergen, ayant obtenu sous son commandement un escadron de la flottille de la mer d’Azov, fut propulsé au cœur de la guerre russo-turque.

Kinsbergen a pleinement révélé ses talents militaires dans les batailles contre les Turcs. Attaquant hardiment un ennemi supérieur en nombre, il lui a souvent infligé de lourdes pertes et l’a forcé à retirer ses navires. À Saint-Pétersbourg, on a applaudi les victoires du Néerlandais lors des batailles de Balaklava et à Soudjouk-Kalé en 1773.

Le commandant de la flottille d’Azov, le contre-amiral Alexeï Seniavine, n’était pas toujours satisfait des actions un peu trop audacieuses de son subordonné, mais appréciait néanmoins hautement ses mérites. « J’ai l’honneur de témoigner au sujet du capitaine et gentilhomme Kinsbergen, un officier de marine excellent et courageux, digne d’être promu à tous égards », écrivait-il dans le document portant récompense de l’officier.

En 1775, peu après la fin de la guerre, le Néerlandais quitte la Russie, bien que l’impératrice Catherine II en personne lui ait demandé de rester. Aux Pays-Bas, Jan Kinsbergen a atteint le rang d’amiral et a même dirigé un temps les forces navales de la république.

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Jan Pieter van Suchtelen

Tous les Néerlandais qui ont déménagé en Russie n’étaient pas experts des affaires maritimes. Ainsi, le lieutenant-colonel Jan Pieter van Suchtelen, arrivé à Saint-Pétersbourg en 1783, était issu d’une lignée d’ingénieurs militaires de père en fils.

Dans son nouveau pays, Suhtelen, appelé en russe Piotr Kornilovitch Sukhtelen, a brillé dans de nombreux domaines : il a été impliqué dans la réparation et de la restauration de canaux, surveillait l’état des fortifications défensives de la mer Blanche à la mer Noire, et a participé à deux guerres contre la Suède (1788-1790 et 1808-1809) ; il a non seulement organisé avec succès des sièges de forteresses, mais aussi dirigé personnellement ses troupes dans des attaques audacieuses sur les champs de bataille.

Fait curieux, Suchtelen, qui a causé tant de problèmes aux Suédois, était lié d’amitié avec le prince héritier Jean-Baptiste Bernadotte, qui deviendrait à partir de 1818 le roi de Suède et de Norvège Charles XIV Jean. À la toute fin des guerres napoléoniennes, lorsque la Russie et la Suède sont devenues alliées, Suchtelen dirigeait la mission militaire russe auprès du quartier général de l’armée de Bernadotte opérant dans le nord de l’Allemagne.

Suchtelen a été l’un des collectionneurs les plus célèbres de son temps. Sa collection comprenait dizaines de milliers d’exemplaires de livres, de peintures, de pièces de monnaie et de manuscrits précieux. « Le général russe se souciait peu du coût des livres et des manuscrits en général, tant qu’ils l’intéressaient », a écrit l’historien suédois Magnus Jacob Crusenstolpe. 

Lodewijk van Heiden

En 1795, les Français occupent les Pays-Bas, forçant le stathouder (souverain) Guillaume V à fuir le pays. L’officier de la flotte néerlandaise Lodewijk Sigismond Gustaaf comte van Heiden, qui était resté fidèle à l’exilé, s’est rendu compte qu’il n’était pas sûr pour lui de rester dans sa patrie. Il a donc décidé de passer au service de la Russie.

Loguine Petrovitch, le nom russifié de Heiden, s’est illustré dans les guerres contre la Suède et la France, mais la bataille de Navarin, survenue le 20 octobre 1827 contre la flotte combinée turco-égyptienne, a constitué l’heure de gloire du commandant. « C’était comme si tout  le feu de l’enfer se déchaînait devant nous ! Il n’y avait nul endroit où des knuppel, des boulets de canon et des chevrotines ne se seraient déversés... Il fallait vraiment se battre avec un courage particulier pour résister à ce feu et vaincre les adversaires ... », s’est souvenu l’amiral Pavel Nakhimov au sujet de ce jour. 

Du courage, Heiden, qui avait atteint le rang de contre-amiral, en avait à revendre. Son escadron a non seulement résisté à l’attaque principale de la flotte ennemie, mais il a finalement vaincu le centre et le flanc droit de cette dernière.

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Le triomphe de Navarin a joué un rôle clé dans le succès du mouvement de libération du peuple grec, qui n’a pas oublié les mérites du Néerlandais. Une rue d’Athènes a été nommée en son honneur, une statue de lui a été érigée à Pylos et, en 1927, à l’occasion du centenaire de la bataille historique, un timbre-poste représentant le commandant a été imprimé.

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