En images: à quoi ressemblait Saint-Pétersbourg du temps de Dostoïevski?

Histoire
ALEXANDRA GOUZEVA
Dans les romans de Dostoïevski, Saint-Pétersbourg apparaît souvent sous un jour peu flatteur: sale et lugubre, les mendiants y sont à chaque coin de rue. Mais regardons à quoi ressemblait vraiment la ville alors que l'écrivain était encore vivant.

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Fiodor Dostoïevski est né et a passé son enfance à Moscou, mais il a vécu à Saint-Pétersbourg, alors capitale du pays, pendant près de 30 ans. Ne possédant pas son propre logement, il a changé plusieurs fois d’adresse et vivait dans des appartements de location.

Son père avait décidé que Fiodor étudierait à l'École supérieure du Génie. Elle était sise dans le palais du défunt empereur Paul Ier, le château Saint-Michel (sur la photo). Un camarade de classe du futur écrivain, Dmitri Grigorovitch, a raconté qu'il était peu sociable et ne participait pas aux jeux communs, mais « s'asseyait, se plongeait dans un livre et cherchait un endroit isolé ».

Non loin de l'école se trouvaient le Jardin d'été et le pont à chaînes Panteleïmonovski sur la rivière Fontanka. Au début du XXe siècle, un nouveau pont fut construit à la place du premier afin que les voitures puissent y circuler.

En 1849, Dostoïevski est arrêté et passe huit mois emprisonné dans la forteresse Pierre-et-Paul. Au début, il a été condamné à mort, mais au dernier moment, la peine a été remplacée par des travaux forcés en Sibérie. Dostoïevski était accusé d’appartenance à un cercle révolutionnaire et d'avoir distribué une lettre interdite de Belinski à Gogol en 1847, qui évoquait  la nécessité des libertés civiles et de l'abolition du servage.

Avec la publication du poème de Pouchkine Le Cavalier de bronze, une controverse a débuté autour de la statue équestre de Pierre Ier, créateur de la ville. Le héros menace Pierre parce qu'il a fondé la ville à un endroit rempli de marécages, en proie à un climat terrible et à des inondations. Dans le roman L'Adolescent, Dostoïevski s'exprime de la même manière : « Et quoi, quand ce brouillard va se disperser et s’évaporer, toute cette ville pourrie et visqueuse ne va-t-elle pas s’envoler avec lui, monter avec le brouillard et disparaître comme de la fumée ; il ne restera alors que le marécage finlandais de jadis, et au milieu de celui-ci, pour donner un peu de beauté, le cavalier de bronze sur son cheval au souffle chaud, comme en exil ? ».

Bien que Dostoïevski, dans ses romans, montre la face sombre de la ville plutôt que l’aspect flamboyant de Pétersbourg, l'écrivain lui-même se rendait souvent sur la perspective Nevski - la « vitrine » de la ville, où travaillaient banquiers et grands marchands et où se promenaient des jeunes femmes parées. Et quand l'écrivain vivait à l'étranger et n'avait pas d'appartement de location, il séjournait dans des hôtels de Nevski quand il se rendait à Saint-Pétersbourg.

L'écrivain allait à la cathédrale de Kazan située sur la perspective Nevski pour prier (sa femme a attesté qu'il s’était précipité ici après l'annonce de la guerre russo-turque).

Et à une minute à pied de la cathédrale de Kazan se trouvait (et se trouve toujours) la célèbre confiserie Wolf et Béranger, où Dostoïevski aimait se rendre - et où en 1846 il rencontra Mikhaïl Petrachevski, l'organisateur d'une société secrète qui voulait préparer le peuple pour la révolution. C'est dans ce cercle que Dostoïevski a lu la fameuse lettre interdite. Petrachevski, également exilé en Sibérie, est devenu le prototype du personnage sombre du roman Les Démons, Piotr Verkhovenski.

De nombreux endroits de Saint-Pétersbourg sont décrits dans le roman Crime et châtiment. Sur le pont Nikolaïevski [aujourd'hui Blagovechtchenski], un Raskolnikov pensif reçoit un coup de fouet au dos par un cocher pour avoir marché au milieu de la rue et, malgré les cris du cocher. Il manque alors d’être piétiné les chevaux. Aussitôt, de compatissantes demoiselles le prennent pour un mendiant et lui font l'aumône.

Raskolnikov a également erré devant le Jardin d'été, rêvant que toute la ville était enfouie dans une telle verdure et que de nombreuses fontaines rafraîchissaient l'air poussiéreux de la ville. « Ici, la curiosité le prit : pourquoi précisément, dans toutes les grandes villes, une personne, pas vraiment par nécessité, soit en quelque sorte particulièrement encline à vivre et à s'installer précisément dans les parties de la ville où il n'y a pas de jardins ni de fontaines, où règnent la saleté et la puanteur, et toutes sortes de saloperies ».

Et voici le quai du canal Catherine, près de la cathédrale Saint-Nicolas. Non loin d'ici vivait la vieille prêteuse sur gages assassinée par Raskolnikov, et plus loin le long du canal habitait sa bien-aimée, Sonia Marmeladova. Maintenant, le canal s'appelle canal Griboïedov, et Dostoïevski n'a vécu assez longtemps pour observer son principal monument– la Cathédrale Saint-Sauveur-sur-le-Sang-Versé. De même, l'écrivain était déjà mort lors du meurtre de l'empereur Alexandre II, sur le site duquel se dresse le lieu de culte. Très probablement, l'auteur aurait été choqué par cet événement - c'était un patriote et un monarchiste, très préoccupé par les tentatives d'assassinat visant le tsar.

Raskolnikov lui-même vivait non loin de la place Sennaïa, un quartier d’artisans. « Près des gargotes aux étages inférieurs, dans les cours sales et puantes des maisons de la place Sennaïa, et surtout près des tavernes, s’entassait une foule d'industriels et de nécessiteux en haillons de toutes sortes. »

Ce poissonnier ambulant semble tout droit tombé des pages des romans de Dostoïevski. « Et de nouveau la puanteur des boutiques et des tavernes, à nouveau les colporteurs finnois sans cesse ivres et les fiacres délabrés ».

Dans Crime et châtiment et d'autres romans, l'île Vassilievski apparaît régulièrement, et l'écrivain y a lui-même vécu à plusieurs adresses. N'ayant pas d'argent pour prendre un fiacre, le héros d’Humiliés et offensés s'y rend constamment à pied, bien que ce soit à l'autre bout de la ville. Une fois, il manque de tomber malade en marchant « jusqu’à Vassilievski (ils vivaient alors sur Vassilievski), c'était loin à pied ». Tout comme aujourd'hui les gens prennent un taxi ensemble s'ils vont dans la même direction, de même, sous Dostoïevski, les compagnons de route proposaient de partager le prix de la course - ou de s’emmener sur leur propre moyen de transport : « Ayant entendu que je vais à Vassilievski, il propose avec bienveillance de m’emmener dans son fiacre ».

Un endroit important pour l'écrivain est la cathédrale de la Trinité. Ici, en 1887, il épousa sa seconde épouse, Anna Snitkina, de 25 ans sa cadette. Elle a travaillé pour lui en tant que sténographe et c’est grâce elle que des romans tels que L’IdiotLes DémonsL’Adolescent et Les Frères Karamazov ont pu être écrits.

Le bâtiment de l'usine mécanique Kurt Siegel a été construit en 1876 dans la rue Iamskaïa à Saint-Pétersbourg. C'est maintenant la rue Dostoïevski. Au coin de la rue se trouve l’immeuble dans lequel se trouvait son dernier appartement, où il vécut de 1878 jusqu'à sa mort en 1881. Aujourd'hui, l’appartement abrite un musée commémoratif dédié à l'écrivain.

Dostoïevski a été le témoin de la construction et de l'ouverture en 1879 du pont-levis de l’empereur Alexandre (aujourd'hui Liteïny), l'une des cartes de visite de la ville moderne. Si les Russes actuels aiment répéter que « Moscou, ce n'est pas la Russie », Dostoïevski croyait que Saint-Pétersbourg se différenciait fortement du reste du pays. « Après tout, vous ne pouvez pas nier qu'ils ne connaissaient pas le terrain, ils découvraient la Russie à Saint-Pétersbourg durant leur service, et avec le peuple ils étaient dans la relation d'un maître avec son serf », écrit-il dans Journal d'un écrivain au sujet des héros de Pouchkine et Gogol.

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