En images: le tragique destin du plus grand dirigeable soviétique

Histoire
IOULIA AFANASSENKO
Si l’URSS V6 est connu pour avoir établi un record mondial, il l’est aussi pour sa fin dramatique.

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La Russie essayait de construire ses propres dirigeables avant même la Première Guerre mondiale, mais la majorité de la flotte russe était composée de vaisseaux imitant ceux construits à l’étranger, voire directement commandés dans d’autres pays. C’est en 1920 que le premier dirigeable « soviétique » a été conçu, un modèle français Astra réparé et renommé « Krasnaïa Zvezda » (« Étoile rouge »). Trois ans plus tard, une organisation nommée Centre Aérien était créée et chargée de développer les dirigeables russes. Cependant, très peu des modèles construits ont eu le succès escompté. L’un des meilleurs était le « Komsomolskaïa Pravda » (« La vérité du Komsomol »).

La construction de dirigeables a repris après la création de la société Dirijablestroï (« Construction de dirigeables »), située au nord-ouest de Moscou. Elle rassemblait tous ceux qui travaillaient dans le domaine. Umberto Nobile, ingénieur en aéronautique et explorateur arctique italien, a été invité à venir s’occuper de la technique. La société a créé huit dirigeables, le plus grand d’entre eux ayant été construit en 1934 et baptisé « URSS V6 OSOAVIAKHIM ». La dernière partie de son nom vient d’Osoaviakhim, une organisation qui œuvrait à augmenter les capacités de défense de l’Union soviétique. L’URSS V6 était basé sur le dirigeable italien N4 « Italia », mais en différait toutefois du fait des nombreux changements apportés selon l’expérience que les Soviétiques avaient des dirigeables. L’URSS V6 mesurait 104,5 mètres de long et 18,8 mètres de diamètre, et pouvait transporter une cargaison allant jusqu’à 8,5 tonnes. C’était bien plus que les précédents dirigeables soviétiques. Il a pris son envol le 5 novembre 1934, avec Umberto Nobile lui-même à la tête de l’équipage. Le vol a duré 1h45. Il a ensuite effectué d’autres vols de test, qui ont permis de déterminer que le dirigeable était suffisamment fiable pour pouvoir être utilisé de manière régulière.

Toutefois, l’industrie des avions se développait plus que celle des dirigeables. En 1937, de nombreux pilotes d’avion ont établi des records, notamment Valeri Tchkalov et son vol légendaire, tandis que les pilotes de dirigeables n’accomplissaient aucun exploit. Ils ont donc compris qu’ils devaient faire quelque chose de vraiment remarquable pour sauver leur industrie, et ont décidé d’établir un record et d’effectuer le vol le plus long sans atterrir ni se réapprovisionner en carburant à bord de l’URSS V6. C’est le LZ 127 Graf Zeppelin qui détenait jusqu’alors le record, avec 119 heures passées dans les airs en 1935.

Les préparations ont pris deux semaines : tous les instruments à bord du dirigeable et le dirigeable lui-même ont été inspectés soigneusement, et le ballon a été rempli de gaz et repeint.  Il a décollé le 29 septembre 1937, à 6h48 du matin. Les 16 membres de l’équipage n’avaient pas pour mission d’établir un nouveau record, juste de voler le plus longtemps possible. L’itinéraire prévu était long de 2 800km. Ils ont survolé plusieurs villes telles que Novgorod (aujourd’hui Veliki Novgorod, à 490km au nord-ouest de Moscou), Kazan (à 720km à l’est de Moscou) et Koursk (à 460km au sud-ouest de Moscou). Ivan Pankov, le commandant de bord, se souviendra plus tard que le dirigeable n’est monté, au début du vol, qu’à 100-150m d’altitude car il était surchargé de 5,7 tonnes de carburant. Pour signaler où ils en étaient, les membres de l’équipage devaient lâcher des récipients accrochés à des parachutes à des points précis de l’itinéraire, comme Novgorod.

Le lendemain du départ, ils ont été pris dans un cyclone. Lors de ses déclarations aux journalistes, Pankov a dit que cela avait été la partie la plus difficile du voyage : le dirigeable est resté coincé dans des nuages épais et sous une pluie torrentielle pendant 20 heures. Le 1er octobre, l’équipage a décidé de modifier son itinéraire et de se diriger vers l’ouest afin de sortir de cette météo catastrophique. Certaines rumeurs disent que l’équipage s’est simplement perdu à cause d’une défaillance du radio-compas. Ils n’ont donc pas atteint Kazan, mais Ivanovo (à 250km au nord-est de Moscou).

Après le cyclone, ils n’ont plus rencontré de difficultés lors de leur voyage et ont atteint Vassilsoursk, à 520km à l’est de Moscou, le 3 octobre. C’était la dernière étape avant qu’ils ne rentrent à la capitale. Alors qu’ils avaient passé plus de 100h dans les airs, ils ont réalisé que bien que leur mission soit terminée, ils avaient encore les ressources nécessaires pour continuer de voler. La tour de contrôle les a autorisés à rester 24 h supplémentaires dans les airs. Ils ont fait demi-tour vers Vladimir, à 180km au nord-est de Moscou, avant de revenir. L’URSS V6 a atterri le 5 octobre à environ 17h15 et est donc resté 130 heures 27 minutes dans les airs, établissant un nouveau record. Les autorités soviétiques n’ont cependant fait que peu de cas de cet exploit, et l’équipage a seulement reçu un peu d’argent. L’industrie du dirigeable, elle, n’a reçu aucun financement additionnel.

Après l’exploit, l’URSS V6 a continué d’être utilisé régulièrement. Début 1938, il était censé être utilisé pour un vol de Moscou à Novossibirsk, sur 2 800km, quand un imprévu de taille est survenu. Un groupe de quatre explorateurs arctiques, mené par Ivan Papanine, se trouvait en grand danger : ils étaient en service dans une station polaire sur un morceau de banquise à la dérive, quand la glace a craqué. Des brise-glace ont été envoyés pour sauver les explorateurs, mais plusieurs membres de l’équipage de l’URSS V6 ont écrit à Staline pour lui demander l’autorisation de voler jusqu’à Mourmansk (1 500km au nord de Moscou) puis à la station polaire, car ils pourraient récupérer les explorateurs plus vite que les brises-glace. Staline a accepté, et l’URSS V6 est parti le 5 février 1938 avec un équipage de 18 personnes, en route pour ce sauvetage qui tournerait bientôt au désastre. Le lendemain, l’équipage s’est perdu, a percuté le mont Neblo et le dirigeable a pris feu près de la ville de Kandalakcha, à seulement 200km au sud-ouest de Mourmansk. 13 membres de l’équipage ont péri lors de l’accident. Les autres s’en sont sortis avec de légères blessures et ont rapidement été secourus par les locaux.

Viktor Potchekine, quatrième officier et l’un des survivants, se souvient que le dirigeable a traversé une tempête de neige et des nuages le 6 février. À 19h30, Gueorgui Miatchkov, le navigateur, a hurlé à l’équipage qu’une montagne se trouvait juste devant l’URSS V6. Ivan Pankov, le commandant en second, a alors tenté de remonter le nez du dirigeable, mais n’a pas été assez rapide : l’appareil a percuté la montagne et l’incendie s’est déclaré. L’enquête officielle déclare que le dirigeable était à une altitude d’environ 300 ou 350m, alors que les montagnes de la région culminent à plus d’un kilomètre de hauteur. De plus, l’idée de Pankov de simplement relever le nez du dirigeable était mauvaise : l’équipage aurait dû larguer toute leur cargaison, afin de s’alléger et de prendre de l’altitude plus rapidement. Les conditions météorologiques et l’obscurité n’ont permis à Miatchkov de voir la montagne qu’environ cinq secondes avant la collision. La commission chargée de l’enquête considère également que l’équipage n’était pas bien préparé à l’expédition : Potchekine, qui était l’un de ceux qui soutenaient le projet, a déclaré aux enquêteurs qu’il n’a appris qu’il était sélectionné pour faire partie de l’équipage que le jour du départ. Cumulés, tous ces éléments ont mené à cette funeste catastrophe.

L’équipe d’Ivan Papanine a été sauvée le 19 février, mais l’industrie du dirigeable est morte avec l’URSS V6. Seulement un ou deux dirigeables ont été construits après la catastrophe. En 1940, les autorités soviétiques ont estimé que le dirigeable n’avait pas de futur, et ont tout arrêté définitivement.

Dans cet autre article, nous nous intéressions à l’industrie des dirigeables dans l’Empire russe.