Albert Mirlesse, «parrain» du régiment de chasse Normandie-Niémen

Albert Mirlesse (à gauche) avec les pilotes de Normandie-Niémen

Albert Mirlesse (à gauche) avec les pilotes de Normandie-Niémen

Maison des Russes à l'étranger Alexandre Soljenitsyne
Français d’origine russe au service de de Gaulle, Albert Mirlesse a tout fait pour créer un groupe aérien devenu le symbole de l’amitié franco-russe dans la première moitié du XXe siècle.

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De Gaulle tend la main

Régiment de chasse Normandie-Niémen

Le 19 février 1942, en pleine Seconde Guerre mondiale, une rencontre informelle, dont l'importance sera ensuite prouvée par l'histoire, a lieu à l’hôtel londonien Savoy. Ne prêtant aucune attention aux somptueux intérieurs et au léger bruit de fond, plusieurs personnes, et notamment le commandant des Forces aériennes françaises libres, Martial Valin, et l’attaché de guerre de l’URSS en Grande-Bretagne, Nikolaï Pougatchev, se sont entretenues à une table. C’est ainsi que Sergueï Dybov, fondateur de l’association franco-russe Mémoire Russe, relate ce moment qui a posé les premiers jalons du célèbre escadron dans son livre Normandie-Niémen [La vraie histoire du régiment aérien].

Albert Mirlesse et le pilote du régiment Normandie-Niémen, Albert Durand. Moscou, 1943

Le compagnon d’armes de de Gaulle y a formulé une proposition inattendue à l’adresse du diplomate soviétique : si les Britanniques refusaient d’accorder des renforts à l'Armée rouge, les Français créeraient et enverraient sur le front de l’Est une unité de pilotes volontaires. Un homme, que l’on retrouve sur de nombreuses photographies de la future unité légendaire, se trouvait parmi ceux ayant assisté à cette rencontre : il s'agit de celui que l’on surnomme le « parrain » du Normandie-Niémen, le capitaine de l’armée de l’Air Albert Mirlesse.

Fils d'un révolutionnaire et pilote raté

Pour la diplomatie franco-soviétique, ce pilote était un véritable cadeau. Il semblerait que le ciel lui-même se soit assuré qu’un homme appartenant aux deux cultures, connaissant les différentes idéologies et rompu à l’aviation participe aux négociations entre de Gaulle et l’URSS.

Livret militaire d'appartenance à la France libre

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Il était issu d’une famille de Juifs russes immigrés en France, et ses parents n’étaient pas des Russes Blancs, bien au contraire : le père d’Albert, l’ingénieur Lev Mirlesse, et sa mère, la pianiste du Bolchoï Vera Mirmovitch, ne soutenaient pas les tsaristes. Ils avaient fui la Sibérie, où ils avaient été envoyés à cause de leur participation à la Révolution russe de 1905.

Né en banlieue parisienne, Albert rêvait de devenir pilote depuis l’enfance. Cependant, une fois sa formation terminée, il n’a pas été autorisé à voler à cause de troubles pulmonaires. Le jeune homme a donc poursuivi ses études à la Sorbonne, où il a appris à parler l’allemand couramment. Au début de la Seconde Guerre mondiale, Albert a tenté de s’engager dans l’armée française, mais a fait face à un refus. Il a ensuite obtenu un poste de chercheur dans l’armée de l’Air.

Parade des nazis devant l'Arc de triomphe de l'Étoile en juin 1940

Fervent opposant au nazisme, Albert a fui les territoires occupés pour se rendre à Londres, afin de rejoindre les rangs de la France libre. Ses parents, restés en France, seront rapidement arrêtés par la Gestapo. Son père a ensuite été fusillé au Mont-Valérien avec d’autres résistants français.

Albert était alors ingénieur en Angleterre, travaillait à la destruction des aérostats allemands, et n’avait aucun moyen de deviner qu’on le chargerait bientôt d’une mission très spéciale.

La bataille pour l’existence du futur régiment Normandie-Niémen

Albert Mirlesse avec le militaire soviétique Stepan Levandovitch

Fin février 1942, après la réunion au Savoy, Nikolaï Pougatchev a récupéré des mains des camarades de de Gaulle la toute première liste secrète des pilotes qui composeraient ensuite le régiment Normandie-Niémen.

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Cependant, malgré l’accord donné par les autorités soviétiques en mars, le processus de sa formation a été suspendu : Martial Valin a été envoyé au Moyen-Orient, tandis que tous les attachés militaires soviétiques ont trouvé la mort dans un accident.

Les nouveaux diplomates soviétiques n'étaient probablement pas suffisamment informés des négociations pour assumer la responsabilité du projet. Dans le même temps, l'entourage de de Gaulle a tenté d’empêcher l’envoi de pilotes français en URSS. Sergueï Dybov écrit que le commandant de l’état-major de la France libre aurait déconseillé à ce dernier d’envoyer des soldats français en URSS, de peur que cela ne crée des tensions avec la Grande-Bretagne.

Charles de Gaulle

Dans cette situation, seul Albert Mirlesse a pu intervenir pour sauver le futur régiment Normandie-Niémen. Alerté par le potentiel échec du projet, il a décidé de contrattaquer : il a obtenu une rencontre personnelle avec de Gaulle par l’intermédiaire de l’une de ses connaissances à l’état-major et a réussi à le convaincre de la nécessité de réaliser ce projet.

De meilleurs avions et des grades plus élevés

Sergueï Dybov, dont l’association s’occupe de préserver la mémoire des combattants russes en France, décrit ainsi la contribution de Mirlesse à la création du régiment Normandie-Niémen : « Il a fait tout le travail administratif pour la création du groupe aérien n°3 (comme on l’appelait à l’époque). En août 1942, il a été nommé représentant militaire adjoint au général Petit en URSS et s’y est rendu. Il a alors visité les lieux de cantonnement du groupe et résolu les problèmes de logement, de nourriture et d’uniformes ».

Dybov souligne que c’est Mirlesse, lors de la rencontre au Savoy, qui a insisté pour que le futur régiment utilise du matériel soviétique, et il a lui-même choisi les meilleurs avions d’URSS pour ses pilotes français, les célèbres avions de chasse Yak-1 et Yak-7

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Il est intéressant de noter que lors des négociations concernant l’avenir du régiment Normandie-Niémen en URSS, Mirlesse a fait en sorte que les soldats français détachés en Union soviétique aient le grade d’aspirants, c’est-à-dire de sous-officiers, afin que tous les soldats soient placés sur un pied d’égalité. Or, en France, les soldats ayant rejoint l’escadrille n°3 s’étaient engagés dans l’armée après des cours accélérés, non pas après une formation complète, et ne pouvaient donc pas prétendre à un tel grade.

« Les soldats stationnés en Afrique n’avaient ni avion ni promotion, tandis que les soldats du régiment Normandie-Niémen avaient les avions les plus récents et le grade d’officier », explique Sergueï Dybov.

Conflit avec l’ambassadeur et carrière dans l’après-guerre

Début 1943, les dirigeants de la France libre ont rappelé Mirlesse à Londres, mais la présence de cet homme était trop importante pour la bonne réalisation du projet Normandie-Niémen. Au printemps, il a par conséquent été renvoyé en URSS, mais cette fois-ci en tant que représentant personnel de de Gaulle auprès des forces de l’Armée rouge.

Albert a cependant dû se séparer définitivement du régiment peu de temps après, à cause de questions de subordination entre les missions civiles et militaires françaises en Union soviétique. En effet, d’après Sergueï Dybov, les pleins pouvoirs accordés à Mirlesse irritaient l’ambassadeur de la France libre en URSS, Roger Garreau, qui cherchait un moyen de se débarrasser de ce militaire énergique.

En 1943, il a ainsi accusé Albert d’espionnage au profit de l’URSS et l’a attaqué publiquement. Mirlesse a demandé à de Gaulle de remplacer Garreau, mais le seul candidat disponible ne convenait pas aux autorités soviétiques. Le « parrain » du régiment Normandie-Niémen a donc dû quitter le pays.

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Il s’est rendu en Algérie, puis en Grande-Bretagne, et enfin en France, où il a alors travaillé au quartier-général de l’armée de l’Air à Paris et s’est engagé dans le renseignement scientifique. Après la guerre, lui et quelques camarades ont créé leur propre société spécialisée dans la recherche concernant les secrets allemands.

« Quand je travaillais sur ce livre, j'ai été frappé par la biographie de cet homme, raconte Sergueï Dybov. L’on pourrait se demander, qu’est-ce qu’une seule personne pourrait-elle changer dans les relations entre deux pays ? Mais grâce aux efforts de ce militaire français d’origine russe, à l’énergie incroyable et à la persévérance saisissante, se trouve devant nous un extraordinaire exemple d’amitié franco-russe ».

Dans cet autre article, nous faisions la lumière sur ces immigrés russes ayant pris part au mouvement de la Résistance française.

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