Comment la première vaccination a eu lieu en Russie

Histoire
GUEORGUI MANAÏEV
Avant Catherine la Grande, les Russes avaient une peur superstitieuse de la vaccination. L'impératrice a dû réaliser l'inoculation d’un vaccin contre la variole sur elle-même afin de convaincre la noblesse de faire de même.

Russia Beyond désormais sur Telegram ! Pour recevoir nos articles directement sur votre appareil mobile, abonnez-vous gratuitement sur https://t.me/russiabeyond_fr

Lorsqu'en octobre 1768, Catherine la Grande se sentit malade après une inoculation de la variole, elle séjournait au palais de Tsarskoïe Selo, isolée de la cour de Pétersbourg. Thomas Dimsdale, le médecin anglais qui avait effectué la procédure, était à ses côtés, documentant l'état de l'impératrice.

Cependant, sur ordre direct de l'impératrice, une voiture secrète attendait, prête à aider Dimsdale et son fils et assistant Nathaniel à fuir le pays - l'impératrice craignait que si elle mourait après la procédure, ses courtisans ne tentent d'exécuter Dimsdale dans un acte de justice sommaire. Qui était Dimsdale, et pourquoi a-t-il été choisi pour vacciner Catherine ?

La mort près du trône

Catherine n’a pas contracté la variole dans son enfance (elle n’a donc pas développé une immunité précoce contre celle-ci). La maladie, qui sévissait dans l'Europe du XVIIIe siècle, était l'une des rares choses dont Catherine, par ailleurs une personne inflexible, avait vraiment peur. « On m'avait appris depuis l'enfance à être terrifiée par la variole et à un âge plus mûr, cela m'a coûté beaucoup d'efforts pour surmonter cette frayeur », a écrit Catherine dans une lettre privée à Frédéric II de Prusse. Son mari Pierre III a souffert d'une violente variole dans son enfance - sa santé a été irréversiblement endommagée et son visage était à jamais grêlé, ce qui, de toute évidence, n’était pas reflété dans ses portraits officiels mais défigurait l'empereur.

>>> Huit photos d'archives des campagnes de vaccination en Russie et en URSS

De plus, en 1768, la variole est apparue juste à côté du trône. Anna Cheremetieva, l'une des plus belles dames d'honneur de la cour russe, était fiancée à Nikita Panine, responsable des affaires étrangères en Russie (et de 26 ans son aîné). Quelques jours seulement avant leur mariage, Anna est décédée de la variole, qui s'est développée de façon fulgurante. On ne savait pas comment elle avait été infectée.

« On m'a conseillé de vacciner mon fils contre la variole. J'ai répondu que ce serait honteux de ne pas commencer par moi-même : comment inoculer la variole sans donner l'exemple ?, a écrit Catherine, décrivant la situation à Frédéric II. Rester en danger toute votre vie avec des milliers de personnes, ou préférer un danger moindre, très court, et sauver beaucoup de monde ? J'ai pensé qu'en optant pour ce dernier, j'avais fait le bon choix », écrit Catherine.

Comment se passait l'inoculation ?

Catherine a confié la tâche de trouver un médecin capable de la vacciner contre la variole à Nikita Panine, qui venait de perdre sa fiancée à cause de la maladie. Le médecin a été trouvé en Angleterre - Thomas Dimsdale, auteur d'une brochure récemment publiée sur une nouvelle méthode de vaccination - l'inoculation. L'envoyé russe en Angleterre a donc envoyé chercher Dimsdale et l'a invité en Russie. « J'ai été informé par des indices qu’en plus des bénéfices pour l'empire tout entier liés à cette invitation, certaines personnes du plus haut rang feraient probablement l'objet de mon voyage », a écrit Dimsdale.

En 1768, Dimsdale se rend en Russie avec son fils Nathaniel. En arrivant à Saint-Pétersbourg, ils ont trouvé un hôpital organisé dans l'une des maisons de la ville, équipé des bases nécessaires à la vaccination. Dimsdale a d'abord proposé à Catherine de tester sa méthode sur des femmes de son âge et de sa stature, mais l'impératrice a refusé net - cela aurait pris trop de temps. Dimsdale a ensuite vacciné quelques cadets - cependant, aucune des expériences n'a réussi. Soudain, l'impératrice a exigé de la vacciner sur le champ.

>>> Comment les tsars de Russie réagissaient-ils face aux épidémies mortelles?

La méthode de vaccination par soi-disant inoculation était connue en Inde depuis l'Antiquité. 10 à 15 minuscules coupures étaient pratiquées sur la peau, de sorte que le sang n'apparaissait qu'à peine, et l'endroit était ensuite recouvert d'un morceau de tissu imbibé d'une solution d'eau et de liquide prélevé sur des pustules de variole. Cette méthode, populaire en Orient, a été introduite en Angleterre en 1718 depuis l'Empire ottoman par Lady Mary Wortley Montagu, épouse de l'ambassadeur d'Angleterre à Constantinople, qui avait vacciné ses enfants avec succès.

C'était la méthode utilisée par Dimsdale avec Catherine la Grande le 12 octobre 1768. Le matériel d'inoculation a été prélevé sur un garçon de 6 ans, Sacha Markov. La nuit, endormi, enveloppé dans une couverture, Sacha a été amené au palais impérial, acheminé par un passage secret vers les appartements de Catherine. Du bras du garçon au bras de Catherine, une lymphe infectée a été transférée. Immédiatement après, Catherine est partie pour Tsarskoïe Selo.

Le dossier de l’impératrice

L’impératrice était suivie par Thomas Dimsdale et son fils. Le médecin a tenu un journal sur l’état de Catherine : « La nuit après la vaccination, l’impératrice a bien dormi, il y avait une légère douleur et le pouls s’est accéléré. L'état général est excellent. La nourriture était composée de ragoût, de légumes et de viande de poulet ».

Le 18 octobre, Catherine a eu de la fièvre et a perdu l'appétit. Des pustules de variole ont commencé à se former sur son corps et, même si elle était faible et avait mal à la gorge, 10 jours plus tard, le 28 octobre, elle avait complètement récupéré. Dimsdale n’a pas eu besoin de fuir en calèche - le 1er novembre, Catherine était de retour à Saint-Pétersbourg, acceptant les félicitations de sa cour. Le même jour, Pavel Petrovitch, le futur Paul Ier, a été vacciné, également avec succès.

>>> Comment l’URSS mettait-elle fin aux épidémies de maladies mortelles?

Dimsdale et son fils ont été somptueusement récompensés - ils ont tous deux reçu les titres de barons russes et ont reçu 1 000 £ en récompense, 2 000 £ « pour le retour », et chacun d’eux une pension annuelle de 500 £. C'était une somme énorme - par exemple, un valet de pied anglais gagnait 8 £ par an au XVIIIe siècle, un cocher jusqu'à 26 £ et la somme annuelle versée à un 1er Lord de la Trésorerie était de 4 000 £.

Les Dimsdale, cependant, n’ont pas quitté la Russie avant d’avoir vacciné la plus haute noblesse. À Saint-Pétersbourg, Dimsdale a utilisé le matériel biologique obtenu de l'impératrice et du grand-duc eux-mêmes - ainsi, les nobles russes ont été libérés des préjugés liés à la vaccination, car ils s’étaient vu inoculer les fluides du corps de l'impératrice en personne. Si Sa Majesté le faisait, qui oserait ne pas suivre son exemple ? Dimsdale s'est ensuite rendu à Moscou et y a vacciné, comme il l'a écrit, plus de 50 nobles. En quittant la Russie, Dimsdale a emporté avec lui une imposante collection d'œuvres d'art que les nobles russes lui avaient décernées en récompense pour l'inoculation - selon les coutumes de l'époque, ils ne pouvaient pas verser à Dimsdale, désormais baron russe, de l'argent, alors ils le « payaient » avec des cadeaux extravagants.

À son retour en Angleterre, Dimsdale était si riche qu'il a ouvert une clinique de vaccination antivariolique et une banque. Il est retourné en Russie en 1781 pour vacciner Konstantin et Alexandre, les fils de Paul.

Dans cette publication découvrez les trois pires épidémies de l'histoire de Russie.