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« Des dizaines, des centaines de milliers de chrétiens sont battus comme de la gale nuisible, ils sont rayés de la surface de la terre. Sous les yeux de leurs frères mourants, les sœurs sont déshonorées ; sous les yeux des mères, on jette leurs enfants en bas âge et on les transperce avec des baïonnettes ; les villages sont détruits, les églises rasées »- c'est ainsi que Fiodor Dostoïevski a réagi avec émotion à la répression brutale par les Turcs de l’insurrection d'avril 1876 en Bulgarie.
À la fin du XIX siècle, l'Empire ottoman avait depuis longtemps perdu sa puissance et sa gloire d’antan. La Roumanie, la Serbie et le Monténégro s’étaient de fait affranchis du pouvoir des sultans. Pas encore officiellement reconnus dans le monde, conservant des obligations vassales et tributaires envers les Turcs, ils étaient dans les faits devenus des États indépendants. Les Bulgares ont eu moins de chance. Vivant à proximité immédiate du cœur de la Sublime porte, ils ne pouvaient pas recréer leur État et toutes leurs tentatives de lutte pour la libération ont été violemment réprimées.
Ce déferlement de cruauté envers les Bulgares a provoqué une vague d'indignation dans le monde, y compris au sein de l'Empire russe. Lorsqu'en octobre 1876, la Serbie-et-Monténégro a déclaré la guerre à l'Empire ottoman, plus de cinq mille volontaires russes sont partis combattre les Turcs. « Le propriétaire terrien, le moujik, le soldat à la retraite, l'officier sont tous allés à la guerre, où le sang russe coulait à côté de celui des frères serbes », a écrit un contemporain anonyme de ces événements. (S. Kotchoukov. Un soldat russe dans la crise des Balkans du milieu des années 70. Saratov, 2011). Cependant, la guerre s'est soldée par une défaite pour les alliés.
L'année suivante, la Russie est entrée en guerre contre les Turcs. Le rôle clé n'a pas été joué par le pouvoir, mais par l’opinion publique ce qui a littéralement forcé l'empereur Alexandre II à remplir son devoir moral envers le peuple frère et à punir les cruels Turcs. « À la guerre! Nous sommes plus forts que tous ! », a martelé Dostoïevski.
Le 24 avril 1877, l’armée russe de deux cent mille hommes, avec six brigades de volontaires bulgares, est entrée sur le territoire de la Roumanie alliée afin de traverser le Danube avant d’entrer en Bulgarie ottomane en juin. « Arracher aux Turcs ce pays, la Bulgarie, où ils ont commis tant d'atrocités » - c'est ainsi que le but de la guerre a été décrit dans les documents officiels de l'état-major. (Guerre russo-turque: regards russe et bulgare. 1877-1878. Recueil de mémoires. Moscou, 2017)
La première période de la guerre a été marquée pour des succès pour l'armée russe. Les troupes ont rapidement pris la forteresse stratégique de Nikopol et atteint l’important col Chipkinski menant à travers la chaîne des Balkans, ouvrant une route directe vers Constantinople (Istanbul).
Pour réaliser une avancée décisive vers la capitale, cependant, il n'y avait pas assez de réserves. De plus, les Turcs ont joué aux Russes un mauvais tour. L'armée turque d'Osman Pacha, forte de 20 000 hommes, a occupé la ville de Plevna de manière inattendue, gênant ainsi la poursuite de l'offensive russe et menaçant leur passage sur le Danube. « Si les Turcs étaient plus mobiles, notre armée pourrait, au mieux, être chassée de l’autre côté du fleuve et, au pire, y couler », a écrit le célèbre peintre de bataille Vassili Verechcthaguine, qui a participé à cette guerre.
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Les combats ont eu lieu non seulement dans les Balkans, mais aussi dans le Caucase. Cependant, concentrés sur la Bulgarie, les Empires russe et ottoman considéraient ce théâtre d'opérations comme secondaire. Un épisode héroïque de cette campagne a été la défense de la forteresse de Baïazet par une petite garnison russe (1 500 personnes). Pendant 23 jours, elle a repoussé les attaques d'un ennemi plus nombreux (20 000), jusqu'à sa libération.
Août 1877, lorsque les Turcs tentent de prendre l'initiative, a constitué un test sérieux pour l'armée russe. L'armée turque, forte de 40 000 hommes, a attaqué le col de Chipka, protégé par seulement 7 000 hommes des détachements russo-bulgares. Les défenseurs ont repoussé l'attaque avec de lourdes pertes pour eux-mêmes (2 500 personnes) et pour l'ennemi (6 000).
Le moment clé de la confrontation russo-turque a de nouveau eu lieu à Plevna. La ville, qui a résisté à plusieurs assauts sanglants, a tenu jusqu'au début de l'hiver, jusqu'à ce que les troupes russes coupent la route de Sofia, le long de laquelle la garnison était approvisionnée. Le 10 décembre, Osman Pacha a fait une percée, mais, ayant échoué, a capitulé.
Après avoir finalement pris Plevna, le commandement russe a décidé de façon inattendue de ne pas prendre ses quartiers d'hiver et de mener une offensive à grande échelle sur tous les fronts. Cette décision a été appuyée par le net avantage des effectifs sur le théâtre des Balkans - 554 000 Russes et 47 000 soldats roumains contre 183 000 Turcs. De plus, après la chute de Plevna, la Serbie est à nouveau entrée en guerre.
Au cours de l’offensive, les Turcs ont été vaincus à Philippopolis (aujourd'hui Plovdiv), abandonnant sans combat Andrinople (Edirne), et les troupes russes ont approché de Constantinople. À ce moment-là, la Grande-Bretagne est intervenue dans le conflit, affirmant que l'occupation (quoique temporaire) de la capitale ottomane était inacceptable. Le 13 février, l'escadron de l'amiral Hornby, composé de six cuirassés et d'une frégate, est entré dans les Dardanelles et a jeté l'ancre dans la mer de Marmara.
La Russie, qui n’était pas prête à une guerre de grande envergure contre les Britanniques, a fait la paix avec les Turcs dans la ville de San Stefano le 3 mars 1878. Selon l’accord, l'Empire ottoman lui cédait une partie des territoires du Caucase et des Balkans, accordait l'indépendance de la Roumanie, de la Serbie et du Monténégro, ainsi que l'autonomie de la Bosnie-Herzégovine. Mais la condition principale de la paix était la reconstruction de l'État bulgare, qui comprenait de vastes territoires de la mer Noire à la mer Égée. Les premières années, la Bulgarie était censée être placée sous contrôle direct de la Russie.
Les pays européens ont été choqués par un si net renforcement des positions russes dans les Balkans. Les Russes avaient désormais accès à la mer Méditerranée via leur satellite, la Bulgarie. Inspirée par les Britanniques, une coalition antirusse se développait rapidement, ce à quoi l'ambassadeur de Russie à Constantinople, Nikolaï Ignatiev, a rétorqué : « L'Europe ne nous a donné le droit que de battre les Turcs, de verser du sang russe et de dépenser de l'argent russe, mais en aucun cas d’en retirer à notre discrétion de quelconques profits ni pour nous-mêmes, ni pour nos compagnons de foi ». (Guerre russo-turque: regards russe et bulgare. 1877-1878. Recueil de mémoires. Moscou, 2017)
La Russie, confrontée à la menace d'une guerre contre une Europe unie, a été contrainte d'accepter de réviser les termes du traité de paix de San Stefano lors du congrès international de Berlin en 1878. L'indépendance de la Roumanie, de la Serbie et du Monténégro a été réaffirmée, bien que leurs revendications territoriales initiales aient été sévèrement limitées. Au lieu de l'autonomie, la Bosnie-Herzégovine a été occupée « temporairement » par les forces austro-hongroises. En moins de 20 ans, la région est officiellement tombée sous le pouvoir de Vienne.
L'apparition d’une Grande Bulgarie n'a pas eu lieu. Au lieu de cela, une principauté vassale, dont les territoires avaient été amputés et avec pour centre de Sofia, ainsi qu’une province autonome de l'Empire ottoman – la Roumélie orientale - ont été établies. Ainsi, la Russie a perdu son débouché sur la Méditerranée. Pour son aide dans la révision des conditions du traité de San Stefano, la Sublime porte a transféré Chypre à la Grande-Bretagne.
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