Quand les escargots de Bourgogne partent à la conquête de lacs russes

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Lancé en 2019 sous le nom Escargots d’Or, un projet gastronomique franco-russe de ramassage et de production d’escargots prend depuis de l'ampleur et vise à conquérir le cœur des gourmets. Russia Beyond a rencontré Alexey Korochkine, le premier escargotier de Russie, qui développe une nouvelle niche dans le secteur agricole russe avec son partenaire – le chef cuisinier français Thierry Ferrand.

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Non loin de la frontière avec la Biélorussie, dans le sud de la région de Pskov, connue pour ses forêts impénétrables, un nombre incalculable de lacs et sa nature intacte, une petite ferme artisanale surgit dans le village de Kouzmino. Il y a deux ans, Alexey Korochkine, un grand amateur de France, en compagnie de sa femme Natalia, a décidé d’y acheter un terrain d’un hectare avec une petite izba, une maisonnette traditionnelle russe avec des contrevents en bois et sans commodités modernes, pour y démarrer son entreprise de ramassage élevage d’escargots de Bourgogne.

L’amour de la langue française comme point de départ

« La langue française et la France elle-même m’ont amené à travailler d’abord dans le domaine du tourisme, et après dans la gastronomie, nous relate Alexey, ancien professeur de la langue de Molière, les détails de son parcours professionnel. À force de travailler avec des touristes, j'ai parcouru toute la France, en visitant de multiples restaurants où j'ai eu l'occasion de goûter les produits et des plats français. Au fil du temps, j’ai appris à m’y orienter ». En outre, son partenariat de longue date avec le Français Thierry Ferrand, qui s’est transformé en solide amitié, lui a permis de se plonger dans les secrets familiaux de la cuisine traditionnelle française. Ainsi, aspirant à appliquer ces secrets subtils en pratique, Alexey s’est retrouvé dans le rôle d'apprenti à la cuisine de Thierry, diplômé de l'institut Paul Bocuse et dont la famille compte une pléiade de chefs reconnus.

Restituer un lien d’antan

Depuis déjà quelques années, le duo a cherché une niche gastronomique à occuper afin de relier la France et la Russie, tout en permettant de faire découvrir à la clientèle russe la cuisine française d’une nouvelle manière. Après avoir initialement envisagé d'ouvrir un restaurant français à Moscou, ils ont finalement décidé de lancer « une production de délicatesses ». Comme s’en souvient l’escargotier : « Je travaillais sur ce projet [d’un restaurant] juste un an avant la pandémie, mais, heureusement, Thierry ne l'a pas soutenu. Après tout, le secteur de la restauration a subi de lourdes pertes pendant ce temps ». Il leur a donc fallu du temps pour choisir une spécialité spécifique à promouvoir et produire. Alors que le choix de l’escargot ne semble pas trop évident, surtout pour le marché russe, Alexey y voit « un symbole classique de la cuisine française » qui mérite d’être bien présenté en Russie.

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L’apparition de la recette des escargots de Bourgogne, telle que nous la connaissons aujourd'hui, remonte en fait au début du XIXe siècle et relie directement la Russie et la France. L’histoire veut que le plat ait été servi pour la première fois lors de l’accueil du tsar Alexandre Ier par le ministre des Affaires étrangères Talleyrand en 1814, en Bourgogne. « J’ai appris cette histoire en regardant la télé française. Il s’avère que l'arrivée tardive du tsar a mis le chef de Talleyrand, le renommé Antoine Carême, dans l’embarras. Il n'y avait plus de plats préparés, mais il fallait servir les invités de haut rang. Les escargots sont venus à la rescousse ! », nous raconte Alexey cette merveilleuse coïncidence. Après avoir recueilli des escargots dans son propre jardin, Antoine Carême a par conséquent préparé une sauce à partir des ingrédients à portée de main : du beurre, de l'ail et du persil. Le plat a tellement plu à Alexandre Ier qu'à son retour en Russie, il a demandé à son chef de lui cuisiner des « escargots de Bourgogne », inscrivant ainsi l’appellation de la recette à demeure pour les siècles à venir.

La migration des escargots vers l’Est de l’Europe

Le choix de lancer cette entreprise dans la région de Pskov est dû au fait qu'aujourd'hui il s’agit de la principale zone géographique où demeure l’espèce Helix Pomatia, plus connue sous son nom vernaculaire d’escargot de Bourgogne. « La cueillette des escargots est un art, comme avec les champignons, il faut connaître les endroits, nous raconte Alexey. Après avoir appris que c'est de là que vient l'exportation active d'escargots en France, nous sommes partis tout de suite avec ma femme sur place. C’était la fin de février 2020 et il n’y avait pas beaucoup de neige. Dès que j’ai vu des coquilles autour de la maison, nous y sommes restés. C’était une chance, car aussitôt le confinement national a été mis en place ».

Toute l'année 2020 s'est donc déroulée sous les auspices de la recherche et de l'essai. Il était nécessaire d'organiser d’abord la ferme elle-même, c’est-à-dire d'acheter tous les matériaux et équipements nécessaires, ainsi que d'élaborer des recettes et de trouver de bons ingrédients. Un point important était le processus de collecte des escargots : l'autorisation officielle de la cueillette de la part des autorités locales a été obtenue en mai et les habitants du village y participent désormais activement pendant la saison d’été. Alors que cette composante sociale de l'entreprise permet de revitaliser un peu le village, il est fort probable que le projet « Escargots d’Or » ait également un impact sur la législation environnementale. « Mon ambition est de construire une entreprise à long terme. À cet égard, la question de la collecte réglementaire me préoccupe beaucoup. Nous ne récoltons que des escargots en âge de procréer de 3 à 5 ans afin que la population ne diminue pas. Cette approche diffère de tous les autres cueilleurs qui travaillent surtout pour l'exportation », explique Alexey à Russia Beyond.

Alors que les conditions climatiques aux frontières occidentales de la Russie sont favorables aux escargots, le succès de la fabrication des escargots de Bourgogne en dépend beaucoup. Comme nous explique Alexey : « la pluie est parfaite pour la collecte, mais mauvaise pour le séchage. Nous avons essayé de sécher [les coquilles] au four, mais ce n'est pas la même chose qu'au soleil. À l'heure où il fait très chaud, il est très difficile de recueillir, mais c’est merveilleux pour le séchage ». Une autre difficulté sur le chemin du développement de cette entreprise, selon Alexey, est la spécificité du produit lui-même, à savoir sa faible notoriété sur le marché russe parmi la masse des consommateurs. « Nous sommes conscients qu'au-delà du contrôle de la qualité, ce produit doit être promu », reconnaît l'initiateur du projet.

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D’une petite ferme artisanale à des restaurants de renom

Les premières ventes directes de la délicatesse ont débuté avant les vacances du Noël catholique de 2020. Tous les expatriés français en Russie se sont réjouis : « Enfin ! C’est ce qui nous manquait » et petit à petit, le bouche-à-oreille a permis à la clientèle d’« Escargots d’Or » de grandir de jour en jour, explique notre interlocuteur. Aujourd’hui, la compagnie d’Alexey et Thierry a le grand honneur de servir la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe, Atout France et certaines structures officielles françaises. « En 2020, il s’agissait plutôt des commandes de clients privés. Durant cette année, la croissance des ventes a été de 20 fois plus par rapport à l’année 2020. Nous avons aussi commencé à coopérer avec les restaurants français à Moscou et Smolensk, comme Le Carré et le bistro Bonjour-Toujours, ainsi qu’avec les services de traiteur », nous révèle les détails Alexey.

Enfin, au cours de l'année qui frappe déjà à la porte, la ferme Escargots d’Or et sa production sont en attente d'expansion et de professionnalisation. Soutenue par le comité régional d’agriculture avec la subvention AgroStartUp, la ferme déménagera en 2022 dans un bâtiment de production doté d’équipements plus professionnels et situé dans le village d’Opoukhliki, afin de ne plus dépendre des conditions climatiques. « C’est un soutien financier dont on avait vraiment besoin. Bien que dans un cadre de ce genre on donne la préférence aux productions laitières, nous avons pu démontrer l’unicité de notre projet. C’est à la fois beau, nouveau et intéressant, mais cela concerne aussi les questions de la substitution des importations, politique entreprise par la Russie en réponse aux sanctions économiques, et de l'écologie. Et à l'avenir, il pourrait bien s'agir aussi d'exportations [des escargots] et même d'écotourisme », nous dévoile Alexey ses anticipations.

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