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« Tomber sur la dégustation du fromage russe, accompagné de vin russe, en se promenant au centre de Paris - c’est tout simplement extraordinaire ! », s’est exclamée une touriste française en visite dans la capitale, que nous avons rencontrée au Centre spirituel et culturel orthodoxe russe.
À l’occasion du salon du Fromage et des produits laitiers qui s’est tenu à Paris fin février, le Centre russe du quai Branly a proposé aux fermiers venus de la plus grande contrée du monde de présenter durant une semaine leurs produits artisanaux. Cette exposition-dégustation fut un véritable succès mais aussi une révélation : les Russes ont appris à faire un excellent fromage fermier selon les technologies françaises, mais aussi suisses, italiennes, grecques et autres.
Maria Tchobanov
La fabrication artisanale de produits alimentaires est encore un domaine assez jeune en Russie. La voie vers la réussite relève souvent d’un vrai parcours du combattant.
Iouri Lechan, ingénieur physicien de formation, a travaillé pendant 16 ans en tant que professeur de physique et de mathématiques et directeur adjoint du principal d’une école dans le Nord de la Russie, dans la ville de Nijnevartovsk. Il y a trois ans, avec sa femme Natalia et leurs trois enfants, ils décident de se rapprocher de la famille et s’installent dans la région de Lipetsk, dans le village de Rogojino (400 km au sud de Moscou).
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En 2016, la famille achète des chèvres, construit une fromagerie et se lance dans la fabrication de fromage de chèvre. Cette décision est venue après un voyage en Italie, où le couple a goûté pour la première fois les fromages de qualité et a découvert leur diversité. « En Russie nous n'avons jamais mangé ni même vu ce genre de produit, nous sommes tout de suite littéralement tombés amoureux des fromages fermiers », raconte Iouri. Convaincue qu’elle ne pourrait jamais trouver des fromages semblables à proximité, la famille Lechan se lance donc dans l'aventure.
Iouri enchaîne les voyages de formation dans des fromageries en Italie, en France et en République tchèque. « Ce n'était pas facile d’acquérir les connaissances, car les fabricants ne vous racontent pas tout, ne dévoilent pas tout, et leurs technologies locales ne peuvent pas toujours être reproduites exactement en Russie, car les conditions et les matières premières sont différentes. Les exigences des stations sanitaires et épidémiologiques et les exigences vétérinaires varient en fonction des pays. En Russie, les normes sont beaucoup plus strictes, qu’en Europe », affirme le jeune fermier. Il a également suivi une formation à Moscou, mais son professeur le plus efficace fut sa propre expérience et le désir d'obtenir un résultat.
Il a fallu jeter plusieurs dizaines de kilos de caillé raté avant de comprendre et d’éliminer les raisons de ces échecs, dont la plus importante fut la mauvaise qualité du lait, bourré d'antibiotiques, qui empêchaient le caillage recherché. Aujourd’hui, tout le lait est contrôlé par le laboratoire de la ferme, qui transforme 300 litres de lait de chèvre et de vache par jour, produisant environ une tonne de fromage par mois. Il y a des fromages à pâte dure et semi-dure, à pâte molle, des fromages frais et doux affinés – 16 variétés au total. La plus grosse partie de la production est constituée de fromages de type gouda, cheddar et tomme.
« Ce n’est pas notre assortiment définitif, nous sommes toujours en train de chercher et de nous adapter à la demande, à la conjoncture du marché », souligne Iouri. La famille de fermiers vend sa production via une plateforme en ligne qui regroupe des articles de plusieurs producteurs artisanaux à travers le pays, ainsi que dans un magasin spécialisé de produits agricoles à Moscou, ville où le pouvoir d’achat est nettement plus important qu’ailleurs en Russie. Il faut dire que le fromage artisanal reste un produit de luxe pour le consommateur moyen. « Il ne peut tout simplement pas être bon marché, étant donné son coût. Mais nos clients ne sont pas forcément des gens riches, mais aussi ceux qui préfèrent manger des produits naturels de haute qualité, même si ce sont des petites quantités », explique Iouri Lechan.
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Notre interlocuteur avoue qu’être un petit producteur en Russie n'est pas si simple, mais selon ses dires, dans les régions, les gouvernements locaux soutiennent les agriculteurs par le biais de subventions. C’est grâce à ce système, que le couple a pu acheter le matériel pour sa fromagerie. De plus, les autorités de la région de Lipetsk offrent aux fermiers la possibilité de promouvoir leur travail et leurs produits dans des émissions thématiques à la radio.
« En produisant nos fromages, nous contribuons également au développement de la production de lait de haute qualité, puisque nous l'achetons régulièrement et sommes prêts à en acheter davantage. Actuellement, il y a une pénurie de bon lait à cause du nombre grandissant des fermiers qui le transforment, donc cela encourage les agriculteurs à augmenter les volumes de production », note Iouri Lechan.
Aujourd’hui, la demande dépasse les capacités de production de la famille Lechan. La fromagerie se retrouve régulièrement en rupture de stock. Dans le contexte des contre-sanctions, la demande de produits locaux ne cesse de grandir, mais Iouri est convaincu que même après l’annulation des sanctions la situation ne changera pas radicalement, car les fermiers russes ont su fidéliser les consommateurs exigeants, à la recherche d’excellence. « C'est la première fois que je présente mes produits à l'étranger et je suis très satisfait de la réaction des visiteurs français et russes à notre exposition-dégustation au Centre culturel russe. J’ai visité le salon professionnel du fromage, j’y ai goûté presque tout et je suis convaincus que notre fromage n'est pas pire, et souvent même meilleur que certains produits présentés au salon. Bien sûr, le fromage russe est différent du français et de l'italien, car la composition du lait est différente, mais tant mieux », se réjouit Iouri.
Les Lechan ont l'intention d'augmenter les volumes de production, mais devront demander des subventions, le chiffre d'affaires d'une petite ferme familiale étant très faible et les fonds de développement insuffisants. Par ailleurs, il y a d'autres freins, souligne Iouri : le manque de main d’œuvre qualifiée et de lait de qualité.
Nous avons rencontré à l’occasion de l’exposition au Centre spirituel et culturel orthodoxe russe également notre ancienne connaissance, Vladimir Borev. Ce journaliste et francophile converti en fromager il y a cinq ans, fut un des pionniers de l’introduction des technologies fromagères artisanales françaises en Russie, y compris de la fabrication de fromages à partir du lait non pasteurisé, particularité à laquelle il tient beaucoup. Pour sa persévérance, la qualité de son travail et sa fidélité aux idéaux de la profession, en 2016 Borev a été élevé au grade de chevalier de la Confrérie des Chevaliers du Taste-Fromage de France, une institution qui réunit les meilleurs représentants de la filière fromagère française.
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Dans sa ferme, Syr-bor construite dans le village de Maslovka (région de Lipetsk, à environ 500 kilomètres au sud-est de Moscou), en voie de disparition au moment de l’arrivée de l’entrepreneur, Vladimir a créé une petite oasis de l'agriculture écologique de subsistance, où les anciennes traditions des artisans agricoles français coexistent avec les codes culturels de la noblesse et de la paysannerie russes. La ferme possède ses propres troupeaux de chèvres et de vaches, qui pâturent sur des prairies de la réserve écologique dans le district de Dankovski. La traite se fait manuellement, tandis que le lait est caillé avec un ferment importé de France. Le village, autrefois spécialisé dans la production de beurre, possède de nombreuses caves voûtées en pierre du XIX siècle, où les fromages de la marque BeauRêve (en accord avec le nom de famille de Borev) sont déposés pour l’affinage.
Vladimir Borev se rend régulièrement en France pour participer aux concours professionnels et se mesurer au côté des meilleurs représentants de l'industrie. En 2018, au concours régional des fromages de chèvre fermiers de Niort, qui a lieu tous les deux ans, les fromages de la ferme Syr-bor de Maslovka ont reçu deux médailles d'or, une d'argent et deux de bronze, lors d’une dégustation à l’aveugle, à laquelle 250 fabricants ont soumis leurs produits.
« Nous organisons souvent toutes sortes de dégustations en France, car le diapason français est très important pour nous, pour la pureté de notre son. Nous voulons travailler dans la tradition de la fromagerie fermière française, il est primordial d'avoir une évaluation constante de la qualité de nos produits par les Français. Nous devons maintenir le niveau, nous ajuster, apprendre constamment », explique Vladimir.
Le fermier se dit satisfait de l'état actuel de son entreprise et ne souhaite pas changer son mode de production en faveur de la quantité. « Nous voulons rester une petite entité de production, nos volumes augmentent lentement à mesure que notre troupeau se développe naturellement. Nous ne produisons du fromage qu'à partir de notre propre lait de vache et de chèvre. Cela n’empêche pas de proposer environ 20 variétés de fromage à nos clients », affirme Borev.
Vladimir et Iouri sont membres de l'Union des fromagers de Russie, une association fondée il y a deux ans dans le but de combiner l'excellence professionnelle et qui réunit aujourd’hui environ 500 exploitations. Ils utilisent principalement les technologies françaises, suisses et italiennes. « Beaucoup de projets agricoles en Russie souffrent de gigantisme. D'immenses exploitations agro-industrielles voient le jour un peu partout dans le pays et, comme des éléphants, écrasent la terre et les gens qui vivent sur ces terres. L'Union comprend de petites exploitations agricoles et nous avons une idéologie complètement différente pour le développement de l'agriculture. Nous portons une attention particulière à la terre, aux gens et aux animaux. Mais un produit de qualité ne peut être fabriqué qu'à l'aide de subventions. Le profit ne peut être dû qu'à la détérioration de la qualité, et ce n'est pas notre philosophie. La nourriture saine ne peut pas être bon marché. Et sa production ne peut pas être qualifiée de business, car elle n'est pas rentable », avoue Borev.
L'exploitation Syr-bor emploie 10 personnes qui assurent l'intégralité du cycle de production, du vêlage des animaux à la mise en œuvre du produit fini et à sa promotion. La ferme possède également un musée du fromage français, qui attire de nombreux visiteurs.
Du 21 au 30 avril, Vladimir Borev reviendra à Paris avec des gâteries traditionnelles de Pâques, et promet d'amener d'autres agriculteurs qui proposeront davantage de produits biologiques de haute qualité.
Dans cet autre article, des spécialistes français se penchent sur l’avenir de la production fromagère en Russie.
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