En Russie, contourner l’embargo alimentaire est un business juteux

Image d'illustration.

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Getty Images
Malgré l’embargo introduit par la Russie sur certains produits importés en réaction aux sanctions décrétées par les pays occidentaux, il est possible de trouver dans le pays du parmesan italien, du brie français, du jambon ibérique et du fromage hollandais. RBTH a mené l’enquête pour savoir qui et comment livre ces produits sur le marché russe.

La Russie pourrait introduire des amendes contre les personnes morales qui transportent, stockent et vendent des produits alimentaires soumis à un embargo en 2014, en réaction aux sanctions décrétées contre Moscou après le changement du statut de la Crimée. Un projet de loi approprié a été soumis le 1er février dernier par la structure de contrôle sanitaire de Russie, Rosselkhoznadzor. Toutefois, il est d’ores et déjà évident que les amendes qui sont proposées seront incapables de modifier la situation, les fournisseurs ayant appris depuis longtemps à contourner l’embargo.

« La Russie connaît un grand nombre de schémas permettant d’importer +en douce+ des produits, ce qui voue pratiquement à l’échec l’initiative de Rosselkhoznadzor, indique Denis Frolov, partenaire de la société juridique BMS Law Firm. Il est peu probable que la situation change même en cas de responsabilité pénale pour violation du régime des sanctions », renchérit Maxiem Tafintsev, partenaire de Maalouf Ashford & Talbot.

Par la poste

« Selon la législation, chaque Russe a le droit d’importer jusqu’à 5 kilos de produits interdits pour sa consommation personnelle. Il n’est pas obligatoire de ramener ces produits dans ses bagages, il est possible de les envoyer à son adresse par la poste, raconte à RBTH la Moscovite Marina Bezroukova (le nom a été modifié), 29 ans, qui tient un petit magasin en ligne vendant des produits italiens. L’idée est de se faire envoyer un colis par un partenaire, par exemple, en Italie, qui remplit tous les formulaires à mon nom et cite les données de mes papiers, ce qui fait que je reçois mon propre colis », précise Marina.

« Mon mari étant Italien et habitant Reggio d’Émilie où se situe une fromagerie qui fabrique du parmesan, il achète du fromage et me l’envoie par la poste », poursuit-elle. Pour organiser son petit business, Marina a créé un site russophone avec un nom de domaine international et diffuse les informations via des amis. Son mari a obtenu les documents d’autoentrepreneur en Italie et paie officiellement un impôt de 40% sur le revenu. Le prix du parmesan peut ainsi doubler, voire tripler, car il tient compte non seulement de la marge commerciale et de la livraison par la poste, mais également du montant de l’impôt.

Dans les bagages

À Saint-Pétersbourg, qui n’est qu’à 200 kilomètres de la frontière de la Finlande, le schéma est un peu différent. Le réseau social russe VKontakte présente plusieurs groupes portant des appellations comme Fromages d’Europe ou Jambon d’Espagne qui ramènent les produits interdits de voyages en bus en Finlande.

« On forme un groupe de touristes qui achètent les produits et qui ramènent le poids autorisé maximal de bagages, soit 50 kilos par personne », note Anton Beliaïev (le nom a été modifié), 28 ans, propriétaire d’un groupe de vente de fromages dans Vkontakte. Le principe : rembourser à ces touristes tout ou partie du prix du voyage. Anton n’est pas enregistré comme entrepreneur et ne paie aucun impôt. Outre les réseaux sociaux, les produits interdits sont vendus sur le site d’annonces Avito.

Via la Biélorussie et le Kazakhstan

Les produits interdits sont souvent importés en plus grandes quantités de Biélorussie et du Kazakhstan, pays membres de l’Union douanière, pour les restaurants et les hôtels. « Du point de vue formel, les articles circulant entre la Russie et les pays de l’Union ne sont pas soumis à des inspections douanières », indique l’avocat Maxime Tafintsev. Et même si Rosselkhoznadzor a fait en sorte que les chargements importés depuis ces pays soient contrôlés, les quantités de produits interdits parvenant à être importées restent assez conséquentes. En outre, en déclarant les marchandises à la douane, les fraudeurs changent souvent les codes pour faire passer les articles interdits pour des produits autorisés, ajoute le juriste Denis Frolov.

Via la Crimée

La péninsule de Crimée a intégré la Russie, mais l’intégration au système douanier russe n’est toujours pas achevée, rappelle Maxime Tafintsev. Et les douanes de Crimée ne possèdent pas les ressources requises pour contrôler toutes les marchandises. « Pour l’instant, l’importation de marchandises depuis l’Ukraine n’est pas interdite et différents produits, notamment soumis à l’embargo, peuvent se retrouver en Crimée et poursuivre leur chemin à travers toute la Russie », poursuit-il.

En « transit »

Selon Denis Frolov, il est difficile de suivre la circulation des marchandises en transit en Russie, ce qui fait que ce schéma est appliqué lui aussi. « L’article voyage d’Europe par exemple à destination de l’Ouzbékistan, mais +se perd+ en Russie », explique-t-il.

La réexportation

Les produits en provenance de certains pays européens, par exemple la Suisse ou Saint-Marin, ne se sont pas soumis à l’embargo et peuvent être livrés librement en Russie. « Ainsi, les produits des pays frappés par l’embargo arrivent en Suisse où les étiquettes officielles sont remplacées afin qu’ils puissent poursuivre leur voyage jusqu’à notre pays », dit Maxime Tafintsev. Ce schéma de réexportation est également appliqué en Biélorussie, fait-il encore remarquer.

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