Des magasins toujours bien achalandés, mais des consommateurs obligés de surveiller les prix de près.
KommersantL’économie russe est dans le rouge. Elle s’est contractée de 4,2% entre juin 2014 et juin 2015 et le pouvoir d’achat des ménages a baissé de 9,2% sur un an en juillet dernier, selon l’Agence fédérale russe de statistiques Rosstat. Le niveau du rouble continue d’osciller au même rythme que les cours de l’or noir alors qu’en juillet l’inflation s’élevait à 15,6% sur un an.
On pourrait croire que tout cela découle des sanctions économiques occidentales décrétées après le rattachement de la Crimée à la Russie en mars 2014. Mais en Russie, au sein de la communauté d’affaires internationale, le son de cloche est différent. « Le problème, c’est la chute du rouble. Les sanctions, c’est une musique de fond qui permet d’entretenir un climat chauviniste », affirme le directeur général de la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe (CCIFR) Pavel Chinsky, tout en reconnaissant que les autorités russes « font un vrai effort pour tendre la main à ceux qui produisent localement et participent à la croissance ». En clair, si l’économie russe souffre, les sanctions n’en sont que partiellement responsables, puisque la croissance russe avait donné ses premiers signes de faiblesse avant leur introduction.
Une réalité économique plus complexe
Le problème de la Russie, c’est d’abord la chute des prix du pétrole, poste qui constitue l’essentiel des exportations russes et auquel la valeur du rouble est structurellement corrélée.
Pour le président de l’Association of European Businesses (AEB) en Russie, Philippe Pégorier, l’économie russe souffre d’un cocktail de facteurs défavorables. « Le prix du pétrole a un impact majeur sur les difficultés actuelles de l’économie russe ; vient ensuite la chute structurelle du PIB russe due au manque d’investissements dans les infrastructures ; et enfin, les sanctions », explique-t-il.
Toutes ces difficultés ont un avantage, estime encore Pavel Chinsky, « c’est que le thème de la modernisation de l’économie est désormais discuté sur la place publique » et n’est plus cantonné « à la rhétorique déclamatoire entendue dans les discours politiques depuis 2007 ».
Sans pouvoir parler de révolution, des progrès tangibles sont perceptibles : un poste de médiateur pour les entreprises auprès des autorités a été créé pour surmonter les blocages administratifs, une réforme du code du travail est en cours, des incitations étatiques pour les entrepreneurs sont apparues. Un véritable effort de gestion pour diversifier l’économie du pays et améliorer la gestion des grandes entreprises d’État a aussi été engagé.
Après une décennie de forte croissance, les restructurations à l’ordre du jour
« Les autorités russes ont pris conscience de l’obligation d’améliorer la gestion des entreprises publiques avec une nouvelle génération de dirigeants », commente Philippe Pégorier.
C’est ainsi qu’Igor Komarov a repris la direction de la Compagnie spatiale unifiée, après plusieurs échecs de l’industrie spatiale russe. De 2009 à 2013, il avait déjà restructuré le producteur automobile russe AvtoVAZ, avant la prise de contrôle du groupe par Renault-Nissan.
Après une décennie de forte croissance quasi ininterrompue, les entreprises qui ont des activités en Russie doivent se restructurer, revoir leurs circuits d’approvisionnement ou changer de modèle d’affaires pour s’adapter. Les expatriés connaissent un exode important. « Il y a moins de contrats, le marché est moins tendu et, du coup, il est plus facile de recruter des cadres russes que par le passé, d’autant qu’ils coûtent moins cher », indique Philippe Pégorier.
Le secteur automobile, dont les ventes ont été divisées par deux depuis leur sommet de 2012-2013, illustre très clairement les difficultés de l’économie russe car même si les voitures sont assemblées en Russie, beaucoup de composants viennent d’Europe, renchérissant une facture que le Russe moyen ne peut plus payer.
La Russie est devenue un pays bon marché
En juillet, les ventes de voitures ont baissé de 27,5% sur un an. Un chiffre qu’il faut néanmoins mettre en parallèle avec celui enregistré un mois plus tôt, -29,7%, et la diminution de 36% constatée au premier semestre. Si le groupe français PSA, dont les ventes sont en retrait de 60% pour Peugeot et de 68% pour Citroën, a institué des périodes de chômage technique pour s’adapter à l’évolution du marché, Opel, filiale de l’américain GM, a plié bagages et quitté la Russie.
Mais la dégringolade du rouble, donc du pouvoir d’achat des Russes, n’a pas que des effets négatifs. Elle a fait de la Russie un pays bon marché en quelques mois. Adidas vient, par exemple, de racheter 120 000 mètres carrés d’entrepôts dans la région de Moscou et des entreprises françaises comme Alstom ou Sanofi réfléchissent sérieusement à monter dans le capital de leurs partenaires russes en attendant que la machine reparte.
Vers une stabilisation ?
Pour l’heure, l’économie russe semble se stabiliser. La production industrielle reste en recul de 4,7% sur un an au mois de juillet 2015, mais cet indicateur progresse de 2,3% sur un mois. L’embargo décrété par Moscou sur les produits agricoles européens a certes permis d’amorcer la redynamisation du secteur agricole russe, « laissé pour compte depuis Eltsine », fait remarquer Pavel Chinsky, mais son faible poids dans l’économie russe, 3,4% du produit intérieur brut, n’explique pas, à lui seul, ce léger mieux. En revanche son influence sur les manifestations d’agriculteurs en Europe est évidente : les douanes françaises évaluent à 244 millions les pertes à l’exportation et la Fédération allemande des agriculteurs parle d’un milliard d’euros.
Seule inconnue, « la profondeur et la durée de la crise actuelle [qui] ne sont pas mesurables compte tenu des incertitudes qui entourent l’évolution des cours du pétrole, la demande russe et la situation en Crimée », souligne le président de l’AEB. Les entreprises européennes, dont les investissements en Russie atteignent 170 milliards d’euros, soit 75% des investissements étrangers dans le pays, « ont actuellement le sentiment d’être prises en otage », conclut Philippe Pégorier.
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