Karamazov à Lyon: «Une œuvre qu'il est important d'entendre aujourd'hui»

Jean Bellorini.

Jean Bellorini.

Guillaume Chapeleau
Nommé à la direction du Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis en 2013, Jean Bellorini a reçu deux Molières du théâtre public – ceux du meilleur spectacle et du meilleur metteur en scène – pour Paroles Gelées de François Rabelais. Depuis le début de sa carrière théâtrale, il met en scène des spectacles d'après les œuvres de grands écrivains russes, dont La Mouette et Oncle Vania d'Anton Tchekhov et Le Suicidé de Nikolaï Erdman. Du 30 mars au 7 avril 2017, il présentera Karamazov d'après l'œuvre de Dostoïevski au Théâtre des Célestins de Lyon.

RBTH : Au cours de ces dernières années, vous avez mis en scène plusieurs œuvres d'écrivains russes. En quoi consiste, à votre avis, le principal point de convergence entre le théâtre français et la littérature russe ?

J.B. : Pour répondre à cette question, il faut citer un extrait des Frères Karamazov qui me touche particulièrement : « C'est la souffrance qui est la vie ». On pourrait dire qu'autour de cette parabole-là, le théâtre français et la littérature russe se retrouvent. C'est comme si la littérature russe donnait la chance au personnage de se battre, plus encore qu'en France où l'on cultive les antihéros. Il me semble qu'il y a là une forme de différence profonde entre les personnages du théâtre français et ceux de la littérature russe. On n'a que des ratés en France, et dans la littérature russe, il y a des êtres qui se battent profondément.

Quelles sont les raisons qui vous ont conduit à mettre en scène les œuvres de Dostoïevski, Tchekhov et Erdman ?

Pour moi, Tchekhov est l'auteur de théâtre par excellence. C'est le théâtre qui me fait du bien, qui me rend plus vivant. Quant à Dostoïevski, c'est la question du Grand Inquisiteur qui m'a fasciné et que je trouve importante à dire aujourd'hui. C'est aussi pour sa violence, pour sa complexité que je trouve son œuvre magnifique, c'est comme la foudre. En ce qui concerne Erdman, il est un des auteurs qui se sont mis à écrire pour résister.

C'est donc la question de la résistance qui vous touche particulièrement.

Tout à fait, de résistance, mais de résistance joyeuse. Chez Erdman c'est tout cet humour désespéré et absolument drôle qui fait partie du « théâtre pour la vie ».

Avez-vous visité la Russie ?

Plusieurs fois. Et j'irai bientôt à Saint-Pétersbourg.

Et peut-être parlez-vous russe ?

Pas du tout ! (Rires) Absolument pas.

Connaissez-vous des metteurs en scène contemporains russes ?

Pas personnellement, mais Lev Dodine est pour moi le grand maître. Il m'a construit. J'étais allé voir tous les spectacles de Lev Dodine qui ont été accueillis en France.

Dans une interview vous dites qu'il y a « une nouvelle génération du théâtre français qui prend le pouvoir ». Quels sont les aspects de cette nouvelle génération et quel est le lien entre elle et la littérature russe ?

J'ai l'impression qu'en France, contrairement à la Russie, il y a eu de nombreuses années où le théâtre n'était plus l'endroit du récit. Et depuis quelques années, le récit redevient tout d'un coup le centre de l'axe théâtral, je pense, par exemple, à Thomas Jolly ou à Julien Gosselin. Et je crois que l'on va au théâtre pour entendre des histoires et raconter des histoires ensemble. Et de là on peut construire un regard sur le monde.

Jean Bellorini. / Guillaume ChapeleauCrédit : Guillaume Chapeleau

Du 30 mars au 7 avril vous présentez Karamazov au Théâtre des Célestins de Lyon. Il s'agit d'une adaptation de l'œuvre  de Dostoïevski, pourquoi l'avez-vous choisie ?

Parce que c'est une œuvre qu'il est important d'entendre aujourd'hui, car elle parle du monde, du rapport à la religion, du rapport au savoir, à la folie. Parce qu'il y a cette sensation que Dieu nous a abandonnés et nous avait fait libres de nos choix, nous a rendus fous.

Et c'est un peu ce retour-là que je sens dans la société moderne, cette sensation d'absence, de repère, qui fait qu'on retourne à des extrémismes, à des religions extrêmes. Il y a un danger flagrant et une volonté de liberté absolue, et Dostoïevski le décrit parfaitement avec ces paraboles du Grand Inquisiteur, où tout d'un coup on dit au Christ : « Ça fait trois mille ans qu'on t'attend, pourquoi t'es là ? », et cette sensation qu'il nous abandonne une deuxième fois.

Contrairement à Tchekhov et Erdman, Dostoïevski n'est pas un dramaturge. Pourquoi avez-vous opté pour la mise en scène d'un roman plutôt que d'une pièce de théâtre ?

J'aime toujours travailler avec les acteurs à partir d'un texte, pas forcément d'une pièce. Parce que les acteurs se réapproprient le spectacle. On construit des spectacles ensemble avec la troupe, il y a une autorité qui réappartient aux acteurs, et les acteurs deviennent auteurs de spectacle tout en étant parfaitement fidèles à la langue de Dostoïevski.

Vos pièces font la part belle à la musique. Comment parvenez-vous à combiner la langue des écrivains russes et le chant ?

Pour moi, la musique n'est pas quelque chose d'additionnel ou de supplémentaire. C'est soit un prolongement, c'est à dire ce qu'on ne peut plus dire avec les mots, et on le dit donc avec la musique, soit c'est le battement de cœur du spectacle, le souffle du spectacle, ce qui soulève les cœurs des spectateurs et des acteurs ensemble.

Quels sont vos projets pour l'avenir ?

Je vais monter Erismena dans le cadre du Festival d'Aix-en-Provence cet été, c'est un opéra de Cavalli. Je vais également mettre en scène Kroum l'ectoplasme d'Hanoch Levin au Théâtre Alexandrinsky à Saint-Pétersbourg au mois de décembre.

Infos pratiques

Karamazov d'après l'œuvre de Dostoïevski, par Jean Bellorini nDu jeudi 30 mars au vendredi 7 avrilnAu Théâtre des Célestins, 4 rue Charles Dullin 69002 LYONnTarif de 9 à 38 €nTél. billetterie : 04 72 77 40 00n

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