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« Nous avons commandé des chemises à volants sur Amazon - c'était une sorte d’hommage au premier album du groupe de rock soviétique culte Kino, sur la couverture duquel le chanteur Viktor Tsoï est habillé comme ça. Jusqu'au tout dernier moment, on a gardé le secret, on s’est changés juste avant de monter sur scène », se souvient le Parisien russe Danila Solovov au sujet du tout premier concert du groupe lors d’un cocktail de Nouvel An au Lycée international de Saint-Germain-en-Laye.
Danila Solovov et Pierre Zverev
Archives personnellesPour cet événement, lui et Pierre Zverev ont préparé quelques reprises de chansons des groupes de rock russes Chij&Co et DDT ainsi qu’un opus de leur propre composition en russe. « Nous n'avions que 17 ans et c’était difficile de gérer le stress, mais les gens dans la salle ont commencé à applaudir et nous avons commencé à chanter avec plus de confiance, confie Danila. De plus, l'un des enseignants locaux, qui était assis au premier rang, ressemblait à s’y méprendre au soliste du groupe DDT Iouri Chevtchouk ! Il nous a écoutés avec un plaisir évident et n'a pas oublié d'applaudir, c'était très encourageant », plaisante-t-il.
Trois ans plus tard, tous deux continuent de faire de la musique ensemble et ont même réussi à sortir en France un album intitulé Zastolny (Fêtard). « Comme vous l’aurez compris, nous aimons chanter lors de fêtes », disent-ils. En même temps, Zastolny est plus qu'un ensemble de chansons que vous pouvez chanter avec votre guitare lors de soirées entre amis, c'est l'histoire, narrée en vers et sur fond musical, de la jeunesse de deux gars russes à Paris, qui partagent leurs expériences amoureuses avec les auditeurs, s'adonnent à une exploration de soi et observent aussi de l'extérieur les événements qui se déroulent dans leur patrie.
Pierre et Danila se sont rencontrés en 2018 lors d’une rencontre de la jeunesse russophone à Paris. Ils sont tous les deux nés en Russie et ne sont arrivés en France qu'à l'âge d’entrer au collège. À cette époque, une partie de la famille de Danila vivait déjà dans l'Hexagone, le déménagement a donc été facile pour lui. Quant à Pierre, entre Moscou et Paris, il a aussi vécu à Bruxelles, et beaucoup de membres de sa famille vivent encore en Russie : son pays lui manque donc beaucoup plus. « Au début, je n’appréciais pas trop Pierre, il me semblait étrange, alors j'ai essayé de rester à l’écart, explique Dania. Plus tard, j'ai découvert qu'il jouait de la guitare. Nous avons commencé à nous réunir et à chanter DDT et Leningrad ». Tous deux n'avaient aucune formation musicale, ils ont donc dû tout apprendre sur le tas. « Dania n'étudiait pas encore l'ingénierie du son, mais il travaillait très bien dans les logiciels de musique. Je regardais ça bouche bée ! », explique Pierre.
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Rapidement, les gars ont écrit leur première chanson et ont trouvé un nom pour le groupe. « Nous nous sommes demandé : "Qui sommes-nous ?" Et la réponse était très simple : des émigrants. On a décidé que ça allait être un nom provisoire, d'autant plus que nos proches n’appréciaient pas vraiment, ils n’arrêtaient pas de nous demander : "Alors, vous allez vous appeler Émigranty pour toujours" ? », raconte Danila, en montrant le logo du groupe - une grande valise jaune flottant avec des ailes dans le ciel (c'est une œuvre de l'artiste russe Anastasia Dolinina, qui a également réalisé les couvertures des albums).
Au fil du temps, le nom, qui, en fin de compte, traduit parfaitement l'esprit du groupe musical, est resté. « Au début, tu ne penses pas à ce que signifie être un émigrant, tu ne sens tout simplement pas à quel point ta vie a changé, mais à mesure que tu deviens adulte, de plus en plus de questions se posent, commente Pierre. Bien sûr, le déménagement était beaucoup plus supportable pour moi et Danila que pour les émigrés de la première ou de la deuxième vague, nous avons Internet et les réseaux sociaux, nous ne ressentons aucune rupture avec notre patrie, seulement de la nostalgie ». « Pour moi, être émigré, c'est ne pas être dans mon contexte, lance Danila afin de tenter d'expliquer le nom du groupe. Mais ce sens de soi ne veut pas du tout dire qu'on veut s'isoler derrière un grand mur, ça se fait tout seul : c'est normal de se sentir émigré, mais il est important de ne pas rester dans ce rôle aux yeux des autres, de savoir se fondre dans une nouvelle culture ».
Bien sûr, avant tout, les gars jouent pour le public russophone en France et en Russie, ce n'est pas sans raison que tous les textes du groupe sont écrits dans la langue de Pouchkine, qui, selon Pierre, est « un vrai trésor en matière de créativité ». « Nous avons beaucoup de chance de penser dans cette langue », confie-t-il. Selon lui, le succès des Emigranty est principalement dû au fait que les auditeurs s'associent aux héros des chansons, ce qui les aide à faire face à leurs propres émotions. « Nous recevons beaucoup de retours positifs, les gens se retrouvent dans nos chansons », indique Pierre.
L'un des indicateurs de succès les plus importants, selon Danila, est l’apparition de leurs chansons dans les playlists sur diverses plateformes en ligne, y compris Spotify. « Les utilisateurs envoient notre musique à leurs amis et écrivent : "Hé, écoutez, c'est de la nouvelle musique russe !" », dit-il joyeusement.
Cependant, les créations des Emigranty ne vise pas uniquement le public russophone. « Avant, je ne pouvais même pas imaginer que quelqu'un en France puisse être intéressé par notre groupe, partage Pierre. Mais ensuite j'ai commencé à mettre mes chansons à des amis et j'ai réalisé que la musique ne nécessite pas de traduction, elle est compréhensible pour tout le monde ! ».
À titre d'exemple, Pierre Zverev rappelle le récent concert d’Emigranty à la Maison russe à Paris. « Après l'événement, j'ai laissé des contacts à plusieurs personnes dans le public, parmi lesquelles toutes ne parlaient pas russe, et j'ai vu qu'elles s'étaient abonnées à notre groupe sur Instagram », raconte-t-il.
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Actuellement, les garçons se préparent à sortir leur deuxième album, dans lequel, selon eux, ils ont rassemblé leurs chansons les plus « philosophiques ». « Dans Zastolny ce n'est pas si perceptible, mais dans ce que nous écrivons maintenant, il y a beaucoup de préoccupations pour le sort de notre patrie, commente Pierre. C'est certainement un sujet très important pour la musique rock russe et l'intelligentsia russe ».
En même temps, ils regardent le monde de manière réaliste et redoutent d'être en décalage avec leur pays. « Comme Pierre l'a déjà dit, nous consommons une grande quantité de contenu en langue russe et communiquons beaucoup avec les Russes via les réseaux sociaux, mais il est toujours possible qu'après tant d'années de vie loin de notre patrie, nous puissions inventer notre propre Russie, fictive, partage avec nous Danila. Alors on ne nous comprendra ni ici, ni là-bas ».
Malgré les références aux réalités de la vie en Russie, le nouvel album des Emigranty n'est pas conçu comme un message politique sans saveur, mais plutôt comme une réflexion profonde sur le sens de la vie, sur l'amitié et l'amour, sur la consommation d'alcool - en un mot, une conversation à cœur ouvert sur tous ces sujets qui passionnent les jeunes du monde entier, quels que soient leurs racines et leur pays de résidence. « Les lignes de vers s'accumulent comme la mana dans les jeux vidéo, décrit Danila concernant le processus de création. Et puis elles éclatent dans nos chansons comme le coup de poing d’un super-héros ! »
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