Cinq raisons de regarder le film russe Les Poings desserrés, nominé aux Oscars

Кira Kovalenko/Non-Stop Production, AR Content, 2021
Le drame intense de Kira Kovalenko, qui se déroule dans le Caucase russe, dresse un portrait au vitriol des relations familiales.

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Les Poings desserrés a été sélectionné pour représenter la Russie aux Oscars 2022 dans la catégorie Meilleur film international. Le film est rempli de suspense, de désespoir et de douleur. Y a-t-il de la lumière au bout du tunnel ?

Un film qui souligne le problème universel de la surprotection

Zaour, un homme âgé, est un père intransigeant qui exige une obéissance totale 24h/24 et 7j/7. Il a trois enfants adultes qui sont obligés de s'adapter à la surprotection incessante de leur père. La famille patriarcale vit dans le village de Mizour, perché dans les montagnes de l'Ossétie du Nord en Russie, où, depuis des générations, les jeunes obéissent aux aînés et les femmes obéissent aux hommes. Mais les temps ont changé et les gens aussi, ainsi que leur vision du monde. À la première occasion, le fils aîné de Zaour, Akim, s'enfuit vers la grande ville la plus proche, Rostov-sur-le-Don, pour chercher du travail.

Son frère cadet, Dakko, est encore un adolescent insouciant auquel son père interdit d'aller à l'école. La charmante fille de Zaour, Ada, vit dans l’anxiété et la peur. Sa place est à la maison, comme le dit le proverbe, et le ménage est destiné à rester à jamais la seule responsabilité d'Ada. L'amour étouffant de son père, un maniaque épris de contrôle qui enferme ses deux enfants et interdit à Ada d'avoir les cheveux détachés, sans parler de mettre du parfum, est littéralement dévastateur. Ada travaille comme vendeuse dans un petit magasin, mais Zaour cache son passeport pour que sa fille reste avec lui à tout prix. Il ne veut même pas que la pauvre créature subisse une intervention chirurgicale pourtant nécessaire (Ada a des problèmes de contrôle de la vessie et a des soucis de santé constants). On ne peut que deviner pourquoi son père est contre la chirurgie, par pur égoïsme ou, peut-être, parce que la procédure médicale est jugée trop intime pour une jeune femme célibataire du Caucase.

Contrairement à Méphistophélès, le père-tyran d'Ada fait « partie de cette force qui, éternellement, veut le mal, et qui, éternellement, accomplit le bien ». Et pourtant, le cœur compatissant d'Ada reste lié à cet homme autoritaire. Ce que vit Ada est proche du syndrome de Stockholm. Ses problèmes intérieurs et ses peurs sont si profonds que la simple perspective d'une éventuelle liberté l'horrifie.

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Une survivante de Beslan comme personnage principal

Alors qu'Ada planifie d'échapper à l'emprise de fer de son père, nous découvrons de fil en aiguille que sa famille a déménagé à Mizour après la tragédie de l'école de Beslan. Il s'avère qu'Ada, une survivante de l'horrible attaque, en porte les cicatrices sur tout le corps. L'attaque terroriste la plus sanglante de l'histoire de la Russie, qui a eu lieu à Beslan, une petite ville de la République d’Ossétie du Nord, en septembre 2004, a coûté la vie à plus de 330 personnes, dont 186 enfants. Le film de Kira Kovalenko montre avec brio un personnage dont les cicatrices physiques et mentales liées à la tragédie ne guériront jamais.

Des acteurs non professionnels parlant en langue ossète

Il est de notoriété publique que la Russie est un pays multiculturel, peuplé de plus de 190 ethnies. Plus de 100 langues et dialectes sont utilisés à travers le pays. Pour souligner cette diversité, Kira Kovalenko a décidé de nager à contre-courant et de réaliser un film russe en langue ossète. De plus, Kovalenko, très exigeante sur le plateau, a voulu apporter une authenticité absolue aux scènes, et a donc principalement utilisé des acteurs non professionnels. Les deux frères d'Ada sont (brillamment) interprétés par de jeunes gars qui n'ont aucune expérience d'acteur. Ada (Milana Agouzarova) et son père autoritaire (Alik Karaïev) sont les seuls acteurs professionnels, et leur talent ne fait pas l’ombre d’un doute.

Réalisé par une étoile montante du cinéma russe

Kira Kovalenko, 31 ans, est une élève du réalisateur de L'Arche russe, Alexandre Sokourov, qui a reçu un prix d'excellence pour l'ensemble de sa carrière de l'Académie européenne du film en 2017.

Avec ses cheveux roux et son look époustouflant, Kira Kovalenko aurait pu elle-même devenir une star du grand écran. Rebelle dans l'âme, elle choisit cependant un chemin différent et tortueux. Née dans la ville de Naltchik, capitale de Kabardino-Balkarie dans le Caucase russe, elle n'a jamais réellement envisagé de devenir réalisatrice. Kira s’est d'abord rendue à Moscou pour travailler en tant que designer Web, mais elle s'est vite rendu compte que ce n'était pas sa tasse de thé. Elle est donc retournée à Naltchik et s'est inscrite aux cours de cinéma d'Alexandre Sokourov, l'un des cinéastes les plus importants vivant aujourd'hui. C'est là que son amour pour le cinéma s'est révélé.

Comme un autre étudiant célèbre de Sokourov, Kantemir Balagov (qui a récemment terminé le travail sur l'épisode-pilote de l'adaptation par HBO du jeu vidéo d'horreur de survie The Last of Us), Kovalenko a un goût pour les personnages non conventionnels et les sujets sensibles. Les Poings desserrés est son deuxième long métrage, après Sofitchka de 2016, tourné en langue abkhaze et basé sur un livre de Fazil Iskander.

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Acclamé par la critique et à Cannes

Produit par Alexander Rodnianski, grand nom de l'industrie cinématographique russe, Les Poings desserrés a été présenté en première mondiale au Festival de Cannes en 2021. Ce petit film à l'attrait universel a conquis le jury et est devenu le premier film russe de l’histoire à remporter le prix Un certain regard à Cannes.

Le film de Kovalenko a été présenté lors du 59e Festival du film de New York, aux côtés de films de réalisateurs de renom tels que Todd Haynes, Bruno Dumont et Paul Verhoeven.

Les Poings desserrés a également représenté la Russie au 46e Festival international du film de Toronto (TIFF) et au 69e Festival du film de San Sebastian.

S'attaquant à l’absence de liberté et à la co-dépendance, Les Poings desserrés n'est pas destiné à divertir le public, plongeant plutôt les spectateurs dans une atmosphère étouffante de désespoir. Pourquoi, demanderez-vous ? Pour défendre les plus vulnérables d'entre nous, peut-être. Le style de narration sans hâte et humain de Kovalenko fonctionne à la fois sur le plan émotionnel et spirituel, rendant les sujets sensibles accessibles au public, où qu'il se trouve. La jeune réalisatrice raconte son histoire sans la moindre once de moralité, ce qui n’est pas le moindre de ses mérites.

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