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Les romans de Dostoïevski rachètent la réalité et redéfinissent ce qu’est vie. Emportez l'un d'entre eux sur une île déserte et ne vous inquiétez pas : vous aurez assez matière à réflexion pour les années à venir (ou du moins aussi longtemps que vous resterez en vie !). Avec une intensité et une clairvoyance dignes de William Shakespeare et Sigmund Freud, Dostoïevski a pénétré dans les recoins les plus sombres de la décadence morale, de la pauvreté et de la déchéance humaine. Dostoïevski n'a pas son pareil en ce qui concerne la représentation de l'enfer russe. C’était un pourfendeur implacable de la corruption morale, de l'immaturité et de l'hypocrisie.
Crime et Châtiment
Le personnage principal de Crime et Châtiment est un nouveau type d’homme, possédé par des idées nihilistes. Rodion Raskolnikov, jeune homme moralement ambigu, qui se permet de verser « le sang selon sa conscience ». « Suis-je une créature tremblante ou ai-je le droit », se demande-t-il, en cherchant de comprendre s'il est « un pou, comme tout le monde, ou un être humain ? ». La question est tranchée lorsque le jeune homme de 23 ans assassine avec une hache une vieille dame, prêteuse sur gages, au nom de principes moraux. Rétrospectivement, son crime s'avère pire que le plus effrayant des cauchemars.
Dostoïevski n'a jamais cherché à plaire aux masses. C'était un véritable original qui a repoussé les limites du genre, ainsi que des attentes et des ambitions humaines. Crime et Сhâtiment est le roman policier le plus abouti de Dostoïevski, avec une touche psychologique. Nous savons depuis le tout début qui a tué qui, où, quand, pourquoi - et même comment. Et pourtant, la question à un million de dollars est de savoir quelles sont les conséquences existentielles du crime, et comment vivre avec un forfait sur la conscience. Dostoïevski est convaincu que sans se frayer un chemin à travers la tentation et de terribles épreuves, sans aller à contre-courant des dogmes moraux, il est impossible de se repentir. L’homme, selon Dostoïevski, n'est pas doué de raison et de logique, mais un être qui va délibérément chercher les limites. L'écrivain nourrissait l'espoir que Raskolnikov puisse expier son péché. « Soyez le soleil et tous vous verront. Le soleil doit avant tout être le soleil », déclare Porfiri Petrovitch sur un ton encourageant. Selon Dostoïevski, le pardon n’est possible qu’à travers la souffrance.
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Les Frères Karamazov
Personne n'a mieux maîtrisé l'art de poser les questions du bien et du mal que Dostoïevski. Et ces « maudites questions » sont vraiment celles qui taraudent tout un chacun. « Qu'est-ce que l'enfer ? Je maintiens que c'est la souffrance de ne pas pouvoir aimer », écrit Dostoïevski dans Les Frères Karamazov, son dernier roman, une œuvre troublante qui explore les questions de la foi, de la liberté et de la famille.
Dostoïevski scrute l'âme de chaque personnage, qu'il s'agisse du terrible Fiodor Karamazov ou de Mitia Karamazov, instable émotionnellement, dressant un portrait assez sombre du caractère national russe. Pourquoi les personnages de Dostoïevski ne subissent-ils des transformations métaphysiques révolutionnaires que lorsqu'ils se trouvent dans des conditions extrêmes, entre la vie et la mort, en chute libre au sens moral ? Peut-être parce que ce n'est qu'à ce moment décisif qu'ils se regardent enfin en face pour la première fois, et uniquement pour lancer un cri de désespoir.
L'écrivain pionnier possédait un véritable esprit médico-légal et utilisait les « instincts de base » et les faiblesses de ses personnages pour expliquer la nature métaphysique du monde. Dans Les Frères Karamazov, un roman magnifiquement écrit avec une splendide intrigue policière, Dostoïevski explore les facettes éthiques d'une famille russe dysfonctionnelle. Franz Kafka, un fan de cette œuvre, a qualifié Dostoïevski de « parent de sang », et non sans raison. Bien qu'ils soient 100 % russes, les personnages de Dostoïevski sont universels en ce sens qu'ils sont pleins d'angoisse, de méchanceté et de misère, et sont déterminés à traverser un enfer émotionnel dans leur quête irrépressible de liberté morale et de foi. Il est dommage que Dostoïevski soit mort en n'ayant écrit que la première (et la plus petite) partie du diptyque qu’était censé devenir Les Frères Karamazov.
L'Idiot
Les romans de Dostoïevski sont aussi imprégnés de drame qu’un ciel chargé d’orage. Alors ne vous attendez pas à des happy end dans le style hollywoodien. Les personnes les plus vulnérables de la société sont celles qui fascinent le plus Dostoïevski. Il donne la parole aux pauvres, aux malades, aux exclus. Dans L’Idiot, l’écrivain explore l’amour et la pitié, la fierté et la bassesse, la générosité et la gentillesse. « La compassion est la loi la plus importante et, peut-être, la seule de l'existence pour toute l'humanité », écrit Dostoïevski dans le roman.
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Le prince Lev Nikolaïevitch Mychkine, le héros du roman, est un homme sans avenir, un bienfaiteur épileptique qui est trop gentil, naïf et enfantin pour survivre dans la Russie impériale. Comme la jeune gazelle est la nourriture idéale pour un prédateur, le prince Mychkine est un « idiot » condamné dans un monde qui appartient à des casse-cou avides de pouvoir comme Parfion Rogojine.
Comme Dostoïevski l'a lui-même souligné, Jésus-Christ et Don Quichotte l’ont inspiré pour créer son prince Mychkine. Dostoïevski savait comment choisir ses modèles. Certains traits autobiographiques sont également associés à l'image du prince, l'un de ses personnages qu’il appréciait le plus, et qui a même « hérité » de l'épilepsie de Dostoïevski.
Lorsque Lev Nikolaïevitch entame une conversation sur la peine de mort en Europe et en Russie, il décrit en détail les sentiments d'une personne condamnée à l'exécution. Chose intéressante, c’était du vécu pour Dostoïevski ! En 1849, l'écrivain a été arrêté pour son implication dans le Cercle de Petrachevski, un groupe d'intellectuels radicaux de Saint-Pétersbourg qui critiquaient le système socio-politique de l'Empire russe et discutaient des moyens de le changer. En 1850, Dostoïevski, 28 ans (à cette époque, il avait déjà publié deux romans, Les Pauvres Gens et Le Double) a été condamné à mort avec 20 autres membres du mouvement de jeunesse. Par un hasard extraordinaire, la peine a été commuée à la toute dernière minute. Le fait d’avoir frôlé la mort a été un choc massif qui a marqué à vie Dostoïevski.
Les Démons
Dans Les Démons - un roman sur la tentation diabolique de réorganiser le monde, sur la puissance des forces du mal et la destruction - Dostoïevski a prédit la propagation du nihilisme, du chaos et de la haine. L'écrivain, qui avait passé quatre ans de travaux forcés dans une prison sibérienne, s’y montre à la fois croyant et prophète. « Tous les membres de la société se contrôlent et se dénoncent mutuellement... Tout le monde appartient à tout le monde et tout est à tout le monde. Tous sont esclaves et égaux dans l'esclavage. La calomnie et l’assassinat dans les cas extrêmes, mais surtout l’égalité, a prédit Dostoïevski dans Les Démons. Le nécessaire seul est nécessaire, telle sera désormais la devise du globe terrestre… Les esclaves doivent avoir des chefs. Obéissance complète, impersonnalité complète », a-t-il en outre écrit. Dostoïevski était un homme profondément religieux, un chrétien orthodoxe, qui invoquait le nom de Dieu dans ses œuvres aussi souvent que d'autres parlent du temps qu’il fait. « J'ai déjà besoin de Dieu, car c'est le seul être qui peut être aimé pour toujours », a déclaré Dostoïevski dans Les Démons. Dans ce roman, le personnage d’un « démon charmant » a été créée par Dostoïevski avec un art qui dépasse l’entendement. Nikolaï Stavroguine a un esprit exceptionnel et âme meurtrie. C'est un anti-héros, un homme aux mille visages, un psychopathe, un manipulateur et un coureur de jupons en série. Le philosophe russe Nikolaï Berdiaev considérait Stavroguine comme le personnage de fiction « le plus mystérieux » de la littérature mondiale.
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Les Carnets du sous-sol
En 1863, Dostoïevski écrivit ce qui semblait être le premier roman existentialiste, Les Carnets du sous-sol, dont le narrateur donne le ton étonnamment nerveux dès le premier paragraphe. « Je suis un homme méchant. Un homme repoussoir, voilà ce que je suis. » Le principal philologue russe du XXe siècle, Mikhaïl Bakhtine, a qualifié ce discours dostoïevskien de « mot avec une faille ». C'est une poupée-gigogne littéraire, avec des couches superposées de connotations et de significations contenues à l'intérieur.
Le livre est la confession d'un ancien fonctionnaire de Saint-Pétersbourg et un récit philosophique sur l'essence de la vie humaine ; un conte tragique sur la nature de nos désirs et un drame sur la relation malsaine entre la raison et l'inaction. L'« homme du sous-sol », dépourvu de nom, argumente avec ses adversaires imaginaires ou réels et réfléchit aux raisons de l'action humaine, du progrès et de la civilisation. Paranoïaque, pathologique, pathétique, pauvre… c'est un solitaire qui redoute plus que tout d'être découvert. Après avoir lu Les Carnets du sous-sol, l'auteur de la formule « Dieu est mort », Friedrich Nietzsche, avait déclaré que Dostoïevski était le « seul psychologue dont j'ai quelque chose à apprendre ».
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