Zinaïda Hippius était une éminente poétesse, écrivaine de prose et critique russe, dont l’influence littéraire et culturelle va de pair avec son refus de se conformer aux notions prescrites de la féminité. Admirée par des auteures comme Virginia Woolf et Gertrude Stein, Hippius était une figure centrale de l'élite culturelle établie de son époque, bien que très subversive. Pourtant elle apparait aujourd’hui en Occident presque oubliée.
Portrait par Ilia Répine, 1894
Appartement-musée d'Isaac Brodski, Saint-PétersbourgNée à Beliov (236 kilomètres au sud de Moscou), dans la région de Toula, le 20 novembre 1869, Hippius a commencé à rédiger des poèmes à un âge précoce. Elle s'est installée à Saint-Pétersbourg en 1889 après avoir épousé Dmitri Merejkovski, un poète, écrivain et critique littéraire déjà réputé. Le duo est ensuite rapidement devenu une figure clé de l'élite littéraire de la capitale impériale, accueillant d'illustres réunions de salon et faisant la connaissance de personnalités telles que Maxime Gorki, Anton Tchekhov et Léon Tolstoï.
Après la Révolution d'Octobre en 1917 et la guerre civile qui a suivi, Hippius et Merejkovski se sont joints à l'exode de nombreux écrivains, philosophes et hommes d'État russes de renom, gagnant Paris en 1919. Là aussi, ils ont hébergé de célèbres salons dominicaux dans lesquels Zinaïda faisait autorité, présentant des thèmes de confrontation et dirigeant les débats. En 1927, elle a accueilli la première réunion de la « Zelionya Lampa » (la Lampe Verte), considéré comme l'un des plus importants et érudits des nombreux groupes littéraires émigrés de l'époque.
Hippius, l'écrivain Dimitri Philosophoff et Merejovski en 1920
Photographie d'archivesHippius était une poétesse novatrice fermement ancrée au cœur de la première vague du symbolisme russe, et de nombreux poètes symbolistes ultérieurs ont basé leur technique sur ses expériences en matière de rime et de mètre. Les écrivains symbolistes voyaient l'écrit comme un moyen d'appréhender une vérité infinie et transcendante, et Hippius jouait avec les motifs et thèmes décadents du sacré et du profane.
Elle a formulé une idéologie selon laquelle « l'art ne devrait se matérialiser que dans le spirituel », et sa spiritualité, comme beaucoup d'autres aspects de sa vie, était non conventionnelle et liée à une poursuite de liberté. « Mon âme est nue, dépouillée jusqu'à la plus pure nudité, écrivait-elle dans son poème de 1905 L'Anneau nuptiale. Elle s'est échappée, a transcendé toutes ses limites ».
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Portrait par Léon Bakst, 1906
Galerie TretiakovLa poésie était aussi un espace dans lequel Hippius pouvait échapper aux attentes du genre. Elle a souvent adopté un personnage masculin dans son travail et on lui a reproché d'utiliser les terminaisons masculines des verbes et des pronoms personnels. En réponse, elle affirmait qu'elle voulait « écrire de la poésie non seulement en tant que femme, mais en tant qu'être humain ».
Hippius a traité sa vie comme un art et l'a utilisée comme un énième moyen d'explorer sa philosophie créative. Elle avait la réputation, en dehors de son cercle, d'être une « Madone décadente » et était assimilée au diable. Or, elle n'a rien fait pour contredire ces étiquettes, s'associant elle-même à la figure gothique de l'araignée et utilisant des motifs et des images décadents dans toute sa poésie :
« Et cette soie me semble – inflammable.
Pas avec le feu – mais avec le sang.
Et le sang n’est qu’un signe de ce que nous appelons
Dans notre pauvre langue : l’amour. »
(La couturière, 1901)
Hippius au début des années 1910
Getty ImagesLe style personnel de Hippius était à la fois élaboré et subversif. Elle portait parfois des vêtements ostentatoirement féminins jugés « inappropriés » par beaucoup autour d'elle, affectant une image et une attitude qui parodiaient les conceptions conventionnelles de la féminité. Andreï Biély, l'un des plus importants symbolistes russes, l'a décrite telle « une guêpe de taille humaine », ajoutant qu'« une masse de cheveux roux distendus {…] cachait un petit visage tordu » et que « le charme de son squelette osseux et sans hanches rappelait un communicant qui captivait habilement Satan ».
Elle s'habillait également régulièrement en homme et portait une lorgnette, ou un monocle, à la grande horreur de ses contemporains. Bien qu'inhabituel, le travestissement n'était pas inconnu au début du XXe siècle, mais la présence de Hippius en tant que dandy, une figure stylistiquement androgyne mais essentiellement masculine, révèle la complexité de son identité. Or, le dandy, rendu célèbre en Europe principalement par Oscar Wilde, était typiquement un individu décadent et conscient de lui-même, intéressé par l'artifice et la sensation artistique intense, qui cultivait un comportement distant et dédaigneux.
Hippius le 13 décembre 1897
Photographie d'archivesFemme féroce, Zinaïda s'est engagée à protéger et à cultiver la culture russe, par opposition à la culture soviétique, et a inspiré et aidé ses contemporains autant qu'elle a suscité en eux la confusion. Les gens luttaient pour saisir le sens d’un tel radicalisme, mais ses prouesses poétiques et son influence littéraire lui donnaient la liberté d'ignorer de façon aussi flagrante les normes sociales. Dans son poème Incantation de 1905, elle s’exclame : « Bats, cœur, bats chaque cœur à tour de rôle ! / Élève chaque âme affranchie ! ». Plus d'un siècle plus tard, ce cri de guerre nous met encore au défi d'embrasser l'individualité et de reconnaître la liberté que l'on peut obtenir en défiant les normes attendues par la société.
Dans cet autre article, nous nous penchons justement sur les contradictions du mouvement féministe russe et ses différences avec celui connu en Occident.
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