Le nom de Marius Petipa figure sur les affiches du Lac des cygnes, de la Belle au bois dormant, de la Bayadère, de Giselle, de Don Quichotte ou encore de Casse-Noisette, c’est-à-dire des plus célèbres ballets au monde. Il est également aisé de trouver son portrait, un vieil homme souriant aimablement et à la barbe grisonnante soigneusement entretenue. Mais à l’approche de cette date anniversaire, il n’y a qu’une chose que l’on peut affirmer avec certitude à son sujet : que nous ne connaissons presque rien de la vie de ce personnage ayant donné naissance au phénomène artistique du ballet classique russe.
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Une légende à part entière
Faire de son histoire une légende, Petipa l’a lui-même entrepris. Né à Marseille dans une famille d’hommes de théâtre, il était doté d’un flair inné pour le succès et d’un goût prononcé pour l’aventure, sans lesquels il était difficile de faire carrière dans le monde artistique. Afin d’obtenir des contrats, Marius Petipa a alors fait le choix de modifier sa date de naissance, se faisant passer pour son frère. Son tempérament indomptable l’a ensuite conduit dans des péripéties romantiques, qui l’ont notamment forcé à s’enfuir au plus vite d’Espagne. Il se battait comme un lion pour le moindre kopeck qu’il pouvait tirer des entrepreneurs ou du ministère de la cour de Russie. Cela ne l’ennuyait pas non plus d’emprunter les idées d’autrui et même certaines scènes de ballets préexistants.
Mais le premier maître de ballet des théâtres impériaux de Saint-Pétersbourg a, dans ses mémoires, créé, en se basant sur sa vie tumultueuse, passionnée, pleine d’envolées mais aussi de déceptions, d’infortunes, un véritable apocryphe. Durant cent ans, ses écrits ont été plus d’une fois réédités et ont servi de principale source d’information pour les biographes.
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Plagiat ou originalité?
Il est tout aussi complexe de traiter de son œuvre. Petipa a été à la tête des théâtres impériaux de Russie durant 40 des 60 années qu’il a passées dans ce pays. Au cours de cette période il a créé près d’une centaine de ballets et des danses au sein de dizaines d’opéras. Aujourd’hui, entre le nom de Petipa et l’héritage mondial du ballet classique pourrait tout à fait se tenir un signe égal. Il est en effet considéré comme le rédacteur, si ce n’est l’auteur, des ballets les plus populaires du XIXe siècle ayant survécu jusqu’à nos jours, à l’exception peut-être de La Sylphide du Danois Auguste Bournonville. Mais l’activité de Petipa était bien plus diversifiée et la signification de son œuvre bien plus large.
Il est incontestable que ce n’est pas lui qui a créé de grands ensembles classiques, que ce n’est pas lui qui a fait monter sur scène la danse théâtrale nationale, que ce n’est pas lui qui a introduit la danse sur la pointe des pieds et le principe de hiérarchie du ballet, que ce n’est pas lui qui a inventé les pas de danse et le pantomime, ce système de discours plastique que les personnages utilisaient entre les danses. Il est même possible que Petipa n’ai pas été, comme on le dit, le plus novateur compositeur de combinaisons de danses, puisqu’on lui reprochait ses emprunts à Jules Perrot et à Arthur Saint-Léon. Il ne cachait d’ailleurs pas le fait qu’il allait à des cours de l’École théâtrale auprès de Christian Johansson afin de tirer profit de phrases chorégraphiques originales. Mais Petipa était aussi cette personne, qui à cette époque où en Europe le ballet dégénérait en show, s’est cloîtré dans la lointaine Russie et y a mené un travail titanesque. Il a déniché la meilleure troupe au monde et, dans les spectacles spécialement imaginés pour elle, a synthétisé toute l’expérience accumulée par l’art du ballet en deux siècles d’existence professionnelle.
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Source intarissable d’inspiration
Par ailleurs, en se penchant sur l’héritage du chorégraphe, ses successeurs ont taillé et découpé le brocard doré de ses spectacles en fonction des goûts de leur époque, se référant constamment à son esprit et à son style. Mais aux États-Unis, à la bibliothèque de l’Université d’Harvard, sont conservées les volumineuses archives de l’assistant de Petipa, Nikolaï Sergueïev, qui contiennent des enregistrements uniques des spectacles du maître de ballet, réalisés au début du XXe siècle. Jusqu’au début du XXIe siècle ils sont restés dans l’ombre, mais témoignent aujourd’hui du fait que même les versions saint-pétersbourgeoises de sa biographie, qui font pourtant référence, ont été modifiées parfois jusqu’à en être méconnaissables. Mais ce sont précisément les compositions de Petipa, plus que n’importe quelles autres, qui inspirent ses héritiers, qui n’hésitent pas à leur tour à lui emprunter des éléments, à revisiter son œuvre, à la transformer et à l’étudier éternellement.
Casse-Noisette est certainement l’un des ballets les plus connus au monde, et il a lui aussi profité de la mise en scène de Petipa. Russia Beyond retrace ici l’histoire de cette œuvre incontournable.