Fresques du Sauveur-sur-le-Porche de Rostov-la-Grande: une vision dantesque dans un cadre divin

Tourisme
WILLIAM BRUMFIELD
Les fresques intérieures de l’église privative des métropolites de Rostov-la-Grande témoignent de la richesse et de la puissance passées de l’Église orthodoxe russe.

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Au début du XXe siècle, le chimiste et photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski (1863-1944) a mis au point un procédé complexe pour obtenir des tirages aux couleurs vives et fidèles*. Sa conception de l’art photographique comme forme d’éducation et source de connaissance est particulièrement bien incarnée dans ses clichés de monuments architecturaux des sites historiques du cœur de la Russie.

Sergueï Prokoudine-Gorski a cultivé un intérêt particulier pour la ville de Rostov-la-Grande qu’il a visitée à l’été 1911. Située à environ 210 kilomètres au nord-est de Moscou, elle est l’une des plus anciennes villes de Russie. Son nom apparaît pour la première fois dans la Chronique des Temps Passés de Nestor sous l’année 862.

Une démonstration du pouvoir de l’Église

L’imposante Cour du Métropolite, communément appelée kremlin (citadelle), est le principal ensemble architectural de la ville surplombant la rive nord du lac Néro.

Le métropolite en question est Jonas Syssoïevitch (1607-1690), fils d’un prêtre de campagne appelé Syssoï. Dans la hiérarchie des Églises orthodoxes, le statut de métropolite est le rang le plus élevé après celui de patriarche.

Jonas a été tonsuré au monastère de la Résurrection d’Ouglitch. En 1652, le patriarche de Moscou Nikon, récemment élu, l’a élevé à la dignité de métropolite de Rostov.

C’est à cette même époque que l’Église russe a lancé d’ambitieux projets de construction. Ils ont marqué l’apogée de son pouvoir avant que l’État ne réduise ses richesses au cours du XVIIIe siècle. Le prospère évêché de Rostov possédait 16 000 serfs, dont des artisans de grand talent. Entre 1670 et 1690, plusieurs grandes églises, des bâtiments destinés à former la cour et la résidence du métropolite Jonas, ainsi que d’imposants murs d’enceinte avec des tours de guet et des portails ont été érigés.

Parmi ces merveilles figure la petite église de l’icône miraculeuse du Saint-Sauveur-le-Porche, construite en 1675 au-dessus d’un cellier. Elle était la chapelle privative du métropolite, où il priait et pratiquait la musique religieuse.

La position de l’appareil photographique de Sergueï Prokoudine-Gorski, depuis une prairie au sud-est des murs du kremlin, offre une vue qui capture non seulement l’église, mais aussi le mur d’enceinte sud du kremlin et ses tours de guet surplombant le lac Néro. Les clichés que nous avons pris l’ont été sous une autre perspective depuis cette même prairie. Nous en avons également fait de l’intérieur de la Cour de Métropolite.

Une illustration unique de l’art orthodoxe

L’église de l’icône miraculeuse du Saint-Sauveur-sur-le-Porche comptent parmi les plus richement décorées de la Cour du Métropolite. Bien que l’objectif de Sergueï Prokoudine-Gorski ne permettait pas de capturer de plans larges, ses photographies d’intérieur sont parmi les plus remarquables qu’il a faites et offrent une documentation de cet espace unique.

Ces fresques ont été réalisées à la fin des années 1670, peu après l’achèvement de l’église, sous la supervision d’un prêtre local. Les iconographes, dont Dimitri Grigoïev, Fiodor Karpov et Ivan Karpov, étaient originaires de Iaroslavl, le haut lieu de l’art religieux du XVIIe siècle.

En 1893, lors de la restauration de la Cour du Métropolite, cinq artistes du village de Mstiora, connu pour ses peintures d’icône et ses miniatures laquées, ont rénové les fresques. Plus tard, entre 1978 et 1995, de nouveaux travaux ont été entrepris, s’étendant sur presque vingt ans, pour préserver ces peintures murales.

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Les dimensions modestes de l’église sont caractéristiques de l’architecture sacrée du XVIIe siècle. Le chœur, à l’est, est encadré par une arcade distincte avec des colonnes dorées reposant sur la solea, une plate-forme basse qui prolonge l’espace du chœur.

La partie supérieure de l’arcade est décorée de médaillons d’icônes, similaires à ceux que l’on trouve sur les iconostases des églises russes traditionnelles. Au sommet de l’arcade se trouvent de grands séraphins rouges, tandis que la partie inférieure illustre les patriarches de l’Ancien Testament.

Le mur lui-même est recouvert de plusieurs registres, ou rangées, de fresques qui rappellent ceux d’une iconostase. Ils illustrent des épisodes bibliques ainsi que des concepts théologiques, dont la Sainte-Trinité.

Les murs nord et sud présentent six registres. Les trois rangées supérieures montrent des scènes de la vie du Christ et des paraboles, tandis que les trois registres inférieurs illustrent les épisodes de la Passion du Christ, c’est-à-dire les événements qui ont précédé la Crucifixion de Jésus.

La coupole centrale est ornée d’une image de la Trinité, représentant le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Juste en dessous, dans le tambour, on voit six archanges accompagnés de prophètes. Les voûtes du plafond mettent en scène les quatre évangélistes : Matthieu, Marc, Luc et Jean.

La fresque la plus remarquable et la plus frappante se trouve sur le mur ouest sur lequel est représenté le Jugement dernier. En haut, au centre, se dresse le Christ en gloire. Plus bas, des âmes sont pesées : les vertueuses sont rassemblées à la droite du Christ (à la gauche du spectateur), et les damnées se tiennent de l’autre côté. En bas à droite, une représentation de Satan en enfer complète la scène.

Les quatre photographies d’intérieur prises par Sergueï Prokoudine-Gorski, réalisées dans des conditions d’éclairage naturel difficiles, montrent un fragment du Jugement dernier dans lequel un serpent rampe vers l’enfer. Grâce à l’utilisation d’un objectif plus grand, les photographies que nous avons prises en 1997 offrent des vues plus étendues de la fresque, qui est dans un excellent état de conservation.

Leur remise en état a été rendue possible grâce aux fonds collectés par les marchands de Rostov à la fin du XIXe siècle pour restaurer l’ensemble du kremlin, qui avait été laissé à l’abandon au début du siècle. En 1883, le Palais blanc, situé à côté de l’église du Saint-Sauveur-sur-le-Porche et aménagé comme salle de banquet pour le métropolite de Rostov, a été inauguré en tant que musée des antiquités religieuses. Il a ensuite été remplacé par le remarquable musée actuel du kremlin de Rostov-le-Grand.

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*À l’aube du XXe siècle, le photographe russe Sergueï Prokoudine-Gorski développa un procédé complexe de photographie en couleur. Celui-ci consistait à utiliser une triple exposition sur des plaques en verre. Entre 1903 et 1916, Sergueï Prokoudine-Gorski sillonna l’Empire russe et immortalisa plus de 2 000 clichés en utilisant ce procédé. En août 1918, il quitta la Russie en emportant une grande partie de sa collection de plaques négatives et s’installa définitivement en France. À sa mort en 1944, ses héritiers vendirent cette collection à la Bibliothèque du Congrès des États-Unis, qui la numérisa et la publia en libre accès au début des années 2000. Elle est également disponible sur plusieurs sites internet russes. En 1986, William Brumfield, historien de l’architecture russe et photographe, organisa à la Bibliothèque du Congrès, la première exposition consacrée aux tirages photographiques de Sergueï Prokoudine-Gorski. Au début des années 1970, en URSS, Brumfield marcha dans les pas de Sergueï Prokoudine-Gorski en tant que photographe d’architecture. Cette série d’articles met en parallèle les clichés des monuments architecturaux pris par les deux photographes à plusieurs décennies d’écart.

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