Confessions d’un expatrié: pourquoi Khabarovsk, cette ville du bout du monde, me manque

Ajay Kamalakaran; bksrus/Getty Images
Ne pouvant plus se rendre en Russie à cause de la pandémie, Ajay Kamalakaran nous parle de sa ville russe préférée.

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Quand un Moscovite ou un Saint-Pétersbourgeois entend un étranger dire que Khabarovsk est la plus belle ville du pays, il est souvent stupéfait. En général, les habitants de la Russie occidentale ou centrale ne connaissent que peu de choses sur cette ville située au confluent des fleuves Amour et Oussouri.

Située à 8 heures en avion ou une semaine en train depuis Moscou, elle rivalise avec les célèbres villes historiques du pays. Cette ville de l’Extrême-Orient russe abrite 600 000 habitants et n’a que 163 ans. Géographiquement, elle est bien plus proche de Pékin, Séoul ou Tokyo que de Moscou ou Saint-Pétersbourg. C’est peut-être son éloignement de la partie européenne du pays, mélangé à la forte appartenance culturelle russe des habitants, qui rend Khabarovsk complètement unique. 

La frontière chinoise, marquée par l’île Bolchoï Oussouriisk, est à moins d’une heure de route, mais on y croit à peine quand on se promène dans les rues de Khabarovsk. Rien, dans l’architecture de la ville, ne laisse penser qu’elle se trouve en Asie. Capitale du district fédéral extrême-oriental jusqu’en 2018, son architecture d’avant la Révolution de 1917 a été soigneusement restaurée. Si vous descendez l’avenue Mouraviov-Amourski, la principale artère de la ville, vous réaliserez rapidement que les bâtiments vous rappellent ceux de l’Europe d’antan.

Toute personne ayant déjà mis les pieds à Saint-Pétersbourg, d’ailleurs, comparera certainement la plus célèbre avenue de Khabarovsk à celle de la capitale du Nord, la perspective Nevski. Toutes deux sont au cœur du centre-ville historique et mènent directement à la berge du fleuve qui traverse leur ville respective. Oserai-je dire que les berges de l’Amour sont plus diversifiées et plus attrayantes que le quai près de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg ? Oui. Cela s’explique par sa topographie particulière : il y a une série de collines le long de l’Amour, depuis lesquelles vous pourrez admirer la ville, ses plages de sable, sa ligne d’horizon et la rive opposée du fleuve, encore vierge de toute construction.

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Des trésors culturels

Cette ville était censée devenir un lieu culturel et c’est clairement compréhensible au travers de ses musées, de sa musique régionale et de ses théâtres. Khabarovsk célèbre l’héritage culturel russe tout en mettant l’accent sur les traditions des populations indigènes de la région. Si vous allez à 75 kilomètres au nord de la ville, vous trouverez des pétroglyphes datant d’il y a 14 000 ans, mais aussi un campement et un musée dédié au peuple Nanaï. Les autochtones des lieux les plus à l’Est de l’immense pays ne sont pas très nombreux. Depuis la chute de l’Union soviétique, cependant, les efforts pour sauver la langue et l’héritage culturel des peuples nanaï, evenk, nivkhe et de nombreux autres groupes ethniques sont plus importants.

Où que vous alliez dans Khabarovsk, le patrimoine et les trésors culturels sont partout. Si vous souhaitez découvrir des styles architecturaux différents, montez dans un tramway des années 1950 et allez de la gare, reconstruite en 1935, aux quartiers les plus au sud, en passant par les grands boulevards et les principales avenues de la ville. Vous pourrez observer des bâtiments en brique rouge, dont certains datent du début du XXe siècle, puis des immeubles colorés datant d’avant la Révolution côtoyant des structures plus modernes et des cathédrales reconstruites, avant de vous retrouver dans un quartier où des immeubles stalinistes de trois étages étaient érigés pour ceux qui étaient « plus égaux que les autres ».

En général, je descends avant que le tramway n’aille plus loin : on m’a parlé de la triste réputation du quartier Piataya Plochadka.

Météo amie, météo ennemie

Retournons un peu en arrière, à l’hiver 2019 : il fait -30°C, et le vent glacial me fouette le visage. Un ami, qui est né et qui a grandi à Khabarovsk, me dit alors « Tu sais, c’est l’hiver le plus doux qu’on ait eu depuis des années ! ». Durant cet hiver-là, j’ai traversé le Détroit de Tatarie pour aller sur l’île de Sakhaline, où j’habitais avant et où le mercure descendait « seulement » à -10°C. J’avais oublié que je portais plusieurs couches de vêtements, que j’avais enfilées avant de sortir de mon appartement à Khabarovsk. Vous pouvez imaginer à quel point j’avais l’impression d’étouffer, en sortant de l’aéroport de Ioujno-Sakhalinsk.

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Une expression khabaravoskienne dit d’ailleurs que le seul endroit où les gens vont marcher en hiver, c’est d’un magasin à l’autre. C’est dire à quel point le froid est saisissant. Cet hiver-là, donc, je marchais autour des bassins artificiels gelés de la ville presque tous les soirs, habillé pour braver la météo. Le seul être me tenant compagnie était ce chien qui courrait partout, tandis que son maître attendait impatiemment que son animal fasse ce qu’il a à faire pour pouvoir rentrer au chaud.

Bien qu’il fasse extrêmement froid à Khabarovsk, c’est aussi une ville où le soleil règne en maître. Les habitants sont d’ailleurs très fiers de dire qu’il s’agit de la troisième ville la plus ensoleillée du pays. Pour moi qui viens des tropiques, où on voit souvent le soleil comme trop agressif et gênant, cette fierté est amusante. Plus sérieusement, la majorité des villes russes est très belle durant l’été et l’automne, où la verdure ou bien les feuilles colorées sont dominantes. Mais Khabarovsk est spéciale : ses jolis bâtiments, ses grands boulevards et ses lampes à vapeur de sodium orangées (pas de lumière blanche artificielle ici) font que la ville est belle toute l’année, même pendant l’hiver. Évidemment, prendre une photo est compliqué quand il s’agit d’appuyer sur le déclencheur dans ce froid hivernal : les appareils photos et les téléphones ne supportent pas de telles températures et s’éteignent.

Les hivers glacés sont cependant parfaits pour les amateurs de traîneau, de patinage ou de tout autre sport d’hiver. Même ceux qui ne sont pas très doués pour se déplacer sur la glace peuvent traverser le fleuve Amour, gelé, et préparer du thé sur un feu de camp sur l’autre rive. Certains préfèrent aller hors de la ville et traversent le fleuve pour s’essayer à d’autres types de sports de glace originaux.

La place Lénine, en ville, est également un plaisir pour les yeux avec toutes ses sculptures de glace.

Le grand air

Comme presque partout dans le pays, le passe-temps favori des habitants de la ville est de se plaindre de la météo. « Les hivers sont trop froids et les étés sont trop chauds ! », entend-on. Il ne s’agit pas d’exagérations : l’été, il peut faire aussi chaud à Khabarovsk qu’à Bangkok ou Mumbai, mais l’air se rafraichit la nuit et les arbres en fleurs vous berceront d’une odeur que les meilleurs parfums européens ne peuvent même pas rêver d’imiter.

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En été, Khabarovsk est comme un paradis méditerranéen. Les habitants profitent du soleil et bronzent sur les plages bordant l’Amour. Enfin, pour ceux qui sont restés dans la ville, car la majorité d’entre eux s’est rendue sur les plages du kraï du Primorié, plus au sud. À la périphérie de la ville, on trouve plusieurs lacs paisibles, dont certains abritent d’immenses lotus.

Les moussons arrivent jusqu’à Khabarovsk depuis l’Asie de l’Est. Vous pouvez donc bronzer tranquillement, et soudainement être attaqué par les moustiques les plus agressifs de la planète.

L’automne y est magnifique et la ville se pare de couleurs : les collines qui bordent l’Amour sont jaunes, rouges, oranges et vertes. C’est le moment idéal pour faire une randonnée sur le mont Khekhtsir, d’où vous pourrez admirer l’endroit où les fleuves Amour et Oussouri se séparent, marquant la frontière entre la Russie et la Chine. Gardez cependant à l’esprit que c’est aussi l’habitat des plus grands tigres du monde. En général, ces gros chats laissent les humains tranquilles, mais ils peuvent changer d’avis ou avoir faim ; dans ce cas-là, ils utiliseront les couleurs des feuilles d’automne à leur avantage pour se fondre dans le décor. Faites donc bien attention !

Gardez à l’esprit que ces forêts, parmi les plus sauvages du monde, sont aussi d’une grande importance stratégique. Ne faites pas comme l’auteur de ces lignes qui s’est perdu dans ces forêts un jour d’automne 2007, et qui n’a pu en sortir que le lendemain. J’ai alors évité les tigres, léopards et ours par miracle, et ai gracieusement accepté les sanctions des services de sécurité et de la police locale. Ce n’est cependant qu’un cas isolé, et tout le monde ne sera pas aussi chanceux.

Nostalgie

Certes, Khabarovsk est belle toute l’année et n’est pas très chère, même si, en hiver, il faut payer 200 roubles (2,3 €) pour quelques oranges pas très bonnes importées de Chine. Mais ce n’est pas la ville en elle-même qui me manque. Ce sont les gens. De manière générale, une ville est influencée par ses habitants, et ce sont vraiment eux qui font de Khabarovsk, à mes yeux, la plus belle du pays.

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Les gens y sont particulièrement ouverts et accueillants. Même pendant les périodes les plus tendues de la guerre froide, alors que l’Union soviétique était obnubilée par le secret et la sécurité, la ville n’a jamais été fermée aux étrangers et aux gens vivant à l’extérieur de la ville comme l’ont été Komsomolsk-sur-l’Amour, Vladivostok ou encore l’île de Sakhaline. Il n’y avait pas de gardes qui vérifiaient les passeports et documents de chaque passager d’un train ou d’un avion arrivant à Khabarovsk. Cette ouverture et cette confiance définissent le caractère de la ville.

Étant le seul Indien a plusieurs centaines de kilomètres à la ronde, je ne reçois que des regards curieux et des sourires, qui s’élargissent dès que je prononce un mot de russe. Je me souviens de ma première visite de la ville, en hiver 2006. À l’époque, ça faisait quatre ans que j’habitais à Ioujno-Sakhalinsk, la première ville russe que j’ai appelée « maison ». Je me suis tellement amusé avec mes nouveaux amis, y compris un jeune homme très intelligent qui, plus tard, a développé des algorithmes pour une grande banque moscovite, que je me suis demandé pourquoi j’ai attendu si longtemps pour visiter Khabarovsk. Après ce voyage, elle est devenue ma ville préférée du pays. Plusieurs passages, courts et moyens, et un séjour mémorable pendant un automne et un hiver m’ont convaincu d’y passer plus de temps.

Alors que la pandémie de Covid-19 ne montre aucun signe de déclin, certains amis me disent vouloir déménager à Krasnodar, où la température est plus chaude. D’autres veulent aller à Saint-Pétersbourg ou Kaliningrad pour se rapprocher de l’Europe et, bien sûr, certains veulent aller vivre à Moscou. Aucun de ces trentenaires n’est intéressé par la proposition du gouvernement de recevoir une terre gratuitement et de la cultiver. « Khabarovsk est trop loin du reste du monde », disent-ils. Je tente d’argumenter que Tokyo, Séoul et Shanghai sont proches, et que la chaleur de l’Asie du Sud-Est n’est qu’à un ou deux vols. En vain. Voyager vers, dans et depuis l’Extrême-Orient russe coûte très cher.

Certains amis me répètent l’expression « Где родился, там и пригодился »(« Gde rodilsya, tam i prigodilsya »), qui signifie « Tu es plus utile là où tu es né ».  J’espère cependant qu’ils ne vont pas déménager avant qu’on ait pu passer un peu de temps ensemble dans cette magnifique ville sur l’Amour. D’ici là, nous devrons nous contenter de la technologie pour rester en contact.

Qu’est-ce de vivre dans le plus grand pays du monde ? Trouvez la réponse dans cette publication.

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