L'aéroport de Simferopol (à 1 230 km au sud de Moscou) est la seule voie d'accès direct à la Crimée pour les Russes et inversement. La liaison maritime se fait avec trois escales, il n'y a aucune liaison ferroviaire (le chemin de fer censé contourner l'Ukraine ne sera lancé qu'en septembre 2017) et le pont du détroit de Kertch, qui permettra de rejoindre la Crimée en voiture, ne devrait être achevé que fin 2018. Ainsi, les avions se posent toutes les 10–15 minutes et sont tous remplis.
Pourtant, les taxis à la sauvette locaux n'ont pas assez de touristes. Ils se jettent sur moi à la sortie de la zone d'arrivée. Chaque refus me vaut un regard plein de réprobation.
Leur principal concurrent, le trolleybus municipal, rejoint la ville balnéaire de Yalta en deux heures et demie en longeant la côte Sud de la Crimée. Il coûte 129 roubles (2,07 euros) contre 1 000 roubles (16 euros) pour le taxi, alors que le trajet est à peine plus long, car la route est très mauvaise et très embouteillée.
Crédit : Sergey Melikhov
Des montagnes d'ordures jonchent les bas-côtés. Ma compagne de route, l'enseignante de russe Ioulia Minaïeva, plaisante et dit que les ordures n'ont pas été débarrassées en Crimée depuis que la ligne de bus que nous empruntons a été lancée en 1959. « L'Ukraine ne s'en est jamais occupée. La Russie ne le fait pas non plus. Comment sortir tout ça ? En bateau ? On les remercie déjà pour les réparations qu'ils ont lancées sur la route qui relie l'aéroport à la ville ».
Je sors dans le centre de Simferopol, deuxième ville la plus peuplée de Crimée (336 460 habitants). C'est la ville la plus problématique dans la récente histoire de la Crimée, car outre les Russes, elle est peuplée d'un grand nombre d'Ukrainiens (12,07% des résidents) et de Tatars de Crimée, qui en Occident sont considérés comme les principaux partisans du retour de la péninsule sous le giron ukrainien (8,31%).
Ici, l'ambiance est moins « estivante » : le centre est solidement entouré de vieilles bâtisses soviétiques décrépies, de maisons de prêt et de bureaux d'organismes de crédit qui proposent de l'argent sans formalités en 15 minutes, ainsi que de cafés-kébabs.
J'entre dans un de ces établissements pour prendre mon café du matin, mais la serveuse, la quarantaine, vêtue de bottes à hauts talons, de leggings et d’un pull transparent à grosse maille, refuse d'abord de me servir : selon les mystérieuses règles balnéaires, le montant minimum de commande est de 100 roubles (1,57 euros), alors que le café coûte 80 roubles (1,25 euros). Je suis donc obligé de commander un feuilleté à la saucisse.À la table voisine, un groupe de quatre femmes assez âgées prend un verre. Je m'installe avec elles et leur raconte que la dernière fois, j'étais venu quand j'étais jeune et que je ne voyais aucun changement, non seulement depuis le rattachement à la Russie, mais même depuis l’effondrement de l'URSS. « Il suffit de nous regarder !, répond l'une d'entre elles. Nous sommes heureuses ! Nous sommes revenues chez nous, nous sommes de nouveau avec la Russie, les enfants grandissent sans la guerre, rien que cela donne envie de sourire ! ».« N'écoutez pas cette folle, rien n'a changé, à part les prix qui sont désormais comme à Moscou », l'interrompt son amie.
Je retourne à ma table pendant qu'elles continuent à débattre, mais ne disent rien de concret, rien que je puisse écouter. C'est souvent le cas en Crimée : quand on dit qu'avec l'arrivée de la Russie les choses ont changé en bien, ou en mal, on ne parvient généralement pas à formuler en quoi. Tout se passe au niveau des sentiments personnels et, souvent, des griefs – contre l'ancien pouvoir ukrainien ou le nouveau pouvoir russe.
Le bâtiment voisin du café accueille le bureau du ministère russe de l'Intérieur chargé du transport en Crimée. J'entre au cas où, pensant que personne ne répondra à mes questions sans l'autorisation de l'administration ou un document officiel de Moscou, mais suis surpris par la liberté de la communication. « Nous avons beaucoup plus de travail, m'indique l'employée du département d'enquêtes Elena, qui ne me demande même pas de présenter ma carte de presse. Les lois russes sont très différentes des lois ukrainiennes, surtout en matière d'infractions administratives. Tout est beaucoup plus strict. Moscou contrôle attentivement que tout soit amené à un dénominateur commun ».
Elena est née en Crimée, à Théodosie, et a commencé son service dans la police ukrainienne avant de rejoindre la police russe il y a trois ans. Tous les collaborateurs ont alors eu un mois pour décider soit de démissionner, soit d'accepter le changement. Je lui demande si quelqu'un dans son département a refusé. « Personne. Tout le monde était ravi de se retrouver en Russie. La plupart d'entre nous ne parlions même pas l'ukrainien, alors que nous travaillions pour l'Ukraine, avouez que c'est étrange ».« Et le serment ? ». « Nous avions prêté serment de servir la population et c'est ce que nous faisons. Rien n’a changé ». Elena ne voit pas de changements dans le quotidien : elle n'a pas le temps, elle rentre tard du travail et, parfois, ne rentre pas du tout. Mais elle a entendu dire qu'on faisait de nouvelles routes.
Les policiers et les militaires sont très nombreux à Simferopol. C'est le nombre de forces de l'ordre et l'adoption de la législation russe, plus stricte, qui explique la retombée de l'euphorie liée au rattachement à la Russie, effectivement visible en Crimée. La plupart des locaux méprisent le pouvoir ukrainien, mais l'enchantement vis-à-vis du pouvoir russe qui a repris la Crimée est passé.
Parmi les déçus, on retrouve principalement les petits commerçants, dont les kiosques ont été immédiatement détruits par le nouveau pouvoir à travers la péninsule. « Avant, on faisait avec les bandits, aujourd'hui, on doit faire avec les bandits, la nouvelle police et les fonctionnaires venus de Moscou, m'explique le propriétaire d'un des rares kiosques qui reste sur l'avenue Kirov. C'est trois fois plus cher, et c'est toute la différence ».
Je vais dans la banlieue rencontrer Rifat Bekirov, propriétaire du restaurant Krimsky dvorik, célèbre dans tout Simferopol. Sa clientèle est constituée majoritairement de Tatars de Crimée, comme Rifat. Rifat m’invite à dîner et m’explique qu’il était au début assez réservé envers le rattachement à la Russie, mais qu’à l’heure actuelle, il s’en réjouit.
Rifat Bekirov, propriétaire du restaurant Krimsky dvorik. Crédit : Legion Media
« Beaucoup de choses se sont améliorées. Ne serait-ce que l’école pour enfants dans le quartier tatar. Cela faisait dix ans qu’elle était en chantier, la Russie l’a finie en un an. L’équipement de l’école n’a rien à envier aux écoles européennes, avec des salles informatiques, des salles de sport. Le pont de Kertch se construit, le nouvel aéroport se construit, la nouvelle mosquée se construit. Côté travail, c’est vrai que c’est difficile, mais les retraites ont augmenté. Les Tatars de Crimée qui ont un certificat de déportation (référence à la déportation des Tatars de Crimée sous l’URSS, ndlr) ont reçu 500 roubles (8 euros) supplémentaires. Et tout ça a été fait par les autorités russes. C’est quoi le problème ? Les gens veulent tout, tout de suite. Mais comment voulez-vous tout faire d’un coup alors que ça fait des décennies que l’on ne faisait rien ? »
Rifat est aussi satisfait du fonctionnement des affaires depuis l’intégration à la Russie. « Bien sûr, au début, ça a été difficile pour tous les entrepreneurs : il a fallu se réenregistrer, refaire tous les papiers, les lois ont changé… Mais malgré tout, il est devenu plus facile de travailler. Autrefois, je pouvais avoir jusqu’à 10 contrôles fiscaux par an. Aujourd’hui, l’administration nous embête moins ».
Je lui demande pourquoi, dans ce cas, tant de Tatars de Crimée sont mécontents de leur situation. Rifat répond avec philosophie : « On trouve toujours des mécontents quel que soit le gouvernement. Et puis notre peuple a tellement souffert qu’il est par principe méfiant envers toute forme d’autorité. Mon grand-père a été dékoulakisé en 1937, il était propriétaire d’une usine de caramel et on l’a déporté en Asie centrale avec ma grand-mère. Mais aujourd’hui, je ne vois pas de problèmes de ce genre si tu paies tes impôts, que tu respectes la loi et que tu ne prêches pas l’islam radical, tu n’auras pas d’ennuis ».
Je ne renonce pas et lui demande quelle est la proportion de personnes satisfaites et non-satisfaites selon ses propres observations, dont il ne manque pas : des dirigeants du Medjlis interdit en Russie aux Tatars travaillant dans la nouvelle administration municipale. Il évoque des chiffres qui m’étonnent : 70% de personnes satisfaites et 30% de mécontents.
Il n’existe pas de données sociologiques pour la Crimée en 2017, mais selon une étude menée par le fonds Opinion publique l’année dernière, la proportion dans la région était de 78% de personnes satisfaites contre 12% de mécontents et 10% ne se prononçant pas.
J’entendrai encore souvent ces chiffres dans toute la Crimée, à part à Sébastopol (sud), où même les partisans de l’Ukraine admettent que la grande majorité des habitants de la ville soutiennent le pouvoir russe. Lorsque nous nous séparons, Bekirov ajoute une autre phrase que l’on entend partout en Crimée, et même chez ceux que les nouvelles autorités ne satisfont pas : « Dieu merci, nous ne sommes pas en guerre ».
Yalta. Crédit : Sergey Melikhov
Mon étape suivante est Yalta, l’une des plus grandes stations balnéaires de Crimée et sa principale attraction touristique, « la Cité du bonheur » comme l’affirme une gigantesque pancarte installée à l’entrée de la ville. Mais on n’y trouve pas moins de poussière et d’ordures qu’à Simféropol, les routes y sont tout aussi défoncées et le service touristique est demeuré soviétique, c’est-à-dire pratiquement absent. Le simple fait d’acheter à manger après neuf heures du soir est un défi, et les cafés et restaurants n’ont pas encore installé leurs pavillons d’été sur les quais : il n’y en a que deux pour toute la ville.
Les contents et les mécontents de l’intégration à la Russie sont ici nettement divisés selon leur profession. Les chauffeurs de taxi, par exemple, ne cachent pas leur déception. Une traversée de la ville ne coûte pas plus de 150 roubles (2,3€) et tous les conducteurs ayant voté en lors du référendum de 2014 en faveur de l’intégration (et j’en ai interrogé plus de vingt) sont maintenant mécontents de la baisse de leurs revenus et de la hausse du coût de la vie. « Ce n’est pas qu’il y a moins de touristes, affirme Vladimir, Mais ils n’ont pratiquement aucun pouvoir d’achat. La Russie nous envoie des masses d’assistés, de retraités, de boursiers, qui ne veulent rien payer et qui n’achètent rien du tout. Mais nous, notre vie en dépend directement ».
Même Andreï, vétéran de la guerre d’Afghanistan et membre de la « milice populaire de Yalta », l’un de ceux qui ont occupé en 2014 les bâtiments gouvernementaux et y ont hissé le drapeau russe, reconnaît tout en conduisant : « Ils ont fait une jolie promenade au bord de la mer, ça oui. Merci. Mais qui va s’y promener ? Les Russes se sont fichus de nous. Tout le monde criait : +La Crimée est à nous, nous irons y passer toutes nos vacances !”, et puis finalement, ils vont en Turquie+ ». Lorsque je lui fais remarquer que les responsables sont les habitants de Crimée qui, assis sur une mine d’or, ne sont pas capables de nettoyer leurs rues et de se retenir d’insulter les touristes (dans la sphère des services, le phénomène n’est pas rare), il soupire : « C’est vrai… on peut changer le gouvernement en un jour. Mais pour changer un peuple, il faut des dizaines d’années ».
En revanche, l’état d’esprit est tout autre chez les employés des secteurs dans lesquels la Russie a investi des milliards de roubles de son budget.
Selon la ministre des Finances de Crimée Irina Kiviko, les investissements en provenance du budget fédéral s’élevaient en 2016 à 79,7 milliards de roubles, soit 1,28 milliards d’euros. En 2017, les dépenses vont encore augmenter de 12 milliards de roubles, soit 190 millions d’euros.
L’ancien camp de pionnier Artek avait tout du vieux camp de vacances soviétique, c’est maintenant un centre pour enfants flambant neuf de niveau mondial, avec un complexe sportif et une plage aménagée, que plus de 5000 enfants visitent tous les ans. À côté des bâtiments croulants qui l’entourent, il semble tombéd’une autre planète. Elina Loutskaïa, adjointe du directeur du département éducatif, gagne 50 000 roubles par mois (806 euros) et rayonne de bonheur. « Poutine est génial, embrassez-le pour moi ! Il a fait en trois ans ce que l’Ukraine n’a pas pu faire en vingt. Eux, ils nous crachaient dessus ».
Artek. Crédit : Sergey Malgavko / RIA Novosti
Irina Beloziorova, femme originaire de Yalta qui travaille depuis plus de quinze dans l’administration de la ville et qui était l’une des organisatrices du référendum de 2014, semble agacée par les questions sur le mécontentement lié au pouvoir russe. « C’est ceux qui ne veulent pas travailler qui sont mécontents ! s’indigne-t-elle. Ou ceux qui avaient leurs entrées et qui, moyennant des pots-de-vin, pouvaient faire ce que bon leur semble à Yalta. Il y a plusieurs années, un centre commercial monstrueux a été élevé au beau milieu de la promenade en cachant des vues magnifiques sur la mer. Les habitants étaient en colère, ils protestaient, mais personne n’y pouvait rien : l’un des bandits locaux en avait décidé ainsi, un point c’est tout. L’année dernière, le centre a été démoli. Il y a bien plus d’ordre avec la Russie ».
Les yeux d’Irina commencent à briller quand elle parle du référendum. « Je n’ai jamais vu plus d’enthousiasme de toute ma vie. Avec mes amies, on pleurait de joie. Quand on était encore en Ukraine et qu’il m’arrivait de tenir dans mes mains un passeport russe, je me demandais si un jour j’en aurais un moi aussi. Personne ne le lui a appris, mais ma fille a toujours appelé la hryvnia (la monnaie nationale ukrainienne) le « rouble ». On se sentait Russes, c’est tout. Or on vivait selon des lois étrangères et on rédigeait la documentation en langue étrangère ».
Irina Beloziorova. Crédit : Sergey Melikhov
Par rapport au reste de la Crimée, Sébastopol, la destination finale de mon voyage, semble être un autre monde. Tout est propre, les façades des bâtiments sont restaurées et peintes de blanc, la promenade est impeccable, les gens sont bien vêtus, les jeunes ne diffèrent en rien (en tout cas de prime abord) de leur « homologues » européens, les skateboards, les scooters et la bonne nourriture sont partout.
On dirait une petite ville tranquille du Midi de la France, mais ce sont les manifestations prorusses de Sébastopol qui ont donné le signal de départ de la campagne criméenne de 2014. Des traces en sont visibles encore aujourd’hui : ici, un morceau de barricade improvisée, là, un balcon arborant les trois couleurs du drapeau russe, plus loin, un drapeau rouge soviétique et un ruban de Saint-Georges et là-bas, un portrait du président Vladimir Poutine représenté sur un mur sous les traits d’un défenseur de Sébastopol.
Sébastopol. Crédit : Sergey Melikhov
« Ce n’est encore rien, l’hystérie est passée, me dit mon guide, Ioulia, l’une des rares habitantes à avoir refusé en 2014 la citoyenneté russe. Aujourd’hui, elle ne possède qu’un titre de séjour qu’elle doit renouveler chaque année et qui l’empêche de trouver un emploi officiel. Je m’estime Ukrainienne, bien que je sois née à Orenbourg (environ 1 200 kilomètres au sud-est de Moscou) et que j’aie passé 39 ans à Sébastopol ».
J’ai choisi pour guide Ioulia pour son impartialité. Nous nous promenons sur la place de l’Amiral Nakhimov où les forces prorusses ont rassemblé au printemps 2014 les premiers détachements d’autodéfense. Bien que les autochtones la qualifient de « traître », elle reste objective : depuis le rattachement à la Russie, il y a plus d’ordre, la ville est ravitaillée en eau et en électricité en permanence, ce qui n’était pas le cas avec l’Ukraine, les routes, les places et les bâtiments sont réparés. D’ailleurs, il ne pouvait y avoir d’autre scénario que celui du retour de Sébastopol dans le giron de la Russie.
Sébastopol. Crédit : Sergey Melikhov
« On affirme souvent que l’Ukraine ne voulait pas remarquer la Crimée, qu’elle ne comprenait pas ses problèmes. Mais c’est vrai. Kiev n’accordait aucune attention à Sébastopol. Or c’est la ville la plus russe de Crimée depuis toujours. +Russie, viens !+, +Poutine, reprends-nous !+, +On veut rentrer !+. Tels étaient les slogans. Je m’en souviens très bien ».
J’interroge Ioulia sur le nombre approximatif de ses « semblables » ayant refusé de devenir russes. « Environ un millier de personnes, mais la moitié est déjà partie. Un millier sur quatre cent mille. Une goutte d’eau dans l’océan. Moi, je n’étais pas étonnée de l’arrivée du +printemps russe+ », a-t-elle indiqué.
Une tout autre histoire est celle de la famille de Viktor Ievdokimov, Moscovite de souche qui a décidé de tout abandonner dans la capitale pour déménager en Crimée et aider la région à se relever. « Oui, je suis un occupant », rit-il.
Les Ievdokimov. Crédit : Sergey Melikhov
Nous flânons le long de la promenade avec sa femme Ksénia et sa fille Dana de 11 ans qui aura très bientôt une petite sœur. À Moscou,Ksénia appartenait à un autre camp politique : elle était directrice artistique du club Demain qui accueillait en 2011, lors des protestations de la place Bolotnaïa contre les fraudes électorales lors des législatives, l’opposition anti-Poutine (avec l’accord de Ksénia).
« La première fois, j’étais troublée en venant à Sébastopol, raconte-t-elle. Avec mon mari, patriote russe jusqu’au bout des ongles, les scandales au sujet de la Crimée n’en finissaient pas dans la famille. Mais une fois sur place, j’ai compris que Sébastopol était une ville entièrement russe, que ce n’était pas pour rien qu’on l’appelait +ville de marins russes+ et qu’il était pour le moins stupide d’affirmer que son rattachement est une occupation de force. Les gens sont heureux, la ville dégage une énergie fantastique et cette union, c’est le pied, aussi étrange que soit cette déclaration de ma part. Et puis les marins sont très sympas ».
Viktor, qui était médecin urologue à Moscou et qui, en ne trouvant à Sébastopol qu’un emploi de serveur, est pratiquement reparti à zéro, le confirme : il est très important pour lui d’être Russe ici, bien qu’il ait une attitude ironique envers l’ivresse patriotique.« D’ailleurs, il ne reste rien de cette ivresse. Tout est calme, l’euphorie est passée, personne n’attend plus de miracle, ne rêve plus de toucher le pactole, de voir les prix dégringoler ou de marcher dans des rues pavées d’or. Tout le monde comprend que le plaisir a un prix. Or les prix sont comme à Moscou. Nombre de PME ont fermé, que ce soit en raison des sanctions ou des lois russes. Les touristes sont moins nombreux. En 2014, portés par la vague d’euphorie du rattachement, beaucoup de Russes sont venus, ont été horrifiés et sont repartis. Parce que le secteur des services est dans un état catastrophique. Toutefois, les habitants de Sébastopol sont reconnaissants à la Russie parce que le problème de la langue était la pierre angulaire pour nombre d’entre eux. L’Ukraine imposait l’ukrainien dans les écoles, à la télévision et à la radio. Or les habitants se sont toujours estimés Russes et voulaient parler russe. Aujourd’hui, il ne reste dans la ville qu’un seul magasin avec une enseigne en ukrainien. Mais il est ouvert et personne ne le démolit ».
Les projets des Ievdokimov pour cette année sont assez impressionnants : vendre leur appartement à Moscou, ajouter à cette somme leurs épargnes pour acheter un logement à Sébastopol (où pour l’instant ils louent un meublé) et ouvrir un bar branché. « Je ne sais pas faire beaucoup de choses dans la vie », sourit Ksénia.
Le soir tombe sur la promenade et un accordéoniste portant un uniforme de marin de la Flotte de la mer Noire commence à jouer une chanson militaire russe, Sombre nuit, enchaînant sur une autre, Le Jour de la Victoire. Ce n’est pas encore le mois de mai, durant lequel la Russie fête la Victoire dans la Seconde Guerre mondiale, mais les petites vieilles rassemblées sur les lieux fredonnent déjà avec entrain.
Sébastopol. Crédit : Sergey Melikhov
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