Répression stalinienne: les bourreaux eux-mêmes en ont parfois été victimes

TASS
Denis Karagodine qui habite Tomsk (presque 3 000 kilomètres à l’est de Moscou) a décidé il y a quelques années de savoir qui avait condamné son arrière-grand-père à être fusillé dans les années de répression stalinienne. Il a mené à bien son entreprise et a trouvé, dans les archives, les noms de trois employés du commissariat du peuple (ministère) de l’Intérieur. Et a reçu rapidement une lettre de la part de la petite-fille de l’un d’eux lui demandant pardon.

« Flash ! Nous les avons trouvés ! Tous ! », a récemment écrit Denis Karagodine, 34 ans, diplômé en philosophie, sur le site consacré à son arrière-grand-père. Il indiquait avoir trouvé dans les archives du Service de sécurité de Russie (FSB) un document sur l’exécution de 36 personnes, dont son arrière-grand-père. Il insistait surtout sur le fait que ce document mentionnait « les noms des bourreaux directs ».

Le paysan Stepan Karagodine a été arrêté à Tomsk en 1937, en plein milieu de la période qui sera qualifiée par la suite de Grande Terreur stalinienne. Il a été condamné à mort comme espion japonais et organisateur d’un groupe de subversion. Il a été exécuté en janvier 1938 et a été réhabilité à la fin des années 1950, pendant le réchauffement, sous Khrouchtchev et la déstalinisation.

Stepan Karagodine. Crédit : blog.stepanivanovichkaragodin.orgStepan Karagodine. Crédit : blog.stepanivanovichkaragodin.org

La liste des bourreaux

Denis Karagodine a commencé ses recherches en 2012. Il a envoyé des demandes dans différents centres d’archives et a réussi à dresser une liste des bourreaux comportant des dizaines de noms. Cette liste des « organisateurs du meurtre » comporte les noms de plusieurs membres de la direction soviétique, comme Staline, Molotov et Vorochilov, ainsi que ceux de gens plus simples, comme le chauffeur du ministère. Denis Karagodine est convaincu que la responsabilité du meurtre de son arrière-grand-père incombe même aux dactylos qui recopiaient les listes de victimes.

Il a reçu le document principal – l’acte d’exécution de la peine de mort par le département du ministère de l’Intérieur de Tomsk – en novembre, après une seconde demande adressée à la direction du FSB pour la région de Novossibirsk, voisine de la région de Tomsk. Ce document est signé par trois personnes. La première signature est celle de Nikolaï Zyrianov, chef adjoint de la prison de Tomsk.

Tendre la main de la réconciliation

Les informations sur l’enquête de Denis Karagodine étant largement exposées sur les réseaux sociaux, l’homme a bientôt reçu une lettre de la part de la petite-fille de Nikolaï Zyrianov. « Je ne trouve pas le sommeil depuis plusieurs jours […] J’ai honte pour tout cela, j’en éprouve une douleur physique. Et c’est avec amertume que je constate que je ne peux rien changer, seulement reconnaître ma parenté avec Nikolaï Zyrianov et prier pour votre arrière-grand-père », lui a-t-elle écrit dans une lettre dont Denis Karagodine a publié des extraits. Elle y indique toutefois que son arrière-grand-père maternel avait, lui aussi, été victime de la répression : « Ainsi, il s’avère qu’il y a dans une même famille des victimes et des bourreaux ». Denis Karagodine lui a répondu : « Je vous tends la main de la réconciliation, aussi difficile qu’il soit pour moi de le faire ».

Aujourd’hui, Denis Karagodine a l’intention d’engager des poursuites pénales contre vingt personnes, de Staline jusqu’au chauffeur du fourgon cellulaire qui figure dans le dossier comme complice, pour meurtre de masse par un groupe de personnes avec entente préalable.

Le mal doit être oublié

L’histoire de Denis Karagodine a bouleversé l’opinion. Pour nombre de Russes, c’est une enquête « historique ». Pour Stanislav Koutcher, observateur de la radio Kommersant FM, la tentative de Denis Karagodine d’engager des poursuites pénales contre les assassins de son arrière-grand-père est « un évènement historique avec de sérieuses conséquences politiques […] Personne n’a encore eu l’idée d’engager des poursuites contre l’État stalinien sur la base du code pénal, par le biais d’une enquête personnelle et d’une action en justice personnelle au sujet de la mort d’un membre de sa famille. Le fait que la réponse à la question de savoir si Staline était bon ou méchant ait été proposée par un homme intelligent, faisant partie des enfants du millénaire, est symbolique et me rend plus confiant en l’humanité », a reconnu Stanislav Koutcher.

Il y a toutefois ceux qui estiment que mettre en lumière le sort de son arrière-grand-père est une tâche digne, mais qu’en dressant la liste de ses bourreaux, Denis Karagodine est allé trop loin. D’après le journaliste Dmitri Olchanski – dont l’arrière-grand-père a également été exécuté dans les années de la répression sur de fausses accusations – « il est impossible de faire revenir qui que ce soit » tout comme « il est impossible de changer quoi que ce soit dans le passé […] Il n’existe pas de responsabilité ni de repentir à travers les générations. Il n’est possible de se repentir que pour ses propres péchés […] Je pense qu’il est trop tard pour punir les assassins de mon arrière-grand-père. Je pense qu’il faut oublier le mal. Entièrement, définitivement, tout le mal », recommande-t-il.

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