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« Les pêcheurs se lèvent tôt l’hiver, quand il fait encore nuit, vont jusqu’à la mer en motoneige et travaillent jusqu’au soir, explique Ivan Egorov, président de la ferme collective (kolkhoze) piscicole Zaria Severa, sur la route de Kolejma, un ancien village pomor campé sur les rives de la mer Blanche. Et c’est comme ça tous les jours, de décembre à mars… ».
Cette période est la saison de la morue boréale, le principal poisson pêché en ces contrées. Le travail est dur, le froid glacial et les vents à cette époque de l’année difficilement supportables. Il fait parfois moins 30, voire moins 40, ce qui, compte tenu de l’humidité locale, pourrait être qualifié de climat inhumain.
De nos jours, les pêcheurs locaux ne partent presque jamais en mer à bord de navires. En hiver, les eaux sont gelées, et ils se rendent donc en motoneige jusqu’aux filets montés sur des anneaux visant à attraper la morue boréale. Au printemps, lorsque c’est la saison des harengs et des éperlans, ces derniers sont pêchés à marée haute au moyen de pièges faits de filets et de branches ; ce n’est qu’en été que les pêcheurs prennent la mer à bord de leurs petites embarcations, en direction des îles, pour y cueillir les algues (l'on en fabrique des engrais et des compléments alimentaires). Il peut être dangereux de naviguer sur un petit navire dans la dure mer Blanche, c’est pourquoi les Pomors conservent depuis des générations des « règles de comportement » sur l’eau.
« Vous ne devez pas siffler en mer – ça attire les tempêtes. Si vous sifflez, le vent montera à tous les coups et une grosse vague déferlera, explique Pavel, un jeune pêcheur. Et puis vous ne pouvez pas jeter de déchets dans la mer ».
« Il ne faut surtout pas jurer et boire de la vodka en mer si vous voulez rentrer chez vous », ajoute Vladimir.
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Le village de Kolejma est mentionné dès 1548. Dans des temps anciens, des marais salants et la fabrique d’armes du monastère des Solovki s’y trouvaient. Cependant, la principale occupation des habitants a toujours été la pêche. Les Pomors vivent ici depuis des siècles : de père en fils ils étaient pêcheurs, constructeurs navals et marins.
Il y avait autrefois des dizaines de villages sur les rives de la mer Blanche, mais maintenant, vous pouvez les compter sur les doigts de la main. Kolejma est l’une des dernières municipalités où le mode de vie et l’artisanat traditionnels des Pomors ont été préservés.
La plupart des villages pomors tombent aujourd’hui en désuétude, et les gens ne s’y rendent que l’été, pendant les vacances. Il n’y a pas de travail, les conditions de vie y sont très dures, et beaucoup ont migré vers les villes. Dans ce contexte, Kolejma fait figure d’exception : la plupart des habitants travaillent dans la ferme piscicole fondée en 1930. « Notre ferme livre 100 à 110 tonnes de morue boréale par saison hivernale, c’est la moitié de toutes les prises de la région », explique son président. Des chiffres aussi élevés s’expliquent par l’emplacement favorable du village, les poissons appréciant les eaux peu profondes.
« Une ligne de filets est placée pour la marée montante, l’autre pour la marée descendante, l’eau de la mer va et vient, et le poisson est pris dans les filets », explique M. Kotchine. C’est ainsi qu’il y a plusieurs siècles, les ancêtres des habitants actuels vivaient de la pêche hivernale, à la seule différence qu’ils devaient se déplacer à cheval sur la glace, et non en motoneige.
Voici à quoi ressemble la pêche hivernale.
Actuellement, règne toutefois l’automne, et les équipes se préparent pour la saison : elles inspectent les pièges – s’il y a des trous, il faut les reboucher, les pierres destinées à servir de lest sont vérifiées. Cette tâche est toujours réalisée le samedi, qui est considéré comme un jour favorable. Si vous le faites un autre jour, à tous les coups, vos filets resteront vides, estiment les habitants.
Dans le village, toutes les maisons semblent être tout droit sorties d’un tableau digne du Musée d’architecture du Nord. Certaines sont bien sûr à l’abandon, mais toutes sont en bois, monumentales, à deux étages et possèdent une loggia – une véranda vitrée. Près de beaucoup d’entre elles l'on aperçoit des karbas, les bateaux traditionnels des Pomors.
« À l’époque soviétique, tout le monde avait un bateau en bois, et un grand était fourni pour chaque brigade, mais dans les années 1990, les marins ont commencé à se faire rares », explique Sergueï Legki, « Pomor de père en fils, maître spécialisé dans les bateaux », comme le présente le président du kolkhoze.
Sergueï a travaillé durant presque toute sa vie d’adulte à Petrozavodsk, dans un chantier de construction navale ; après la chute de l’URSS, lui et son frère Vassili ont décidé de relancer la fabrication de karbas à Kolejma. « Ce sont des bateaux authentiques, comme jadis », explique-t-il.
Impossible de compter les embarcations qu’ils ont fabriquées au fil des ans… À la ferme piscicole, on utilise des bateaux en plastique locaux, fabriqués à Petrozavodsk, mais ils sont moins chers et moins exigeants en matière d’entretien que les modèles en bois. Toutefois, les barques des frères Legki sont aujourd’hui connues dans toute la Russie. Le plus souvent, on les utilise pour des excursions touristiques – si vous êtes déjà monté dans une telle embarcation, il est probable qu’elle a été fabriquée par des artisans pomors.
De nombreux habitants de Kolejma sont partis au cours des dures années 1990, mais sont revenus en fin de compte, car la vie a commencé à s’améliorer.
130 personnes sont aujourd’hui recensées dans le village, dont seulement la moitié restent en hiver. Beaucoup partent pour les villes, bien que les salaires dans la ferme collective soient un tiers plus élevés qu’à Belomorsk. Le problème est le manque d’infrastructures : la vie est difficile pour les familles avec enfants. « Il n’y a pas d’école, pas de crèche, juste un internat à Soumski Possad », explique Alexandre, pêcheur. Lui-même travaille à la ferme piscicole depuis 12 ans, et il est toujours célibataire.
Baba Goussia
Pavel KouzmitchevNéanmoins, il y a une habitante de Kolejma qui n’est jamais partie et est littéralement devenue une attraction locale. Avgousta Mikhaïlovna, Baba Goussia comme l’appellent affectueusement ses voisins, est la doyenne du village. Elle est née en 1928 et a consacré presque toute sa vie à la ferme piscicole. Elle a travaillé à la poste, à la crèche, a préparé le foin et a même navigué en mer de Barents sur un navire comme cuisinière.
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« On en a connu des aventures… À Teriberka, je ne sais pas dans quelle direction nous allions, le brouillard s’étendait loin dans la mer, et le moteur est tombé en rade. Je suis allée sur le pont pour regarder, et je vois que le capitaine, Ivan Vassilievitch, peine à faire avancer le navire… Coup de chance, un bateau à vapeur passait par là et a entendu nos signaux d’urgence, il nous a remorqués et nous a sauvés ! ».
Baba Goussia se souvient parfaitement comment elle allait à l’ancienne église lorsqu’elle était enfant, avant qu’elle ne soit transformée en maison de la culture à l’époque soviétique. Elle se rappelle également la Seconde Guerre mondiale, lorsque des enfants ont été évacués à Kolejma, loin de la ligne de front. Elle conserve aussi en mémoire les pères et grands-pères des pêcheurs actuels – elle a eu la chance de travailler avec beaucoup d’entre eux.
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