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« Je n'oublierai jamais ce jour ! Affamés, couverts de nos propres saletés, enfermés dans un espace exigu avec les camarades morts en chemin, nous sommes arrivés à la gare de Liège... Nous, prisonniers de guerre, avons été débarqués des wagons, et des femmes belges avec des seaux ont couru vers nous... Les Allemands les ont frappées, ne les ont pas laissées entrer, mais elles ont tout fait pour nous donner de l'eau, ou au moins nous asperger... », assis dans la cuisine d'une maison de Pont-à-Sel, Ivan, un homme âgé, se remémore les terribles événements de son passé. Comment il est arrivé en Belgique à l’apogée de la Seconde Guerre mondiale, après avoir été blessé sur le front de l'Est et avoir survécu à la captivité dans les camps nazis.
Ivan Bachkatov
Ioulia KazakovaAu moment des événements décrits ci-dessus, le lieutenant subalterne de l'Armée rouge Ivan Bachkatovn'avait que 23 ans. Il souffle aujourd’hui ses 100 bougies. « Je n’aurais pas cru moi-même à cette histoire et je dirais maintenant qu’il était tout simplement impossible que je survive à cela », avoue notre héros.
Lorsque les troupes d'Hitler ont envahi l'URSS, un natif de la région russe d’Ielets nommé Ivan servait en Biélorussie soviétique près de la ville de Grodno, non loin de la Pologne. « Jour et nuit, nous entendions les forces ennemies tirer vers la frontière. Nous savions que la guerre était sur le point d’éclater », dit-il. Néanmoins, les événements survenus dans la nuit du 21 au 22 juin 1941 furent absolument accablants pour tous les militaires de l'unité d'Ivan. Le régiment de Bachkatov menait des exercices cette nuit-là, et au début, il ne fut pas trop surpris de voir des avions de la Luftwaffe au petit matin. « Je pensais que cela faisait partie de la tactique... Et puis j'ai vu avec horreur comment notre ville militaire fumait au loin... »
Ivan avec ses camarades soviétiques
Archives personnellesDans les premières minutes, la panique régnait. Ivan raconte qu’il a dû prendre le commandement à ses risques et périls ; fuyant les chars allemands, son peloton s'est retiré vers un terrain rocheux. Plus tard, les subordonnés de Bachkatov avaient une mission spéciale - retenir les soldats de la Wehrmacht jusqu'à ce que les forces principales de l'Armée rouge quittent la zone. « Nous n'étions que 200, nous nous sommes battus en groupe. Nous manquions de grenades, nous manquions de cartouches. J'ai donné l'ordre de rester debout, armes à la main », raconte-t-il. Au cours de cette bataille, Ivan a été blessé au cou et s'est évanoui. « Quand je me suis réveillé, les nazis se tenaient autour de moi et criaient : "Cochon russe ! Communiste !" », se souvient Bachkatov.
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Image d'illustration. Camp de transit surpeuplé près de Smolensk, Russie, en août 1941
Archives fédérales allemandes, Bild 183-L28726 / Markwardt / CC-BY-SA 3.0Bien qu'Ivan ait réussi à survivre, sa vie ne tenait qu’à un fil. Le jeune homme a été secouru par d'autres soldats de l'Armée rouge, ainsi que par sa force de caractère. Immédiatement après sa capture, les Allemands ont essayé de savoir qui commandait l'unité de Bachkatov, mais les soldats n'ont pas trahi leur jeune commandant. Lorsqu'ils ont été emmenés au camp, ils ont coupé les barbelés et se sont mélangés avec les autres prisonniers de la Wehrmacht, de sorte que les bourreaux allemands ne puissent pas les retrouver et les exécuter.
Néanmoins, les prisonniers de guerre du front de l'Est ont été confrontés à de nombreuses épreuves plus sévères : les nazis les humiliaient, les affamaient et les forçaient à réaliser un travail éreintant, les soumettant également à des tortures particulièrement sophistiquées - par exemple, ils les attirèrent en leur promettant de l'eau chaude dans les bains, puis les jetèrent dans le froid avant de les regarder mourir. Miraculeusement, Bachkatov a réussi à échapper aux mains des tueurs - il a rampé dans une sorte de « trou à rat » où il s'est caché pendant de longues heures.
Mais un jour, Ivan et d'autres soldats soviétiques survivants ont été poussés de force dans un train à destination de Liège... Ils devaient extraire le charbon des mines belges, si nécessaire au Troisième Reich pour mener les hostilités sur le front de l'Est.
« En captivité, je ne pensais qu'à la façon de m'échapper et de combattre Hitler les armes à la main », explique Ivan. « Le dur labeur dans les mines n'a été facilité que par le soutien apporté par les Belges. Ils mangeaient unpeu mieux que nous, mais toujours très mal - 2-3 pommes de terre... Quand quelqu'un m'en tendait une en cachette, j'étais gêné de la prendre... », se souvient-il. Il y avait un autre moyen d'obtenir ne serait-ce qu’un peu de nourriture - les soldats soviétiques fabriquaient des bagues à partir de pièces de monnaie et d'autres bibelots à partir de matériaux récupérés. Après cela, ils étaient échangés contre du pain avec les gardiens allemands. C’est ce « business » rudimentaire qui a finalement assuré à Ivan une évasion réussie...
Dans la soirée, alors que les gardes conduisaient les prisonniers des mines au camp de travail, un camarade d’Ivan a montré à l'un des nazis le petit trésor qu’il avait confectionné - une trousse à crayons. Pendant que l'Allemand, attirant l'attention des autres, jouait avec le couvercle hermétiquement fermé, Bachkatov et trois autres prisonniers ont réussi à s'échapper. « Nous nous sommes précipités à travers les fourrés denses, nous déchirant la peau en lambeaux, les Allemands ont fait le tour. Selon mon plan, nous devions atteindre le coin d'une maison voisine - avant d'être rattrapés par les balles allemandes, explique Ivan à propos de l'un des moments les plus importants de sa vie. Nous avons réussi, et plus tard pendant deux jours nous nous sommes cachés au milieu d'un champ de betteraves à sucre, observant les nazis avec des chiens rôder à quelques dizaines de mètres... Le troisième jour nous avons finalement rencontré des résistants belges ».
Le chef du détachement de la Résistance que Bachkatov a rencontré l’a caché avec ses camarades dans sa maison. Cependant, les Belges ne se sont pas empressés de faire confiance aux anciens prisonniers de guerre soviétiques : ces derniers ont été interrogés pendant environ un mois, afin de découvrir d'éventuels traîtres. Le jeune sous-lieutenant de l'Armée rouge, qui ne parlait pas de langues étrangères, devait communiquer avec ses nouveaux amis par gestes. Mais bientôt, les derniers doutes des résistants locaux se sont dissipés et Ivan, qui avait déjà une solide expérience de combat derrière lui, est devenu un participant indispensable aux opérations les plus périlleuses...
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Quelles opérations de sabotage n'a pas organisées le groupe d'Ivan ! Devançant les Allemands, ils ramassaient des armes larguées en parachute par les Alliés, faisaient sauter des usines et des écluses de canaux par lesquelles passaient des barges chargées de charbon, se souvient-il. Opérant près d’une voie ferrée, la cellule de Bachkatov empêchait de toutes les manières possibles le mouvement des convois ennemis. « Nous choisissions la voiture du milieu du train, versions du sable de verre dans les roulements et, après un certain temps, ils prenaient feu en plein mouvement », explique Ivan.
Un jour, Bachkatov et ses associés sabotaient de nouveau des voies de communication. Toujours à l’affut de ces résistants insaisissables, les Allemands les ont attaqués. Heureusement, Ivan n'est pas rentré ce jour-là dans la maison de son ami belge, mais s'est caché dans la forêt voisine. Quoi qu’il en soit, il était trop dangereux de continuer à abriter les Russes, et les habitants refusèrent... Ainsi, Bachkatov s'est retrouvé dans la maison de la nièce du tout premier Belge qu'il avait rencontré après son évasion, Marcelle, 17 ans, qui deviendrait plus tard sa femme. « Elle était très belle et raffinée, je ne sais pas pourquoi elle m'a choisi - je ne me suis jamais distingué par ma beauté et je ne brillais pas par mon éducation, sourit notre héros avec embarras. À moins qu'elle n’ait été attirée par ma nature intrépide… »
La guerre a pris fin en Belgique avec l'arrivée des forces alliées à l'automne 1944. Cependant, selon Bachkatov, à ce moment-là, le pays avait déjà été complètement libéré par les résistants. Cependant, malgré la fin des hostilités directes, l’activité d'Ivan en Belgique n’a pas pris fin, loin de là : connaissant parfaitement la région, il a travaillé comme agent de liaison pour l'armée américaine, participé à la création de l'Union des patriotes soviétiques de Belgique (par la suite devenue la célèbre Union des citoyens soviétiques), aidé au tournage de films de guerre, organisé le retour des prisonniers soviétiques dans leur patrie... La belle Marcelle rendait visite à Bachkatov, complètement absorbé par cette activité incessante. « Je travaillais dans le peloton du commandant du camp de Mons, où il y avait des citoyens de l'URSS qui attendaient leur déportation. Et je l’ai vu venir et pleurer... Pleurer comme si toute sa vie dépendait de moi... », se souvient-il. Incapable de supporter un tel spectacle, Ivan est resté en Belgique pendant encore quatre ans - pour mener à bien des missions d'attaché militaire de l'URSS et rester aux côtés de sa bien-aimée.
Marcelle et Ivan
Archives personnellesLe délai fixé par le décret s’est écoulé en un clin d’œil. Pendant ce temps, Bachkatov avait réussi à étudier pour devenir électricien et mécanicien, construit sa propre maison, et participé à plusieurs opérations visant à identifier les traîtres de l'armée du général Vlassov, dont beaucoup étaient restés après la guerre en Belgique en se faisant passer pour des prisonniers de guerre ordinaires. Ivan n’avait pas eu le temps de reprendre son souffle qu'il reçut une lettre spéciale de l'ambassade soviétique - et il ne s'agissait pas d'affaires d'État, mais de lui, Bachkatov, et de son retour tant attendu dans sa patrie.
« Tout le monde s'est assis, a bu solennellement, et ils m'ont dit : "Eh bien, cher camarade, votre travail est terminé, vous avez fait votre devoir. Il est temps de partir." Et je dis : "J'ai un problème". Ils étaient surpris : "Quel est le problème, Ivan Alexeïevitch ?" Et je réponds : "Eh quoi, dois-je laisser ma femme et ma fille de trois ans ici, raconte Ivan en riant. Les fonctionnaires ont été extrêmement surpris. Ils se sont éloignés, ont parlé entre eux et ont dit : "Camarade Bachkatov, c’est décidé : continuons à travailler ensemble. Nous vous permettons de rester" ».
Cela fait sept ans que la belle Marcelle, dont l'amour a fait qu'un simple Soviétique, Ivan, s'est installé pour toujours en Belgique, est décédée. Il vit désormais seul, dans cette même maison de briques rouges construite après la guerre de ses propres mains. Au printemps, son jardin fleuri lui fait parvenir de douces effluves naturelles, lui rappelant ces odeurs si caractéristiques dans son pays natal de la fête du 9 mai, qui marque la fin de la Seconde Guerre mondiale pour l'URSS.
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« Soyez comme chez vous dans ma maison, dit Bachkatov, en recevant des invités à une table sur laquelle fument des raviolis russes et de petits verres d'un alcool versé de la main généreuse du maître de maison. Vous êtes avec le Russe Ivan, je suis hospitalier avec tout le monde, j'ai toujours été comme ça et je suis resté le même ».
Ivan Bachkatov avec la présidente de l'organisation Meridian Ella Bondareva
Archives personnellesEt de fait, malgré son âge avancé, notre héros s'occupe seul de toutes les tâches ménagères, même si ses compatriotes de la Maison russe à Bruxelles et de l'organisation Meridian tentent de s'occuper de lui. « Nous nous inclinons devant Ivan Alexeïevitch, dont le destin sert d'exemple de force morale et de loyauté à la jeunesse d'aujourd'hui, déclare Vera Bounina, directrice de la Maison russe à Bruxelles. Mais pour nous, ce n'est pas seulement une légende vivante, mais aussi un ami de longue date, un favori de toute la diaspora russe en Belgique ».
Comme pour le plus grand plaisir de ses compatriotes, Ivan Alexeïevitch affiche toujours une excellente tenue militaire. Il est donc difficile pour un étranger de croire que derrière sa haute taille et sa corpulence athlétique se cache un homme centenaire, et non ce jeune lieutenant soviétique qui s’était jadis battu avec tant d'ardeur pour une patrie étrangère par la suite devenue la sienne.
L'auteur exprime sa profonde reconnaissance à l'égard de la Maison russe à Bruxelles et de l'organisation Meridian (Maison russe de Liège), sans la participation desquelles la rédaction du présent article n'aurait pu se faire.
Dans cet autre article, nous vous dressons le portrait d'Anna Marly, voix russe de la Résistance française.
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