Ces émigrés de l’Empire russe qui ont donné leur vie pour la Libération de la France

Kira Lisitskaïa (Photo: Domaine public; Maison des Russes à l'étranger Alexandre Soljenitsyne)
Beaucoup de ceux qui ont dû quitter l'Empire russe à cause de la révolution ont trouvé refuge en France. Après l'occupation du pays pendant la Seconde Guerre mondiale, ces gens ont sans hésitation décidé de se battre pour la libération de leur deuxième patrie.

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Selon l'association Mémoire Russe, qui s'est engagée à restaurer la mémoire des Russes décédés en France, on peut aujourd'hui parler de 11 000 émigrés russes et citoyens soviétiques ayant donné leur vie pour la libération de l'Hexagone des occupants allemands*

Il s’agit de personnes aux destins complètement différents : certaines ont quitté l'Empire russe pour fuir le feu de la révolution tandis que d’autres sont des prisonniers de guerre soviétiques évadés des camps allemands, et même des collaborateurs ayant intégré la Résistance en faisant faux-fond aux troupes hitlériennes. Guidés par des motifs différents, ils ont néanmoins fait un choix commun en faveur de la lutte contre l'oppression nazie.

1. L'histoire de la princesse Vera Obolenskaïa, l'une des fondatrices et « secrétaire centrale » d'une importante branche de l'Organisation civile et militaire (OCM) de la Résistance française, est si dramatique qu'elle a généré de nombreux mythes. On lui attribue souvent les réussites de l'ensemble de toute sa cellule, par exemple, un rôle clé dans l'envoi aux Alliés d'un plan détaillé des défenses du « mur de l'Atlantique ». Cependant, aucune preuve directe de tout cela n'a été trouvée. Dans le même temps, les mérites de « Vicky » - comme ses intimes appelaient l'héroïne - envers la Résistance ne sauraient sous-estimés.

Princesse Vera Obolenskaïa, alias « Vicky »

Après le début de l’occupation, la princesse rejoint les rangs de la Résistance avec son mari Nikolaï Obolenski, né en France.

Mariage de Vera et Nikolaï Obolenski à Paris

Possédant une mémoire hors du commun, Vicky a coordonné les activités de l'Organisation civile et militaire et recueilli des renseignements, tandis que le prince aidait les prisonniers de guerre soviétiques qui s’étaient évadés des camps allemands. Avec sa fidèle amie Sofia Nossovitch, également émigrée russe et ancienne mannequin, elle a œuvré pour la libération du pays.

Les deux jeunes femmes sont tombées entre les mains de la Gestapo alors qu'elles se trouvaient dans un appartement utilisé pour organiser des conspirations. Vera Obolenskaïa a été exécutée à Berlin dans la prison de Plötzensee le 4 août 1944 tandis que Nossovitch a été envoyée en camp de concentration.

Prison où la princesse Obolenskaïa a été incarcérée

Ayant appris la mort tragique de sa femme, Nikolaï Obolenski a décidé de devenir prêtre. En 1963-1979, il est recteur de la cathédrale Saint-Alexandre-Nevski de Paris.

Prince Obolenski portant une soutane religieuse

2. Autre biographie non moins étonnante d'une autre participante russe à la Résistance française, celle d’Elizaveta Skobtsova (avant son mariage - Pilenko), mieux connue sous le nom de « Mère Marie ». Cette jeune femme originaire de l'Empire russe a reçu une excellente éducation à Saint-Pétersbourg, où elle fréquentait des membres éminents de l'intelligentsia russe.

Elizaveta Kouzmina-Karavaïeva (nom de famille de son premier mari)

Puis elle étudie les mouvements religieux et philosophiques, écrit ses premiers poèmes, se marie et divorce, et accueille avec enthousiasme la Révolution de février, sans toutefois partager l'idéologie bolchevique. Après la défaite du mouvement blanc, Elizaveta quitte le pays avec son deuxième mari et sa fille issue de son premier mariage. Après une courte errance, la famille, dans laquelle deux autres enfants étaient nés pendant cette période, pose ses valises à Paris.

Elizaveta Skobtsova avec ses enfants : Gaïana, Iouri et Nastenka durant les premiers jours à Paris, 1923

L'énergique Elizaveta devient en France une participante active de l’Action chrétienne des étudiants russes (ACER). Suivant l'appel de son cœur, elle obtient un diplôme de l'Institut théologique orthodoxe Saint-Serge. Bouleversée par la mort de ses filles, elle devient religieuse le 16 mars 1932.

Mère Marie

« Mère Marie » s’implique activement dans la vie de la diaspora russe à Paris, qui traverse des moments difficiles. Ainsi, elle organise la célèbre auberge russe du N°77 rue Lourmel, dans laquelle un refuge pour les juifs serait organisé à l'avenir.

Dans le centre pour enfants de la rue Lourmel. Mère Marie (au centre), mère Evdokia (à droite), mère Lioubov (à gauche)

Pendant l’occupation, Mère Marie rejoint sans hésiter la Résistance. Lors des rafles de juifs à Paris, la religieuse parvient à sauver trois enfants. Avec son plus proche soutien, le père Dmitri Klepinine, elle commence à délivrer des certificats de baptême fictifs afin de sauver des adeptes du judaïsme d’une mort certaine.

Mère Maria (quatrième à gauche), père Klepinine (deuxième à droite)

Mais en février 1943, la Gestapo découvre la cellule partisane russe de la rue Lourmel. Mère Marie, son fils et le père Klepinine sont arrêtés. Mère Marie sera exécutée dans une chambre à gaz juste un mois avant la victoire sur l'Allemagne nazie.

Victoire sur le mal (en l’honneur du débarquement de Normandie). Broderie de Mère Marie sur un foulard du camp, 1944

Elle n'apprendrait jamais que son fils et père Klepinine avaient péri dans les camps allemands...

Église d’un camp. Dessin du père Dmitri Klepinine dans une lettre datée du 27 juin 1943

3. Boris Vildé et son ami Anatoli Levitski, émigrés de l'Empire russe et fondateurs d'une cellule de résistance basée au Musée de l'Homme à Paris, ont également apporté une contribution significative au mouvement de la Résistance. Leurs destins sont si étroitement liés qu'il est presque impossible de trouver des points de divergence : appartenance commune à deux cultures, même passion pour l'anthropologie, lutte clandestine conjointe… Ces combattants pour la liberté étaient si inséparables dans leur désir de résister au régime nazi qu'ils ont même été fusillés et enterrés ensemble.

Au départ, le groupe du Musée de l’homme était principalement chargé de la propagande antinazie. Des membres de l'association, parmi lesquels plusieurs autres personnes d'origine russe, collaient des tracts dans Paris de nuit et distribuaient également le journal clandestin Résistance. De ce fait, certaines sources en langue russe leur ont même attribué la paternité du nom du mouvement partisan en France, ce qui, bien entendu, est inexact.

Anatoli Levitski

Cependant, le courage du groupe du Musée de l’homme mérite une attention particulière, car il a été l'une des toutes premières organisations de la Résistance en France. Les compagnons de Boris Vildé et Anatoli Levitski ont non seulement encouragé les habitants de la capitale à résister à l'envahisseur, mais également recueilli des renseignements et, à la toute fin de la courte existence de l'organisation, exfiltré à l'étranger des prisonniers de guerre soviétiques qui s’étaient évadés des camps allemands. Début 1941, Vildépart pour le sud de la France afin de recruter de nouvelles personnes pour le travail de son réseau... Peu de temps après son retour à Paris, ville qu'il aimait tant, la cellule du Musée de l'Homme fut découverte. Presque aucun de ses participants n'a réussi à échapper à la mort.

4. « Princesse rouge » - tel est le surnom attribué à cette noble russe, sympathisante de l'URSS, « sœur d'armes » de la Résistance française. L'histoire de la vie de Tamara Volkonskaïa, projetée par le destin dans toute une série d'événements historiques dramatiques, rappelle un film à couper le souffle.

Tamara Volkonskaïa en France, 1945

Le mari de la future héroïne de la Résistance est probablement mort pendant la Première Guerre mondiale, à laquelle elle-même a participé en tant qu'infirmière. Après avoir été capturée par les Turcs, elle voulait rentrer dans son pays, mais la révolution qui avait éclaté dans sa patrie a contrecarré ses plans. Vivant à Constantinople, Tamara n'a pas perdu de temps et entamé une formation médicale.

Ayant économisé suffisamment d'argent avec son métier, Volkonskaïa a décidé de déménager à Paris. Elle gagnait sa vie en cousant des robes - son diplôme turc n'était pas reconnu en France.

Tamara Volkonskaïa avec des frères d'armes

En 1941-1943, Tamara, qui vivait en Dordogne, s'implique activement dans le travail de la Résistance. Elle est devenue médecin pour le bataillon de résistants local et s'est également engagée dans la propagande visant les soldats du 799e bataillon géorgien de la Wehrmacht, qui est ensuite presque complètement passé du côté de la résistance.

5. Auteure de l'hymne informel de la Résistance française, le célèbre Chant des partisans, Anna Marly (Betoulinskaïa) est née dans la famille d'un noble russe à l'époque de la Révolution d'octobre. Son père ayant été exécuté, la famille a décidé de quitter le pays. Anna s'est donc retrouvée en France, où elle a trouvé une terre d’adoption.

Danseuse gracieuse et musicienne de talent, Betoulinskaïa gagnait sa vie en se produisant dans des cabarets et participait également à des concours de beauté.

Anna Marly

Lorsque les troupes allemandes ont occupé l’Hexagone, Anna Marly a déménagé au Royaume-Uni où elle a poursuivi sa carrière musicale. Un jour, elle a lu dans un journal un article anglais sur l'offensive allemande près de Smolensk. Anna a pris une guitare et en un clin d’œil, elle a écrit les paroles d'une chanson qui inspirerait pendant longtemps les résistants français...

*Les calculs n'incluent pas les camps de concentration de Struthof (estimés à 1 600 morts) et Ban-Saint-Jean (estimés à 23 000 morts).

L'auteur du texte exprime sa profonde gratitude envers la curatrice de l'exposition parisienne de 2010 « Immigrants russes membres de la Résistance française » Vera Vladimirova, de la Maison des Russes à l'étranger Alexandre Soljenitsyne, pour le matériel photographique, ainsi qu'envers le fondateur de l'association Mémoire Russe Sergueï Dybov pour son soutien d'expert.

Dans cet autre article, nous nous intéressions au destin de Marina Chafrova-Maroutaïeva, héroïne russe de la Résistance belge.

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