Comment les hôpitaux russes font-ils face à la seconde vague de Covid-19?

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EKATERINA SINELCHTCHIKOVA
Comme le monde entier, la Russie connaît une recrudescence de la contamination à la Covid-19. Depuis la mi-octobre, le nombre de nouveaux cas quotidiens ne descend pas en dessous de 16 000. Face à cette situation, le monde hospitalier s’avère dans une position particulièrement tendue.

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Lorsque le joueur de tennis américain Sam Querrey s'est envolé à la mi-octobre pour Saint-Pétersbourg avec sa femme et son enfant de huit mois pour le tournoi ATP World Tour 500, il ne pouvait pas imaginer comment tout cela allait se dérouler. À son arrivée, il a passé le test de dépistage à la Covid-19, qui s'est révélé « négatif ». Cependant, avant le tournoi, il a été testé à nouveau, et cette fois le résultat a été positif, tout comme celui de sa femme. Alors, la famille a été mise en quarantaine dans un hôtel cinq étoiles. Deux semaines dans des conditions particulièrement chics.

Toutefois, le joueur de tennis a rapidement reçu un appel des autorités sanitaires russes, ce qui a chamboulé ses plans. Un médecin lui a été envoyé pour diagnostiquer les symptômes, et si ces derniers étaient décelés, la famille serait hospitalisée, peut-être même dans des établissements différents, a supposé le sportif.

L'athlète, qui pensait avoir des symptômes mineurs, a par conséquent décidé de ne pas attendre la décision des médecins. Ayant peur de l'hôpital russe, il a organisé la fuite de sa famille de Russie à bord d'un jet loué. Et ce, contrairement à tous les protocoles de sécurité. Il a volé dans la queue de l'avion, afin d’être le plus loin possible des pilotes, et s’est dirigé vers « un pays européen », où il n'avait pas besoin d'un test négatif pour entrer. C'est là qu'il a loué un appartement sur Airbnb. Querrey risque à présent une amende de 100 000 dollars et une suspension de trois ans aux tournois. 

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L'hôpital russe est-il si terrible qu’il le pensait ? Les internautes russes se sont moqués de la peur de se retrouver dans un établissement médical russe, mais certains ont aussi soutenu Querrey dans sa quête d'évasion à tout prix car, disent-ils, être envoyé dans un bon hôpital est « une affaire de pure chance ».

De bonnes conditions, mais de faibles chances

En réalité, Sam Querrey n'avait probablement rien à craindre. Contrairement à la plupart des Russes, il aurait pu s'offrir la meilleure clinique payante de la ville. Le prix du séjour des patients atteints de coronavirus varie d'une ville à l'autre, mais presque toutes les cliniques privées travaillent sur la base d’un dépôt – il est d'environ 300-400 000 roubles (3 242-4 323 euros) – et d’un tarif journalier. Par exemple, une journée à la clinique de Moscou K+31 coûte 50 000 roubles (540 euros) pour les patients ayant une forme légère de la maladie ; 75 000 roubles (810 euros) – si le degré est moyen, et 90 000 (973 euros) s’il est lourd. Lorsque la réanimation et la respiration artificielle sont nécessaires, elles coûtent 120 000 roubles (1 297 euros) par jour.

Compte tenu du fait que tout cela n'est accessible qu'aux clients fortunés, il y existe des places pour des traitements payants même au plus fort de la pandémie. La plupart des Russes sont traités gratuitement, par le système d'assurance d'État. Auparavant, à Moscou, toutes les personnes infectées et suspectées de coronavirus étaient hospitalisées dans deux hôpitaux pour maladies infectieuses, ainsi que dans un nouveau complexe dans le village de Kommounarka, en périphérie, qui, construit à la hâte dans ce contexte de pandémie, est devenu le principal hôpital du pays pour la lutte contre la Covid-19.

En mars, Katerina Nazarova, une des patientes de Kommounarka, a déclaré que l'hôpital ressemblait à la corporation Umbrella de Resident Evil : « Les couloirs sont larges et déserts. Je suis seule dans une chambre double. La chambre dispose de sa propre salle de bain avec douche, d'une télévision plasma. Ils lavent le sol et toutes les surfaces avec du chlore une ou deux fois [par jour]. Ils demandent environ cinq fois par si j’ai des déchets à jeter ».  

L’examen a commencé immédiatement, dit-elle : « Je n'ai jamais été examinée comme ça avant. On m’a fait faire beaucoup d’analyses. Déjà dans la salle d'accueil, nous avons fait des prélèvements nasaux et buccaux pour détecter le coronavirus, de sang, d'urine dans deux fioles, nous avons fait un électrocardiogramme, un scanner des poumons. Ils ont aussi récemment fait une prise de sang pour la biochimie ».

Cinq repas sont servis par jour, tous dans des récipients individuels jetables, et de l'eau bouillante est apportée à chaque individu et versée dans une tasse. Il y a Internet, ce qui permet de continuer à travailler à distance. La communication avec la famille et les amis n'est que virtuelle, tandis que la clinique est divisée en zones « rouge » (infectée) et « verte » (saine). Personne d'autre que le personnel ne peut entrer dans la rouge.

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« Les transferts [d’objets personnels apportés par des proches] sont autorisées. Et c'est très bien fait, pas comme dans les hôpitaux ordinaires, où l'on ne peut le faire que de 14 à 17h. Ici, cela peut être apporté du matin et jusqu'à 22h. La distribution se fait toutes les deux ou quatre heures », précise Katerina.

Dans les hôpitaux où ces zones n'étaient pas prévues à l'origine, il y a eu une réorganisation. « Avec la Covid, les opérations prévues ont cessé. A été créé un itinéraire clair : le bâtiment de quatre étages comportera des zones saine et contaminée dès que des patients arriveront, ont été équipées des chambres de désinfection, le personnel a été formé, partout ont été collés des autocollants rouges et verts avec des légendes claires. Les chaises ont été retirées de la salle de conférence – il y a maintenant des lits pour le repos et un vestiaire pour le personnel. La radiologie est devenue la chambre de désinfection, les cabinets de physiothérapie sont également devenues des zones de repos, et les médecins dorment sur des tables de massage », a déclaré (anonymement) un médecin-réanimateur de Saint-Pétersbourg.

Néanmoins, au fil du temps, l'augmentation du nombre de patients a obligé à la conversion d’établissements non spécialisés en hôpitaux « Covid » dans tout le pays, ainsi qu'à l'ouverture d'hôpitaux de réserve (à Moscou, ils sont situés dans des pavillons d'exposition ainsi que dans une patinoire). Dans les régions, la situation contraste fortement avec celle des nouvelles cliniques de Moscou.

Venir avec son propre lit ou attendre longtemps

La pandémie de coronavirus a révélé deux lacunes majeures de la réforme de la santé, qui a été menée en 2014-2015, a déclaré Andreï Klepatch, économiste en chef de la banque Vnesheconombank, le 28 mars, durant la première vague. Avait été décidée une réduction du nombre de lits dans les hôpitaux, ainsi que des médecins et des infirmières spécialisés en maladies infectieuses. Tout cela a donc affecté la préparation à la pandémie : fin septembre, le ministère russe de la Santé a déclaré que 89% des lits destinés aux patients atteints de coronavirus étaient déjà occupés. Dans certaines régions, comme celle de l'Altaï, 97% (2 111 sur 2 168) des lits étaient déjà occupés au 28 septembre.

Le journal Kommersant rapporte que les services de diagnostic ne peuvent pas faire face à l'afflux de patients, qui attendent un scan des poumons parfois pendant 6 à 8 heures. Sans les résultats de ce scan, il est impossible d'hospitaliser une personne ; de telles règles sont confirmées par les médecins. Le mari d’Anastasia, une Moscovite, a dû attendre les procédures et la consultation par le médecin plusieurs heures dans la file d'attente : « Pendant tout ce temps, il était dans le couloir avec une température de 39, et des gens comme lui, il y en avait, à différents moments, de 6 à 15. Lorsqu'on lui a fait passer la tomographie, il s'est avéré qu'il avait une lésion [des poumons] de moins de 25% et il a été renvoyé chez lui en taxi. L'hospitalisation nous a été refusée. Et de la clinique, aucun médecin ne vient nous voir », relate-t-elle. À Oufa, capitale de la République du Bachkortostan, des patients ont dû attendre 12 heures pour un examen.

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« Tout le monde n'est pas hospitalisé : si la lésion pulmonaire est inférieure à 45% et que la saturation est satisfaisante, ils sont envoyés en traitement ambulatoire », confirme Sergueï M., médecin ambulancier de la région de Moscou.

Dans certaines régions, les hospitalisations sont refusées, invoquant une pénurie de lits, même pour les personnes souffrant de lésions pulmonaires importantes. C'est ce qui est arrivé à un habitant de Novotroïtsk, dans la région d'Orenbourg, et jusqu'à présent les autorités n'ont pas commenté cette situation. Dans l'un des hôpitaux de Lipetsk, les services sont également surpeuplés et les médecins doivent chercher des solutions – y compris celle d’accueillir des patients venus avec leur propre lit de camp. « Sinon, on dit que les gens seront traités sur des chaises », explique Denis Vlassov, qui a amené sa belle-mère de 70 ans se faire soigner (il a aussi pris son lit de camp).

Le 25 septembre, Artiom Boriskine, un infirmier ambulancier, a publié une vidéo sur Instagram : une file de 20 véhicules avec des croix rouges qui amenaient les patients effectuer un scan des poumons ou à l'hôpital. « Pensez au nombre d'équipes qui sont en incapacité de travail pendant qu'elles font la queue avec des patients soupçonnés d’avoir la Covid », a-t-il écrit en légende. Les ambulances sont obligées de faire la queue et d’attendre que les patients soient admis à l'hôpital, et ce, un malade à la fois en raison d'un processus bureaucratique complexe, sachant que l'enregistrement prend souvent environ une heure.

De ce fait, même un appel d'ambulance à la maison peut parfois déboucher sur une très longue attente. Le coordinateur du bureau de Magnitogorsk du syndicat des travailleurs de la santé « Deïstvié » (Action) Azamat Moustafine a déclaré à Znak.com : « Il est très difficile pour les personnes qui ont de la fièvre de faire venir un médecin à leur domicile, d'attendre l’ambulance (un retard de plus de deux jours est fréquent) ».

Par ailleurs, la division en zones n'est pas clairement observée dans tous les hôpitaux. « La frontière entre les zones rouge et verte est très floue. Les zones "vertes" sont pleines [de personnes infectées à la Covid]. On essaye de les transférer et de les isoler. Rien ne marche. L'inspection des infectés à la Covid et des personnes non infectées est effectuée dans les mêmes services de diagnostic. Dans le service de scan des poumons, un patient sain peut d'abord apparaître, puis un patient malade », témoigne Sergueï K., médecin réanimateur de Moscou, à la rédaction de Mash. En ce qui concerne les conditions de séjour, tout le monde n’a pas non plus de chance. Il n’y a souvent pas de douches et de téléviseurs individuels. Le plus important est alors de se voir attribuer une place, quelle qu’elle soit.

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En outre, des problèmes sont à présent constatés même dans les principaux hôpitaux spécialement prévus pour la Covid à Moscou. Une source à Kommounarka a déclaré que, récemment, le nombre de patients à l'hôpital avait doublé, et que la plupart avaient un bilan clinique plus lourd qu'au printemps. Denis Protsenko, médecin en chef de l’établissement, a expliqué la file d'attente des ambulances précisément par le nombre croissant des patients. « La vitesse à laquelle la situation s'aggrave est très alarmante », a-t-il ajouté.

Nombreux sont ceux qui tentent de résoudre le problème des places en faisant sortir les patients. Il est maintenant en effet officiellement autorisé de le faire en l'absence de résultat négatif, c'est-à-dire avant la guérison. Les patients sont libérés s'ils n'ont pas de fièvre ou d'insuffisance respiratoire.

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