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Ce mardi, l'Assemblée de Sitka, sur le littoral d’Alaska, a approuvé un plan visant à retirer la statue d'Alexandre Baranov d'un endroit bien en vue, devant le Harrigan Centennial Hall. « Nous avons été dynamisés par le Black Lives Matter, tout ce qui se passait dans le Sud, et nous nous sommes dit : "Hé, que pouvons-nous faire pour exploiter cette énergie ?". Et la statue était une chose tellement évidente », a déclaré Crystal Duncan, qui dirige un groupe local de justice sociale ayant fait pression pour le déplacement du monument. La seule chose que personne ne mentionne, c'est que Baranov n'a pas été le premier à déclencher le conflit entre les Russes et les tribus indigènes de l'Alaska.
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La « cancel culture », ou « culture de l'annulation », a inondé le continent américain, atteignant finalement sa rive nord-ouest – Sitka, en Alaska. Pourtant, il n'y avait là-bas pas d'esclavage, pourrait-on dire, et apparemment, il n'y a personne à blâmer et pas de monuments ou de statues à abattre... Non, attendez, les Russes étaient là autrefois. C'est reparti !
« Alexandre Baranov (1747-1819) [...] le premier gouverneur colonial de l'Amérique russe », peut-on lire sur la plaque de cette statue dont des contemporains d'origine tlingite, un peuple autochtone, ont voté le déplacement depuis le bord de mer. À première vue, tout cela semble tout à fait légitime. Sauf qu'il y a des erreurs, même dans l'inscription que vous venez de lire.
Tout d’abord, Alexandre Baranov est né en 1746, et non en 1747, comme l'indique la plaque. De plus, il n'était pas un « gouverneur colonial ». Il était juste le directeur général de la Compagnie russe d'Amérique, une entreprise commerciale russe détenue et contrôlée par ses actionnaires. Et même si certains de ces derniers appartenaient à la famille impériale russe, cela ne signifiait pas que le gouvernement russe la contrôlait entièrement. En fait, le gouvernement n'a pris le contrôle total de la société qu'après qu'Alexandre Baranov ait été démis de ses fonctions.
En outre, Baranov n'a jamais assumé le titre de « gouverneur », puisqu'il n'a même jamais occupé de poste militaire : en 1802, il a reçu le grade civil de « conseiller collégial », ce qui lui a conféré une noblesse héréditaire pour la première fois de sa vie. Il n'était qu'un marchand ordinaire, et aux yeux de n’importe quel noble russe il se distinguait peu d’un simple citoyen. Ce n'est pas exactement ce qui convient à une personne « responsable de meurtre, d'esclavage, de viol et auteur d'un génocide », comme l'a dit en juin 2020 Nicholas Galanin, résident de Sitka (ironiquement, apparemment d'origine russe), parlant au nom des communautés indigènes locales.
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Les cycles de la violence
Dès son adolescence, dans sa ville natale de Kargopol (région d'Arkhangelsk), Baranov a appris à faire du commerce, et c'est en premier lieu pourquoi il est venu en Alaska – juste pour faire face aux conséquences des actions d'un autre homme d'affaires russe nommé Grigori Chelekhov, fondateur de la Compagnie américaine du Nord-Est, qui après sa mort est devenue connue sous le nom de Compagnie russe d'Amérique.
Chelekhov est arrivé en Alaska en 1784 et a essayé de négocier avec le peuple indigène des Alutiiqs, sur l'île de Kodiak, mais lui et ses hommes ont été attaqués. Les locaux ont alors commencé à rassembler des forces supplémentaires pour vaincre les intrus, mais Chelekhov et son groupe ont résisté avec des fusils et des canons... Ce qui a suivi a été connu sous le nom de Massacre d'Awa'uq, qui a entraîné la mort et les blessures de centaines, voire de milliers d'habitants de l'Alaska.
Qui a attaqué le premier ? Personne ne peut le dire avec certitude : Chelekhov a écrit qu'il a tenté de négocier le premier, tandis qu'Arsenti Aminak, un vieillard alutiiq, qui avait survécu au massacre, a rapporté beaucoup plus tard à Henrik Johan Holmberg (1818-1864), un ethnographe finlandais, que ce sont les Russes qui avaient « effectué un terrible bain de sang », sans même mentionner qui a été le premier à attaquer. Mais là encore, ce n'est pas la question principale.
Cet événement a déclenché une longue série de batailles entre les Russes et les différentes tribus locales. Le fait est que, lorsqu’Alexandre Baranov est arrivé pour la première fois en Alaska en 1792, en tant que directeur en chef de la compagnie de Chelekhov, il a été attaqué par le peuple tlingit et a à peine survécu. Il était naturel pour les habitants de protéger leurs propres terres, mais là encore, l'intention de Baranov n'était pas de « tuer, asservir et violer », mais simplement de commercer de la fourrure de loutre de mer, que les habitants voulaient aussi, tout naturellement, garder pour eux.
On ne peut pas dire que Baranov était un homme qui traitait les tribus indigènes avec le plus grand respect – menaçant les Aléoutes locaux, il les faisait travailler pour ses hommes, tuant des loutres de mer pour alimenter le commerce constant de la fourrure. En 1802, les Tlingits ont riposté avec acharnement, attaquant Fort Michael (le fort qui fut la première colonie sur le territoire de l'actuelle Sitka), tuant 24 Russes et plus de 200 Aléoutes... Les Tlingits ont ensuite continué à attaquer différents groupes de Russes, qui chassaient les loutres de mer le long des côtes de l'Alaska. En 1804, Baranov et ses hommes ont finalement repris Fort Michael, tuant environ 30 Tlingits dans l'escarmouche, et ont fondé Sitka.
Les affrontements n’ont pour autant pas cessé. Bien après la mort de Baranov, en 1819, les batailles entre Russes et Tlingits (et entre les Tlingits et d'autres populations locales) se sont poursuivies – et la fourrure de loutre de mer a continué d'en être l'une des principales raisons. Ce qui est clair maintenant, c'est qu'il ne s'agissait pas d'une « conquête » unilatérale, et ce n'était sûrement pas un « génocide », comme le prétendent à présent les contemporains.
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Ignorer l’histoire
Le plus frappant est qu'en 2004, 200 ans après la « bataille de Sitka », une descendante directe d'Alexandre Baranov, une résidente de Moscou nommée Irina Afrossina, s'est jointe à la population locale pour une cérémonie traditionnelle de « Cri tlingit » afin de faire le deuil des ancêtres perdus, dans les deux camps, dans le Parc national historique de Sitka. Cet événement était organisé pour enterrer 200 ans d'hostilité.
À en juger par ce qui se passe maintenant, la cérémonie de 2004 a été soit inutile, soit personne ne s'en souvient plus. Ou se pourrait-il que toute l'histoire, partiellement décrite ci-dessus, soit simplement plus commode à ignorer ?
Et c'est ce qui ne va pas avec la décision d'enlever la statue de Baranov : que les raisons qui sont avancées pour cela maintenant sont trop simplistes et que les manifestants actuels ignorent complètement leur propre histoire, ne soulignant que certaines parties de celle-ci, tout en sapant complètement les autres. Est-ce que cela a un sens ? Ou se pourrait-il que la cérémonie du « Cri tlingit » n'ait tout simplement pas fonctionné ? Ou que la guerre russo-tlingite n'ait pas encore pris fin ? Nous ne pouvons qu'espérer que ces questions surgiront dans l'esprit de ceux qui soutiennent le retrait immédiat de la statue de Baranov.
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