En images: rencontre avec Sasha Trautvein, le Russe le plus en vogue de la planète

Lifestyle
EKATERINA SINELCHTCHIKOVA
Ce Sibérien de 21 ans, avec son tatouage « wake up » sous l'œil, qui a abandonné l'école, quitté la province pour la métropole, et volait de la nourriture dans les magasins, est devenu une icône du style et un ami de Billie Eilish.

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Quand Sasha Trautvein s'est retrouvé pour la première fois au défilé de la marque Off-White à Paris, il n'était encore qu'un adolescent russe grand, maigre et apathique, qui essayait de payer ses propres factures. « Un ami m'a amené là-bas. Je portais un manteau en peau de mouton sale, des baskets déchirées et un énorme sac à dos avec toutes mes affaires car je devais quitter l'appartement parisien. Les photographes m'ont vu et ont commencé à me prendre en photo. Bien sûr, j'étais stupéfait », se souvient-il dans une interview accordée à Vogue. C'était il y a maintenant trois ans.

Aussi connu sous le nom de Sashadidntwakeup (Sasha ne s'est pas réveillé) grâce au tatouage sous son œil droit, Sasha Trautvein est l'un des Russes les plus reconnaissables de l'industrie de la mode. Le magazine américain Esquire le place dans le top 10 des jeunes gens les plus stylés de la planète. Au printemps 2020, le modèle de 21 ans a pris la troisième place du classement des personnes « qui font actuellement l'histoire » du magazine britannique Dazed, juste derrière Holland, premier artiste ouvertement homosexuel de la scène coréenne, et Sadie Sink, de la série Stranger Things.

Ses photos où il montre son expression maussade devant des garages à la peinture écaillée, des appartements de l'ère soviétique grisâtres et des cuisines typiques décrépies ont été likées des dizaines de milliers de fois. Avec son street style, Sasha surfe sur une vague de célébrité sur Instagram, avec 770 000 abonnés. Le jeune homme sibérien considère sa popularité comme un heureux accident : « Si c'était il y a dix ans, personne n'en aurait rien à f**tre de moi ».

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« C'était la période la plus honteuse de ma vie »

Près de 90 000 personnes habitent dans la ville sibérienne de Kansk (à 4 363 kilomètres à l'est de Moscou), d'où vient la famille de Sasha Trautvein. Avant, les paysans et révolutionnaires exilés y étaient envoyés. Aujourd'hui, c'est une cité industrielle sibérienne parmi des centaines d'autres, et, comme le notent certains de ses résidents, « la ville idéale pour devenir alcoolique ».

« Nous vivions dans des appartements en bois, donc quand il faisait -40C°, il fallait trouver du bois et le brûler dans le poêle. Il y avait cinq usines dans la ville, dans lesquelles tout le monde travaillait. Après la chute de l'URSS et la création de la Fédération de Russie, toutes ont fermé. La Sibérie était tellement pauvre... Maintenant, c'est un peu différent : on y est mieux, mais ça reste pauvre. Mon beau-père est menuisier, et ma mère travaille dans un magasin de meubles », raconte Sasha.

Âgé seulement de 17 ans, Sasha s'est fait tatouer « wake up » sur le visage, a vendu sa voiture cassée, acheté un sac à dos, arrêté l'école et est allé jusqu'à Saint-Pétersbourg en stop, à presque 5 000 kilomètres de chez lui. Tout ça pour une fille, comme l'écrit Forbes.

En février, Sasha a raconté comment il a vécu ce déménagement : « Quand je suis arrivé à Saint-Pétersbourg, je n'avais que 3 euros en poche. Parfois, je mangeais les restes de nourriture des gens dans les centres commerciaux, mes amis me nourrissaient de temps en temps, et ma mère m'envoyait 1 000 roubles (environ 12 euros) toutes les semaines ou tous les quinze jours ».

Lorsqu'il a rencontré un ami qui l'a laissé dormir dans sa chambre de dortoir, Sasha a commencé à chercher du travail, mais son jeune âge était un problème. « Pendant la période où je cherchais du travail, j'ai commencé à voler de la nourriture dans les magasins, et j'étais doué pour ça. En fait, j'ai volé de la nourriture jusqu'à devenir fou à cause des drogues ».

Au final, ça n'a pas marché avec la fille. Sasha a travaillé comme homme à tout faire sur un chantier, comme gardien de sécurité, et pour un bureau qui prétendait être une œuvre de charité qui collectait de l'argent pour les enfants malades. « Chaque jour, je devais aller dans la rue avec une boîte scellée, où les gens mettaient de l'argent pour les enfants malades... Nous étions payés 20% de la somme collectée. Mais les dirigeants disaient que si on se faisait contrôler, on devait dire qu'on était des bénévoles et qu'on travaillait gratuitement. C'était la période la plus honteuse de ma vie », admet-il.

Avec le temps, Sasha s'est fait de nouveaux amis, un réseau de connaissances, et de nouveaux tatouages. Saint-Pétersbourg est devenue sa maison. À l'époque, il avait déjà un compte Instagram, où il postait des photos des banlieues de Saint-Pétersbourg, des kommounalkas et des soirées, assis avec son pantalon de sport, ou avec un vieux pull, une cigarette et un visage abattu. Il semblerait que le retour récent de la mode russe des années 90 ait contribué à ce que les gens le remarquent. Sur les conseils du chanteur de hip-hop ukrainien Yan Blok, que Trautvein a rencontré sur Internet, il a décidé de s'essayer au mannequinat et a rapidement attiré l'attention des marques et des photographes de rue. C'est ainsi que Sasha Trautvein est entrée dans l'industrie de la mode.

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La beauté a changé

Aujourd'hui, Trautvein a assez d'argent pour s'acheter des sacs Louis Vuitton et des costumes trois pièces, partir skier en Europe, et participer à des cocktails en compagnie des modèles Winnie Harlow et de Luka Sabbat. Mais il continue de mélanger le luxe avec des vêtements oversize miteux et les banlieues, attirant de plus en plus de monde.

Selon Trautvein, c'est exactement sa vie dans la pauvreté, le changement des normes de beauté et le succès des mouvements prônant le « soyez vous-même » qui l'ont mené à la célébrité : « Ce doit être le style de vie que j'ai commencé à montrer. C'était quelque chose de nouveau : chacun essaie de montrer qu'il a une belle vie, même s'il n'en a pas l'air et qu'il ne vit pas bien, il essaie de montrer quelque chose de mieux. Je m'en fichais, je montrais la réalité ».

« Les modèles étaient très beaux, sculptés, ils se ressemblaient tous. Je pense que c'est plus une question d'individualité maintenant, la beauté a changé », dit-il.

Trautvein utilise Instagram pour montrer à ses abonnés qu'une vie pauvre peut réellement être intéressante, et que la vie en Russie peut l'être aussi. « Dans les banlieues de Saint-Pétersbourg et de Moscou, il y a un sentiment de désespoir, surtout chez une grande partie des jeunes qui essaie de survivre, raconte-t-il. C'est une situation que j'ai aussi rencontrée ».

Parmi les marques, Sasha a trouvé des admirateurs chez Heron Preston, Y-3, ou encore Fendi. L'année dernière, il a été filmé par Vogue Italia, il a fait la couverture deVogue Korea, et Vogue Homme lui a donné le mot de passe du compte Instagram de la marque pour que Trautvein puisse diffuser en ligne le premier défilé de mode de Virgil Abloh pour Louis Vuitton. Au cours de l'été 2019, il a sorti ses propres produits, des cagoules aux couleurs vives et avec une broderie « Wake Up », que la chanteuse Billie Eilish a d’ailleurs porté.

Sasha vit à Saint-Pétersbourg, écrit du rap de temps en temps, et prévoit d'aller aux États-Unis ou au Royaume-Uni pour travailler sur un film documentaire retraçant sa vie.

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