« Les Russes ne parlent pas de sexe, mais quand la lumière s’éteint, ils sont fous au lit ». C’est ce qu’a dit un ami lors d’une longue promenade lors d’une sombre après-midi à Saint-Pétersbourg.
Plusieurs mois plus tard, cette idée me hantait. Je n’avais pas eu beaucoup de conversations avec les Russes sur le sexe et j’avais l’impression que ce que cet homme avait dit devait être vrai. Alors j’ai demandé à une de mes amies : « Pourquoi les Russes ne parlent-ils pas de sexe ? ». Elle s’est moquée de moi et a dit : « Les Russes quoi ?! Qui t’a raconté ces conn*ries ? Je parie que c'était un homme... » « C'était un homme ».
Elle a haussé les épaules et m’a dit : « Tu es un homme. Ce n’est pas que les hommes ne parlent pas de sexe ; ils ne peuvent juste pas aller très loin et parler de cris, de fétiches ou de leurs échecs ».
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Cela a attisé ma curiosité, alors j'ai demandé à différents Russes que je connaissais si les Russes parlaient de sexualité, et le premier homme à qui j'ai posé la question m'a répondu : « Dans la plupart des cas, non. La mentalité caractérisée par la phrase "Il n’y avait pas de sexe en URSS" est encore très prégnante chez beaucoup de gens, même chez notre génération et celle un peu plus jeune ».
Il n’y avait pas de sexe en URSS ? En voilà une nouvelle ! Alors, je me suis renseigné à propos de cette phrase et j’ai découvert qu’elle était incomplète. La citation complète se lit comme suit : « Nous n’avions pas de sexe en URSS, nous faisons l’amour ». Ce qui revient à dire : « Nous avons des relations sexuelles, tout simplement nous ne le criions pas sur tous les toits ».
Alors, les Russes parlent de sexe, mais ne restent discrets à ce sujet ? Y a-t-il une différence entre hommes et femmes ? Ou est-ce comme partout ailleurs ? Certains le font, d'autres pas ? J'ai demandé à des lecteurs russes ce qu’ils en pensaient et obtenu des opinions divergentes.
Hommes vs. femmes
J'ai demandé à une collègue, Nadia de Saint-Pétersbourg, si les Russes parlaient de sexualité. Elle a déclaré : « Mes collègues de travail femmes et moi entretenons une relation amicale. Récemment, l'une de nous a quitté notre entreprise et a organisé une fête d'adieu. Comme d'habitude, certaines sont parties tôt, mais j'étais parmi les quatre qui sont restées dans un bar en plein air jusqu'à la levée des ponts, en buvant de la bière. Nous avons fini par avoir une longue conversation sur notre vie sexuelle - les différentes positions, les jouets sexuels, etc ».
Et pour m'aider à comprendre s'il y avait une différence entre les sexes, elle a proposé de demander à son mari comment c’était avec les hommes de son entourage : « Il a dit qu'ils faisaient beaucoup de blagues sur le sexe, mais n’ont presque jamais de conversations sérieuses sur leur vie sexuelle ».
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Nadia, elle aussi, était curieuse d’en savoir plus sur cette différence et a fini par proposer cette théorie : « C’est ce à quoi je m'attendais - la plupart des hommes russes âgés d’une trentaine d’années ne sont toujours pas très à l’aise pour parler ouvertement de sexe, la plupart du temps ils le font sous une forme humoristique qui protège assurément leur fragile ego masculin ».
Ma première pensée a été : « Waouh, les hommes russes sont si différents ! ». Ensuite, j'ai essayé de me souvenir de la dernière conversation que j'ai eue dans un groupe d'hommes au sujet du sexe, sans distinction de nationalité. Ça n’arrive pas souvent, ai-je réalisé.
Maria, une autre lectrice, a formulé une théorie : « La principale différence entre les filles et les gars : les filles parlent de la manière d’améliorer la sexualité pour une meilleure expérience entre elles et leurs partenaires, tandis que les gars parlent de la façon d’obtenir des partenaires. Peut-être que si vous essayiez plus souvent de parler tous ensemble de la façon d’améliorer les relations sexuelles, cela changerait ».
Le manque d'éducation sexuelle transforme les hommes en garçons
Une réponse commune à la question de savoir si les Russes parlent de sexe ou non est venue sous la forme : « Eh bien, les personnes intelligentes et mûres ne parlent pas vraiment de sexe ». Ceci est un avis comme un autre, mais Ioulia, une résidente de Saint-Pétersbourg et rédactrice en chef du magazine d'éducation sexuelle Sexography, note que les personnes mûres n'ont pas de conversations immatures sur le sexe, tandis que les conversations en Russie sur le sexe ont tendance à être immatures en raison d'un manque d'éducation sur le sujet :
« Il est beaucoup plus facile pour moi de parler de sexe et de sexualité avec des Occidentaux. En Amérique, parler de sexe semble naturel, même avec des inconnus. Je pourrais rencontrer un inconnu dans un bar ou un café et passer une heure à parler des problèmes d’éducation sexuelle en général. Je dois admettre que cela a à voir avec leur propagande sexuelle active et un grand nombre d'activistes sexuels. En Russie, en revanche, parler de sexe est encore gênant, tout comme ce fut le cas pour nos parents il y a 20 ou 30 ans. Certaines personnes ont encore peur d'acheter un paquet de préservatifs, d'autres ne sont jamais allées dans un sex-shop, tout simplement parce qu'ils ont l'air si louches et si cachés en Russie. Je constate aussi qu’évoquer les relations sexuelles en Russie peut mettre mal à l’aise, même si c’est l’activité préférée de la plupart des gens. Un de mes anciens collègues a récemment posé des questions sur l'intérêt de mon magazine. Il supposait que tout ce qui est écrit sur le sexe devait être érotique. "Qu’est-ce qu’il y a à dire là-dessus ? Le sexe, c’est le sexe, pourquoi tant d’intérêt à en parler ?" Et je pense que tant que cette question sera posée, nous aurons beaucoup de progrès à faire en Russie ».
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Et c’est là que nous constatons une différence marquée dans la manière dont la Russie fait face l’éducation sexuelle. À ce jour, il n’y a pas vraiment d’éducation sexuelle dans les écoles russes. Son absence est à l'origine de l'idée selon laquelle le discours sexuel est immature, tout en transformant un discours sexuel potentiellement sain en commérages enfantins.
Benjamin Davis est un journaliste américain, auteur de The King of Fu, vivant à Saint-Pétersbourg, en Russie, où il a passé une année à travailler avec l’artiste Nikita Klimov sur leur projet Flash-365. À présent, il rédige principalement des micronouvelles magico-réalistes au sujet de la culture russe, des mésaventures autodévalorisantes et des babouchkas, en partageant ses exploits par le biais de l’application Telegram.
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