Jacques Chirac: la Russie perd un ami, Pouchkine un éternel admirateur

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ERWANN PENSEC
Décédé aujourd’hui à l’âge de 86 ans, l’ancien chef d’État a durant toute son existence entretenu un lien privilégié avec la Russie, qui le conduira à œuvrer à la consolidation des relations entre les deux nations, motivé, notamment, par son amour de la littérature russe.

La disparition de l’ex-président français Jacques Chirac en ce jeudi 26 septembre 2019 n’a pas tardé à susciter l’émoi en Russie, où l’homme politique et l’individu qu’il était jouissait d’une forte popularité, due à ses liens étroits avec le pays.

Au gré de sa longue carrière et des nombreux postes qu’il a occupés, il a en effet eu l’opportunité de côtoyer tant Mikhaïl Gorbatchev, que Boris Eltsine et Vladimir Poutine. Sur près de 300 déplacements internationaux réalisés au cours de ses deux mandats présidentiels, une quinzaine le mèneront vers la contrée des tsars.

Il ne dissimulait en vérité guère son sincère attachement à cette nation, comme en 2001, lorsqu’il déclarait aux journalistes russes, à la veille d’un sommet bilatéral : « C’est d’abord pour moi un grand plaisir d’aller en Russie. Un grand plaisir parce que la Russie a tenu une place importante dans ma jeunesse, dans ma culture, et que j’ai toujours beaucoup admiré l’histoire, la grandeur du peuple russe. Et chaque fois que je vais en Russie, je suis heureux »

Un sentiment de proximité remontant, il est vrai, aussi loin que ses jeunes années, où il avait même appris le russe, dont il découvrira les subtilités grâce à un professeur saint-pétersbourgeois des plus passionnés. C’est ainsi qu’il s’était familiarisé avec la plume de Pouchkine, illustre poète dont il entreprendra par la suite l’audacieuse traduction, celle du roman en vers Eugène Onéguine, travaux qu’il ne fera toutefois pas publier. Il confirmera son admiration pour cet homme de lettres en affirmant que, s’il devait accrocher trois portraits dans son bureau, celui de Pouchkine figurerait aux côtés de ceux de Charles de Gaulle et de Louis XIV.

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Source de respect, Jacques Chirac l’a lui aussi été, et notamment aux yeux de l’actuel président russe, qui cette année encore le citait comme l’homme politique contemporain l’inspirant le plus : « C’est un véritable intellectuel, un réel professeur, un homme également très pondéré, et très intéressant. Lorsqu’il était président, il avait sa propre opinion sur toute problématique, il savait comment la défendre, mais respectait toujours l’avis de ses partenaires », a-t-il en effet déclaré, interrogé par le journal britannique Financial Times en marge du sommet du G20 à Osaka, en juin dernier. 

Une estime née des incessants efforts de l’ancien maire de Paris pour consolider les liens unissant l’Hexagone et son vaste voisin d’Europe de l’Est. C’était par exemple lui qui, en juillet 2001, avait inauguré l’Alliance française de Samara (855 kilomètres au sud-est de Moscou), premier site en Russie d’un réseau aujourd’hui bien garni et contribuant fortement au développement de l’amitié bilatérale ; ou qui avait encore assisté, en 2005, à la cérémonie ayant suivi l’érection de la statue du général De Gaulle devant l’hôtel Cosmos,  à Moscou.

« Je suis résolument optimiste sur l’avenir de la coopération franco-russe », avait-il à cet égard martelé lors d’une interview accordée en 2006 au journal Rossiïskaïa Gazeta

Pour cela, Jacques Chirac recevra de prestigieuses distinctions, à l’instar du prix d'État de la Fédération de Russie, du rang de docteur honoris causa de l’Institut d'État des relations internationales de Moscou (MGIMO), ou du titre de Chevalier de 1re classe de l’Ordre du Mérite pour la Patrie. Ce dernier, il est même en réalité le premier président étranger à en avoir été récompensé.

Coïncidence symbolique enfin, le Centre spirituel et culturel orthodoxe russe de Paris, inauguré en 2016, se trouve à quelques pas seulement du musée du quai Branly, portant également le nom de Jacques Chirac. La construction de ce complexe architectural ambitieux au cœur de la capitale française avait reçu le soutien de l’ancien président, ayant décrit ce projet de la façon suivante : « Ce sera un pont, reliant les peuples de nos pays au niveau spirituel ».

Peu étonnant donc que la Russie se soit émue suite à cette triste nouvelle. Tandis que Vladimir Poutine et Alexeï Mechkov, ambassadeur de Russie en France, ont exprimé leurs vœux de condoléance à l’adresse des proches du défunt, l’éminent journaliste Mikhaïl Gousman, ayant eu l’honneur de s’entretenir à deux reprises avec Jacques Chirac au cours de sa carrière, conclut en témoignant, sur les ondes de la station de radio Sputnik.

« Le départ d’un tel géant politique, d’une personnalité aussi marquante et d’un homme d’État aussi éminent est un triste événement non seulement pour la France, mais pour le monde entier. Il est resté dans ma mémoire comme un homme à l’érudition phénoménale, d’une profondeur d’esprit inégalée, au langage imagé et frappant. Depuis son jeune âge il aimait la Russie, la langue russe. Durant notre conversation, il citait de mémoire des strophes entières du célèbre poème de Pouchkine. Bien entendu, lorsque partent de si grands hommes politiques, le monde s’appauvrit ».