Tout abandonner et partir loin: ces Russes qui font le choix d’une autre vie, plus simple

Christian Vorhofer/Global Look Press
La météo, les transports matinaux, le stress et la vie citadine en général ont ces dernières années poussé de nombreux Russes à se déraciner et à partir à l’étranger dans le but d’y mener une vie meilleure et bien moins complexe. Mais cela en vaut-il la peine?

Alors que ce phénomène n’a rien de nouveau (prenez par exemple le cas de Léon Tolstoï), tout quitter pour adopter un mode de vie alternatif est une pratique qui s’est fortement répandue depuis que la culture consumériste a refermé ses griffes sur les sociétés occidentales. Les Russes, qui ont finalement rejoint ce mouvement mondial dans les années 2000, se sont alors mis à rêver d’une vie simple (souvent près de la plage), dans des lieux comme l’Inde et la Thaïlande, où le coût de la vie est moins élevé.

En 2008, les sondages démontraient déjà que près de 30% des Russes privilégieraient, s’ils en avaient le choix, leur réalisation personnelle plutôt que leurs ambitions de carrière. Climat rude, visages fermés dans le métro, stress, mode de vie malsain, rythme trépidant, voici seulement quelques-unes des raisons citées par la population l’incitant à tout abandonner et à partir, loin.

« Il y a eu un temps où les Russes avaient de hautes aspirations matérielles et professionnelles, mais la crise a frappé. Peu ont réussi à s’en sortir, le reste est déçu et las. La majorité des Russes ne considèrent pas leur travail quotidien dans leur pays natal comme la vie, mais plutôt comme de la survie. Ils sont donc prêts à sacrifier leur statut social pour avoir le privilège d’une existence ici, dans le présent », explique le coach de vie Oksana Dombrovskaïa.

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Des changements de vie feintés

Ceux qui ont décidé de tout abandonner avaient souvent de brillantes carrières et étaient donc par exemple en mesure de louer leur appartement en ville pour vivre dans un autre pays grâce au loyer perçu. Ils pouvaient aussi se lancer en freelance à distance ou trouver un emploi local dans leur contrée d’adoption, comme prof de surf, de yoga ou de méditation.

« Le vrai changement pour une vie simple est quand une personne ayant connu le succès et s’étant accompli décide d’agir à l’encontre de ses pratiques familières au nom de la liberté et de la créativité, explique Alexandr Dorochenko, un psychologue russe. Les faux changements, c’est quand une personne, qui n’est rien du tout et en est fière, prêche le rejet de ce qu’il ne possède pas ».

Il existe de nombreuses histoires à propos de personnes qui n’avaient rien dans leur pays natal et qui ont simplement cherché des opportunités à l’étranger. Ceux parmi eux ayant eu l’esprit le plus entrepreneur ont même commencé à proposer des services de coach de vie ou des sessions de retraite spirituelle, qui s’avèrent être parfois des leçons brumeuses destinées à leurs pairs occidentaux vivant en Asie grâce à la location de leur logement.

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Épreuves

La crise économique de 2014-2015 et la dévaluation du rouble qui s’est ensuivie ont compliqué l’existence des Russes adeptes de ce nouveau mode de vie. Certains ont par conséquent décidé de retourner dans leur pays après l’assèchement de leurs économies. Par exemple, une famille est revenue en Russie après quelque temps passé en Thaïlande. Seulement, en ouvrant la porte de l’appartement qu’elle avait loué durant son séjour à l’étranger, elle a découvert qu’il avait été entièrement dévasté par les locataires. La famille a donc dû recommencer à partir de zéro.

Un autre épisode encore plus tragique est survenu dans la ville de Podolsk (36 kilomètres au sud de Moscou), il y a deux ans : un homme a tué ses deux enfants et a sauvagement frappé sa femme, seulement en raison des problèmes auxquels ils étaient confrontés dans leur lutte pour reprendre une vie normale après avoir regagné leur pays.

Néanmoins, en dépit des facteurs financiers combinés à d’autres défis (environnement culturel différent, bureaucratie locale, barrière linguistique, éloignement vis-à-vis du reste de la famille, pour n’en citer que quelques-uns), tous les Russes expatriés de la sorte n’ont pas décidé de retrouver leur Mère Patrie. En effet, beaucoup sont restés à l’étranger, ont trouvé de nouveaux moyens de gagner de l’argent localement, ou ont simplement changé de pays. Certains ont aussi opté pour une vie nomade, ne s’établissant jamais à un endroit pour trop longtemps.

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« Quand vous quittez [la routine habituelle de votre pays d’origine] vous comprenez que c’est ça la vraie vie, tous ces pays reposent dans vos mains, témoigne Macha Choults, une rédactrice de 28 ans qui a voyagé dans plus de 30 pays tout en travaillant à distance. Si vous n’avez pas un job à distance, vous pouvez en trouver un sur place. Si vous ne parlez pas anglais, vous pouvez facilement l’apprendre en voyageant, c’est ce que j’ai fait. La clef est de partir ».

Certains encore font du voyage leur source de revenus en filmant leurs périples. C’est le cas du jeune couple russe formé par Anastasia et Nikita Kouimovi, pour lesquels il s’agit avant tout d’un mode de vie alternatif, plutôt que d’une existence plus simple. En effet, depuis qu’ils ont fait ce choix, ils travaillent encore plus qu’avant. « Vous adoptez un mode de vie conscient quand vous commencez à évaluer votre existence non pas au travers du prisme de l’argent ou de la valeur de vos biens, mais des expériences et moments que vous avez vécus, comme l’opportunité de vivre en bord de mer, de partager des couchers de Soleil avec votre moitié, ou de travailler quand vous en avez envie », confient-t-ils.

Une utopie?

Alors que nombreux soutiennent ce genre d’initiatives, d’autres ne sont pas aussi enthousiastes. Le psychologue Vladimir Vakhrameïev considère en effet que tout abandonner pour mener une vie simple peut en réalité souligner un désir de rester à l’état d’enfant, au niveau mental.

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« Si une personne ne souhaite pas avoir affaire avec la dure réalité, elle choisit une réalité alternative, une utopie en fait. Elle va à Goa, confectionne des bracelets, consomme des drogues, se montre amicale et positive, mais par essence reste un enfant, préservant sa naïveté. Ensuite certains font marche arrière après avoir compris que la vie citadine, la famille, les tâches d’adultes sont plus importants pour eux. D’autres par contre, demeurent dans cette enfance socialement acceptée », écrit-il.

Un autre facteur que ce type de personnes doit avoir à l’esprit est que dans un pays autre que sa contrée natale, une personne reste toujours un étranger, avance le blogueur Alexbrainer, qui a vécu en Thaïlande. « Dans un pays chaleureux, aussi beau et intéressant qu’il puisse être en termes de culture et de conditions de vie, une personne restera toujours un invité au niveau fondamental. Cela ne s’applique pas qu’à l’Inde ou la Thaïlande, la liste continue encore et encore ».

Changer de vie localement

Tout abandonner pour embrasser une vie nouvelle permet cependant souvent de se découvrir des talents et désirs intérieurs, qu’une personne normale réprime dans la vie normale, assure Sofia Zolotovskaïa, professeur d’anglais voyageant avec son fils de cinq ans. « Pour être honnête, cela nous fait ressentir la vie différemment. Vous sentez que vous êtes vraiment en vie ».

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Par ailleurs, ces dernières années, cette pratique a acquis de nouvelles significations et ne requiert plus forcément de partir à l’étranger. Cela peut en effet désigner ceux qui font simplement le choix de changer de profession pour quelque chose qu’ils avaient toujours voulu faire, mais n’avaient jamais osé ou pu, en raison de la pression sociale ou d’un salaire trop bas. C’est le cas d’Aliona, une ancienne professeur d’anglais et rédactrice qui s’est reconvertie dans la danse. Elle a en effet déménagé à Saint-Pétersbourg, a intégré l’Académie de ballet Vaganova et travaille à présent sur des projets de danse contemporaine. Son salaire n’est pas bien élevé, mais elle est heureuse : « Je ne veux pas vivre d’une autre manière : « C’est une histoire de bonheur. Autrement vous échangez la liberté pour l’argent ».

En outre, il y a ceux qui délaissent les villes pour s’installer à la campagne, dans une quête du bonheur, d’une vie simple à la ferme. Ça a d’ailleurs été la décision de la famille Bajan, dont nous vous parlions dans cet autre article

« Aujourd’hui de plus en plus de gens quittent les grandes villes, mais pas pour faire pousser des patates comme dans les années 1990, quand beaucoup faisaient face à la famine, ou pour bronzer sur la plage en Thaïlande comme dans les années 2000, quand beaucoup en ont eu assez de ce pays, mais en raison du désir de trouver un sens à leur vie, soutient Ksenia Galaktionova, manager dans l’événementiel venant de Saint-Pétersbourg et s’étant établie à 170 kilomètres de là, à la campagne avec sa famille. Pour satisfaire ce souhait, les gens commencent à migrer vers la campagne russe, qui dispose de tout le nécessaire : une terre capable de les nourrir, un sens spirituel, de profondes racines. En plus, il y a des opportunités d’emploi ou de création d’entreprise, dont pourront hériter vos enfants, contrairement à de nombreux jobs de bureau ».

Un magnifique exemple de changement de vie est celui d’Elena Bessedina et de sa famille, qui ont tout quitté pour s’installer au fin fond de la taïga sibérienne. Une histoire touchante que nous vous partageons dans cet autre article.

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