Quels réseaux sociaux les Russes utilisaient-ils au XIXe siècle?

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Les applications pour mobile et les réseaux sociaux sont assez récents, pourtant nous ne pouvons imaginer de devoir nous en passer. Et ce parce qu’ils comblent les besoins élémentaires de l’être humain. Si Pouchkine ou Tolstoï avaient par exemple pu utiliser Facebook ou WhatsApp, ils l’auraient certainement fait. C’est pourquoi on peut s’intéresser aux formes de réseaux sociaux dont ils se servaient à l’époque, avant même l’apparition du numérique.

Facebook

Les réseaux sociaux nous permettent de partager nos vies et nos idées avec nos cercles d’amis et de connaissances. Tandis que les aristocrates de la Rome antique se réunissaient chaque matin, midi et soir autour de grandes réceptions, la noblesse russe, elle, se déplaçait individuellement pour rendre des visites.

Par exemple, les jeunes mariés étaient forcés de visiter toute leur famille, de chaque côté ; quand une personne tombait malade il avait malgré tout l’obligation de recevoir ses invités venus lui souhaiter une bonne convalescence. Plus encore, il est évident que ces visites devaient être rendues à ceux qui nous en avaient fait l’honneur.

Petit-déjeuner d'un aristocrate par Pavel Fedotov, 1849-1950

« Jeudi, à 18h, Maria Ivanovna sauta dans la diligence et partit en visite, tenant dans sa main son agenda. Ce jour-là elle rendit onze visites. Le vendredi elle en rendit dix avant le diner et trente-deux après, et dix de plus le samedi. Donc soixante-trois au total, et elle en réserva dix le dimanche, pour ses plus proches amis ».

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Lorsqu’un membre d’une famille décédait, celle-ci devait accepter tous ceux venus présenter leurs condoléances. Martha Wilmot, une Anglaise ayant vécu au XIXe siècle, exprima son dédain envers cette tradition, mais il lui fut rétorqué que « si la veuve ne faisait pas parvenir l’annonce [du décès de son mari], elle se verrait condamnée par la société au motif de déshonorer la mémoire de son époux, et que l’on questionnerait la sincérité de sa peine. Elle se ferait au passage quelques ennemis, qui propageraient des ragots et, finalement, plus personne ne mettrait un pied dans sa demeure ».

Mais parfois le temps manquait pour toutes ces visites. Il existait alors un autre moyen : les cartes de visites, qui commencèrent à devenir de plus en plus populaires dans les années 1830. Si l’on rendait visite à une personne qui se trouvait être absente de son domicile, l’on pouvait alors laisser sa carte de visite, où la faire envoyer par un domestique (il fallait cependant pour cela appartenir à un rang au moins égal à la personne à qui l’on envoyait sa carte, autrement c’eut été inconvenant).

Cartes de visite

Disposer les cartes sur sa table de réception était un élément révélateur de vos cercles d’amis et de vos fréquentations, comme une liste d’amis sur Facebook.

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« Certains excentriques paient de grosses sommes à des portiers ou valets de nobles maisons, pour que ceux-ci apportent leur carte à leur maître. Ces personnes-là ont tendance à accrocher ces ultimes preuves de leurs bonnes fréquentations au-dessus de leur miroir, afin de montrer à leurs amis moins aisés qu’ils appartiennent bien à la haute société ».

Tinder

Les contacts pouvaient être extrêmement utiles à un jeune homme cherchant une fiancée. Mais s’il n’en possédait pas, il pouvait tenter sa chance dans des lieux de rencontres non-officiels. Tout comme Tinder, ces endroits offraient la possibilité de choisir parmi un large éventail. À Moscou, les familles de marchands et de la petite bourgeoisie avaient pour habitude d’emmener leurs filles à la fête du baptême du Seigneur : « Toute la berge était remplie de filles parées d’onéreux vêtements d’hiver. En face d’elles se pavanaient de jeunes marchands à l’air gai et dynamique, habillés de manteaux en fourrure et coiffés de chapeaux… ». Les entremetteuses restaient aussi à portée de main afin de faciliter leur choix.

Bien évidemment, la noblesse n’aurait pas cherché son bonheur sur un quai hivernal. Outre les entremetteurs réputés auxquels elles faisaient appel, les familles nobles fréquentaient certaines églises dans lesquelles l’on pouvait se rendre afin de trouver une épouse. Le jeune homme devait alors entrer dans l’église pour y prier, tout en scrutant la pièce à la recherche d’une fille qui lui conviendrait. Dès qu’il la voyait, son regard était intercepté par une gouvernante bienveillante, qui le renseignait immédiatement sur le nom de la jeune fille et le moment approprié pour lui rendre visite ; ainsi pouvait être organisée la rencontre.

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Les messageries

Une scène de l'opéra Eugène Onéguine (Lenfilm, 1958)

Ces plateformes sont un bon moyen de communication lorsque des oreilles indiscrètes sont susceptibles de surprendre la discussion. Les jeunes gens du XIXe siècle auraient ainsi décidément eu besoin d’un smartphone lors des bals ou des réceptions. En tant que fille, il était impossible de se rapprocher d’un garçon avec un troupeau de gouvernantes et de nourrices pour sans cesse leur rappeler les bonnes manières. Elles inventèrent donc un langage secret, composé de gestes avec leur éventail et d’un « langage des fleurs ». Bien sûr, de nombreuses gouvernantes comprenaient aussi ce langage. Mais cette façon de communiquer était en fait la seule socialement acceptable. Un ou une noble ne pouvait décemment discuter d’amour ou de toute autre question privée à voix haute.

Un admirateur pouvait envoyer à son élue un bouquet de fleurs qui pouvait être lu comme un message. Une rose autrichienne signifiait un grand amour ; une rose de Damas, un amour timide ; envoyer des roses jaunes signifiait que vous soupçonniez une infidélité. Une pensée tricolore signifiait « ne m’oublie pas » ; un géranium : « je te retrouverai » ; un laurier, « je serai sincère jusqu’à ma mort », et ainsi de suite. Des combinaisons de fleurs différentes pouvaient ainsi permettre d’envoyer un message élaboré, et le choix des fleurs en disait long sur les goûts et la richesse de l’admirateur.

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Lors d’une réception, les jeunes filles utilisaient par ailleurs une mode venue de France et d’Espagne : elles se servaient de leurs éventails pour envoyer des messages. Pour exprimer l’affection, les femmes pointaient la partie supérieure de l’éventail vers un homme, et la partie inférieure pour témoigner de leur dégoût. Les femmes ouvrant de manière répétée leur éventail signifiaient une approbation, tandis que le garder ouvert était synonyme d’amour passionné.

Certains mouvements traduisaient des messages plus directs : se toucher la hanche signifiait « suis-moi », toucher son oreille gauche à l’aide de son éventail ouvert, « nous sommes épiés », et ranger lentement son éventail avec sa main gauche signifiait « rejoins moi, j’en serai ravie ». Ce « langage de l’éventail » devint si populaire que l’expression « agiter [son éventai] » désigna même, à une certaine période, le fait de flirter.

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