Au restaurant Dominique. Vladimir Makovski
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Le tsar Nicolas Ier en personne a autorisé son ouverture
Jusqu’au début du XIXe siècle, en Russie, on déjeunait et dînait généralement hors de chez soi dans des tavernes ou des auberges appelées traktir ou kabak. En 1840, le confiseur suisse Dominique Riz à Porta décide de changer la donne en ouvrant à Saint-Pétersbourg un établissement où l’on pourrait prendre un repas copieux et boire du café. Sa candidature a été examinée en haut lieu : Nicolas Ier en personne a signé une loi autorisant l’ouverture d’un café-restaurant, et un an plus tard, la demande de Riz à Porta a été approuvée par le Sénat. En 1841, au n°24 de la perspective Nevski, l’établissement Dominique ouvre ses portes dans un immeuble résidentiel. Il s’agissait du premier café-restaurant de Russie.
Le menu était très varié : « Thé, café, chocolat, vin chaud, bivsteck (sic) ». On y servait une grande variété de pirojkis (chaussons), du stouden’ (gelée), du chtchi (soupe aux choux), des gruaux de céréales, de la viande grillée, de la bière et, pour le dessert, vous pouviez commander un biskvit (génoise). L’écrivain Anton Tchekhov a écrit à son frère Mikhaïl : « Nous avons vogué sur la Neva, cela m’a marqué. Du bateau nous sommes allés chez Dominique, où pour 60 kopecks, nous avons mangé du rasstegaï (une tourte, ndlr), siroté un verre (d’alcool, ndlr) et bu une tasse de café... » Cependant, le plat phare du menu était le koulibiak, auquel l’un des habitués du Dominique, le poète Nikolaï Agnivtsev, a même dédié un poème.
« Chaque midi, le visage renfrogné,
Je vois, à travers le brouillard,
Trois fantômes devant moi émerger :
De Dominique le koulibiak
Le chausson de Kvississana,
Et le butterbrot de Solovievski »
Une bonne cuisine à prix raisonnables a contribué à rendre Dominique très populaire : étudiants et écrivains, artistes et fonctionnaires, mais aussi escrocs de tous bords qui sévissaient sur Nevski se côtoyaient ici. Dans la salle enfumée et bruyante, certains visiteurs restaient assis toute la journée à lire les journaux ou à jouer au billard, aux dames, aux dominos ou aux cartes. Parfois, les divertissements proposés chez Dominique ont eu de tristes conséquences. L’écrivain Fiodor Dostoïevski s’y est rendu pour dîner et... s’est laissé emporter par une partie de dominos : malheureusement, il ignorait que son adversaire, qui affirmait qu’il s’agissait d’un « jeu des plus innocents », était un tricheur notoire. Dans la soirée, il a été dépouillé de ses cent derniers roubles, sur les mille qu’il avait reçus le matin même.
Les habitués du restaurant se faisaient appeler « Dominicains » : parmi eux figurait Mikhaïl Saltykov-Chtchedrine, qui a décrit à plusieurs reprises le Dominique dans ses œuvres. Par exemple, dans son Journal d’un provincial à Saint-Pétersbourg, son héros déclare : « Et chez Dominique, je vous le dis, vous pouvez manger du koulibiak pour dix copecks […] Mais ils mettent du corégone gelé dans le koulibiak, quelle horreur ! »
Au café Dominique. Vladimir Makovski
Domaine publicLes joueurs d’échecs se réunissaient également ici. L’un des fondateurs de l’école d’échecs russe, Mikhaïl Chigorine, a rappelé que jouer dans cette atmosphère étouffante et enfumée exigeait des nerfs solides et un cerveau à toute épreuve. Alexandre Alekhine, Emanuel Schiffers et Evgueny Znosko-Borovsky fréquentaient l’établissement : pour jouer avec eux, il fallait payer 20 kopecks la place. Certains étudiants parvenaient même à gagner de l’argent grâce aux échecs : toute la journée et jusqu’à trois heures du matin, ils faisaient des paris (en misant également 20 kopecks). À partir de 1876, les premiers tournois d’échecs ont commencé à être organisés dans l’établissement.
Au restaurant Dominique. Ilia Répine
Domaine publicChaque jour, le Dominique recevait jusqu’à 1 500 personnes. Outre le café de la perspective Nevski, d’autres établissements au même format sont apparus à Saint-Pétersbourg. Mais aucun ne possédait cette atmosphère si particulière, qui attirait aussi les artistes. Des scènes du « Dominique » ont été peintes par Vladimir Makovski, Ilia Répine et Hugo Backmansson.
Jusqu’en 1907, le café appartenait à la famille Riz à Porta. Après le décès de son dernier représentant, la gestion du Dominique a été assumée par les actionnaires. Après la révolution de 1917, cet établissement bourgeois a fermé ses portes - il ne reste que des photographies, des peintures et des souvenirs de ses visiteurs. Le nom a fait des émules : en 1928, à Paris, l’émigré Lev Aronson a ouvert un restaurant de cuisine russe appelé Dominique, où l’on voyait souvent Ivan Bounine, Nadejda Teffi, Mark Aldanov et d’autres. Ses clients réguliers ont commencé à être appelés, comme avant eux ceux de Saint-Pétersbourg, les Dominicains. Et son propriétaire – Dominique.
Dominique à Paris
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