Condamné à 93 ans de prison, 9 évasions: l’Astrologue, le voleur le plus rusé d’URSS

Russia Beyond (Photo: Photographie d'archives; Sergueï Piatakov, Denis Abramov/Sputnik)
Il a volé les Héros de l’Union soviétique et gagné de l’argent en trichant aux cartes. Au cours de sa carrière criminelle de plusieurs décennies, il a été jugé 13 fois et condamné à 93 ans de prison. Il a vécu dans le luxe et s’est vu offrir un appartement dans le centre de Moscou par les fonctionnaires les plus puissants de l’URSS. Voici l’histoire de Vanka Khitry, l’escroc le plus magistral de son temps.

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Étoile d’or de Héros de l’Union soviétique

Le 29 septembre 1971, le légendaire pilote de première ligne Grigori Kozlov, Héros de l’Union soviétique, s’est présenté au commissariat de police de Sotchi et y a déposé plainte pour vol : un stylo, une veste, un passeport, un billet d’avion, ainsi que son certificat et son Étoile d’or de Héros avaient disparu de sa chambre au sanatorium Zolotoï koloss. La victime a toutefois admis que l’étoile n’était pas en or, mais en bronze. Le vétéran prudent avait emporté un faux pour ne pas perdre une récompense aussi précieuse. En revanche, les documents étaient authentiques !

La police a immédiatement conclu qu’elle avait affaire à un amateur qui ne savait même pas distinguer le faux de l’original. Curieusement, le voleur n’avait pas pris un rouble dans la chambre de Kozlov, seulement la médaille. Une affaire très médiatisée pour l’Union soviétique : peu de gens osaient voler les Héros, personnes les plus respectées du pays. Or, il n’y avait aucune piste. L’affaire a piétiné jusqu’à ce que le criminel lui-même se fasse connaître.

Un mois plus tard, un vétéran s’est à nouveau adressé à la police de Sotchi. Le Héros de l’Union soviétique Piotr Rogozine a signalé qu’au sanatorium Kavkazskaïa riviera, un malfaiteur avait remplacé son étoile d’or par une fausse en bronze. L’enquêteur principal Malaïev, responsable de l’affaire, a témoigné du récit de Rogozine : « Il descendait les escaliers et son étoile s’est retournée. Il a alors regardé la médaille, et il n’y avait pas de numéro. Il s’est alors rendu compte qu’il s’agissait d’un faux et a appelé la police ».

Le voleur des médailles a été appréhendé un an plus tard à Moscou. Il s’agissait d’un homme âgé, Ivan Petrov, alias Vanka Khitry (Vanka le Rusé, Vanka étant un diminutif d’Ivan), alias le célèbre voleur surnommé « Zvezdotchiot » (l’Astrologue). Cependant, il ne s’intéressait pas seulement aux Étoiles d’or. L’on a en effet aussi trouvé en la possession de Khitry les documents d’un colonel du KGB et d’un député du Soviet suprême, le diplôme d’un avocat et le certificat d’un soldat de première ligne. Sa collection comprenait non seulement des documents volés, mais aussi falsifiés. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il volait des récompenses, Petrov a admis :

« Pensez-vous que j’avais besoin de ces babioles uniquement pour l’or ? Ou pour me couvrir, pour me faire les poches plus facilement ? Non, ces étoiles ont un autre poids. Nous sommes tous divisés entre les humiliés et les humiliants, les insultés et les insultants... Je n’avais vraiment pas envie d’être dans la première catégorie. Et avec l’Étoile, tu n’es pas miné par les files d’attente, pas battu par la grossièreté, ne te fais pas cracher dessus par les bureaucrates. Si tu veux être traité humainement, montre-toi en Héros ! »

Peur et haine à Sotchi

Plage près du sanatorium Kavkazskaïa riviera

Vanka Khitry est né en 1900 dans le village de Passynkovo, dans la province de Tver. Il avait vécu très pauvrement et avait fini par s’engager sur la voie du vol. À 10 ans – premier vol, à 16 ans – première arrestation, à 25 ans – première peine de prison. Entre 1925 et 1972, il est allé 13 fois en prison, s’est évadé 9 fois et a été condamné à 93 ans d’enfermement. On ne sait toujours pas comment il est parvenu à échapper à la justice à chaque fois. « Le Rusé » a même réussi à s’évader du célèbre camp des îles Solovki, dans le Nord du pays.

Ivan Petrov était un homme extrêmement charmant et artiste. C’est compréhensible, sinon il n’aurait pu réussir dans le monde criminel. Il avait également une apparence élégante : des traits de visage rudes mais corrects, de nobles cheveux gris. L’escroc savait comment impressionner les femmes et gagner la confiance des hommes riches et puissants. Il se présentait à ses victimes sous différents noms de famille : Avine, Gouskov, Abderchine, Kokora, Diatchkov, Serebriakov. Au total, 14 pseudonymes sont connus.

« L’Astrologue » aimait le luxe. Il voyageait constamment à travers le pays et séjournait dans les meilleurs hôtels, se reposait dans des sanatoriums d’élite, dînait dans les restaurants les plus chers et assistait à des premières théâtrales de haut niveau. Il passait toujours ses étés dans des stations balnéaires – Yalta, Batoumi, Gagra. Mais c’est Sotchi qui avait toutes ses faveurs.

Sotchi était la capitale balnéaire de l’Union soviétique.

Voici un extrait de la note du département des affaires internes de Sotchi :

« Une vague de plaintes de personnes battues au jeu par des escrocs a littéralement submergé les services de police de Sotchi. C’est pourquoi, en 1969, le lieutenant principal Loukachov a été affecté au département des affaires internes de la police pour lutter contre les joueurs de cartes. Il était consciencieux dans son travail et a commencé à collecter non seulement toutes les demandes des victimes, mais aussi les photos de tous les joueurs professionnels. C’est ainsi qu’un certain Bablariane surnommé Pindos, Petrov (Vanka Khitry), Kirny, Darjania, Birioukov et d’autres ont attiré son attention. Menant une existence antisociale et parasitaire, ils vivaient de la tricherie grâce aux jeux de cartes ».

En lisant cette note, Khitry aurait pu s’offusquer du fait que la police ne l’ait mentionné que comme « l’un d’entre eux ». Après tout, dans les milieux criminels, il avait la réputation d’être le tricheur de cartes le plus compétent et le plus virtuose. Le « revenu » quotidien d’un joueur expérimenté pouvait dépasser les mille roubles. À l’époque de l’URSS de Brejnev, c’était un argent fou, qui permettait à Khitry de mener la vie luxueuse dont il avait rêvé depuis l’enfance.

Pour les péchés de son père

Les jeux d’argent étaient illégaux en URSS, mais cela n’empêchait pas les tricheurs de faire fortune.

Entre les vols, les cartes et les évasions, Vanka Khitry a réussi à se marier deux fois. Evgueni Petrov, l’un de ses trois enfants, a occupé un poste prestigieux de commentateur au sein de la principale rédaction de propagande de la Radio pansoviétique. Pour réussir sa carrière, il a cependant dû taire ses origines : en URSS, la voie de la haute société était fermée aux enfants de voleurs récidivistes.

« Je n’ai commencé à apprendre la vérité qu’en dixième année [à l’âge de 15 ans environ]. Mon père m’a fait asseoir en face de lui dans une cuisine moscovite encore non meublée. Et, me regardant droit dans les yeux, il a commencé à me parler de son aptitude à tricher et à voler. C’était effrayant. Mon père m’a dit qu’il était un voleur dans la loi. Et que je risquais de briser mon destin si j’en parlais à qui que ce soit », tel est un extrait du témoignage d’Evgueni Petrov.

« Le Rusé » a continué à mener une vie criminelle et ne s’est pas beaucoup intéressé à l’enfance de son fils. Cependant, des années plus tard, le voleur, ayant appris la position élevée de ce dernier, est soudainement revenu dans sa vie.

Andreï Mironov dans le film Les Douze chaises

« Un jour, mon père est arrivé à l’improviste, comme toujours, et m’a donné 16 000 roubles pour l’achat d’une voiture pour mon mariage. Puis il est venu avec des papiers. Je voulais le renvoyer. Mais il a remis de l’argent. Et il m’a laissé entendre que mon travail pourrait me permettre de savoir de qui j’étais le fils. J’ai commencé à faire tout ce qu’il me demandait. Et j’ai eu peur de perdre tout ce que j’avais déjà. J’attendais mon père avec de nouveaux cadeaux et je le haïssais pour la peur qui s’était déjà installée en moi ».

Il semble parfois que Vanka Khitry se soit inspiré d’Ostap Bender, le héros des romans d’Ilf et Petrov.

Evgueni, aux ordres, a aidé son père détesté à falsifier des documents. Il a également assisté Vanka Khitry dans l’une de ses principales aventures : il a rédigé avec lui une requête adressée au secrétaire général de l’Union soviétique, Leonid Brejnev. L’escroc s’est présenté comme un ancien soldat de première ligne, Alexandre Denissov, ayant combattu avec Brejnev dans la 18e armée pendant la Seconde Guerre mondiale, et a demandé un enregistrement et un appartement à Moscou.

L’Astrologue a si habilement menti que le puissant secrétaire du comité central du PCUS, Souslov, et le président du présidium du Soviet suprême de l’URSS, Podgorny, ont répondu favorablement à sa demande. Ils ont ordonné d’attribuer au « soldat de première ligne » et au « travailleur » Denissov un appartement de deux pièces dans une prestigieuse coopérative d’acteurs située en plein centre de Moscou.

Au bout d’un certain temps, la supercherie a toutefois été révélée. Les enquêteurs ont analysé l’écriture et découvert que l’auteur de la lettre n’était pas Denissov, mais le commentateur de la principale rédaction de propagande de la Radio pansoviétique. Evgueni s’est donc retrouvé sur le banc des accusés avec son père. Lors de l’un des interrogatoires, il a avoué : « Maintenant, je comprends qu’il nous a volés, ma mère et moi, de la pire façon qui soit. Et je ne lui pardonnerai jamais cela ».

La dernière affaire

Photographie supposée d'Ivan Khitry

L’histoire criminelle de Vanka Khitry s’est terminée au printemps 1972. Il a alors volé sans succès un client dans le magasin Beriozka à Moscou. Le voleur a dérobé un portefeuille au célèbre dentiste Kouchner, après l’avoir « endormi » grâce à son Étoile d’or au revers de sa veste et à une discussion au sujet de la mode italienne. Néanmoins, Kouchner a rapidement repris ses esprits et a personnellement arrêté Khitry alors qu’il tentait de se cacher dans la foule de la rue.

Au poste de police, l’on a découvert que le criminel possédait un certificat de Héros au nom de Grigori Kozlov. Au cours de l’interrogatoire, Vanka a habilement détourné l’attention des enquêteurs et les a convaincus que son passeport se trouvait dans l’appartement de son camarade de front à Krioukovo (en périphérie de Moscou), et qu’il était lui-même venu de Leningrad en visite dans la capitale. Pendant que la police vérifiait les faits, Khitry a joué son tour favori : il a fait semblant de s’évanouir et s’est ensuite échappé de l’hôpital.

Toutefois, la police avait déjà accumulé trop de faits et, surtout, elle disposait désormais d’une photographie du criminel. Rapidement, des officiers expérimentés ont donc reconnu en lui le célèbre escroc Ivan Petrov. Vanka Khitry a été arrêté quelques jours plus tard dans les prestigieux bains Sandouny, ses préférés. Le voleur n’a même pas résisté. Visiblement, il n’avait plus le même âge et était fatigué de courir. Dans sa poche, l’on a trouvé un autre document falsifié – au nom du major Avine, un ancien employé du SMERCH (service de contre-espionnage militaire soviétique durant la Seconde Guerre mondiale).

Les bains Sandouny, lieu de prédilection de l’élite soviétique. Photo par Jeremy Nicholl

Vanka Khitry a été condamné à 10 ans de prison. Après avoir purgé sa dernière peine, il a été libéré en 1982 et n’est plus jamais retourné derrière les barreaux. Né en 1900, le légendaire escroc est décédé en 2000, à l’âge de 100 ans.

Dans cet autre article, découvrez qui étaient les «voleurs dans la loi», ces violents chefs de la mafia russe.

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