Cinq faits sur Gueorgui Tchitcherine, le premier ministre des Affaires étrangères soviétique

Domaine public
Le 24 novembre dernier a marqué le 150e anniversaire de la naissance de Gueorgui Tchitcherine*. Ce descendant d’une ancienne lignée de nobles est devenu commissaire du peuple, l’équivalent soviétique de ministre, – et cela était possible en URSS. Toutefois, ce ne sont pas ses origines qui lui ont valu sa carrière.

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Il avait une «mauvaise» biographie pour un bolchévique

Son père venait d’une ancienne maison noble – les Tchitcherine, connue depuis la fin du XVe siècle. Sa mère – la baronne Meïendorf – descendait d’une lignée de célèbres diplomates au service de la Russie. La riche famille appartenait à l’élite noble de l’Empire. L’on pourrait croire qu’un homme de ce milieu ne se lèverait pas contre le pouvoir du tsar. Pourtant, paradoxalement, c’est cette éducation qui a prédéfini Tchitcherine à devenir communiste.   

Gueorgui Tchitcherine

Son père, dans la force de l’âge, est devenu adepte de la doctrine évangélique du piétisme, qui, en Russie, était propagée par le lord anglais Granville Waldegrave, baron Radstock. L’un des postulats de la doctrine était la charité. Un vrai croyant devait renforcer sa foi par des bonnes actions – en prenant soin des démunis. Les évangélistes éduquaient les paysans, finançaient l’ouverture d’écoles et d’hôpitaux. C’est aussi ce que faisaient les parents de Gueorgui, qui était souvent emmené par sa mère aux réunions évangéliques. Les vérités qui y étaient assimilées étaient strictement dictées par le style de vie patriarcal de la Russie de la fin du XIXe siècle.

Intégré au ministère encore sous le tsar

Le père de Gueorgui était un employé haut-placé du ministère des Affaires étrangères, même s’il a dédié les dernières années de sa vie, selon les idéaux du piétisme, à la charité. Il est parti lorsque Gueorgui avait dix ans, mais, grâce à des connexions de la famille, Gueorgui, qui avait terminé sa formation historico-philologique à l’université de Saint-Pétersbourg, a été admis au ministère à 26 ans, et a directement occupé le poste assez haut de secrétaire collégial.

Dans son bureau à Moscou

En 1904, pour des raisons de santé, Tchitcherine est parti en Europe, où il a fait connaissance des idées socialistes. En 1905 déjà, il est devenu membre du POSDR (Parti ouvrier social-démocrate de Russie) et n’est pas retourné au pays, pris dans la révolution. Sa situation financière lui permettait de soutenir les sociaux-démocrates russes, ce qui ne pouvait pas ne pas inquiéter les services secrets du Royaume-Uni. En 1914, il est devenu membre du Parti socialiste britannique. En août 1917, déjà après la chute du régime tsariste, Tchitcherine a été arrêté par les autorités britanniques, accusé de représenter  un danger pour la sécurité et la capacité défensive de Londres, qui était à l’époque en guerre contre la Russie. Seulement après deux notes de Léon Trotski, qui occupait à l’époque le poste de commissaire du peuple aux affaires étrangères de la RSFSR (République socialiste fédérative soviétique de Russie), Tchitcherine a néanmoins été libéré. En arrivant à Saint-Pétersbourg, il est tout de suite devenu adjoint de Trotski, et en février 1918, par l’initiative de Vladimir Lénine, a été chargé d’exercer les fonctions de ministre des Affaires étrangères.

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Il a participé à la signature du traité de Brest-Litovsk

À son nouveau poste, Tchitcherine a directement rencontré un problème de grande envergure, celui de faire la paix avec toutes les nations qui ont combattu contre la Russie tsariste lors de la Première Guerre mondiale. À ce moment-là, la RSFSR, l’État souverain tout juste établi, était pris par la guerre civile, et se retirer de la Première Guerre mondiale était donc, sans doute, la seule façon de sauver la souveraineté du pays.

Tchitcherine faisait partie de la délégation russe, qui a signé le traité de Brest-Litovsk le 3 mars 1918. Selon les conditions, la Russie a démobilisé son armée et sa marine, a cédé aux autres pays le quart de ses territoires en Europe et le tiers de sa population. Pour la Russie soviétique, ce traité a été un échec politique cuisant. En racontant les conditions du traité de Brest-Litovsk le 14 mars au Quatrième congrès russe, Tchitcherine a fini son discours en disant « on nous a forcé à signer, en nous collant un pistolet au front ». Les articles de presse soviétique qualifiaient explicitement le traité de Brest-Litovsk de « suicide », alors que ce refus de guerre a permis à la République soviétique de prendre une pause indispensable pour la survie de l’État. Malgré les critiques, Tchitcherine a continué à travailler et, en mai 1918, est devenu le commissaire du peuple aux Affaires étrangères de la RSFSR.

Sous ce statut, il devait établir les relations diplomatiques de l’URSS avec de nombreuses nations. Le triomphe de Tchitcherine ont été les accords de Gênes en avril 1922, où la RSFSR était pour la première fois représentée comme un pays souverain.  

Son style de travail était à l’inverse de l’autoritaire

Tchitcherine, sans famille, malgré son poste haut-placé, qui lui permettait d’user de tous les privilèges de commissaire du peuple, habitait son commissariat. « La révolution ne lui apportait rien matériellement. Il était l’un des rares révolutionnaires qui avaient tout : l’argent, le pouvoir, une place dans la hiérarchie de l’Empire », écrivait la journaliste américaine Bessie Beatty, qui connaissait le commissaire personnellement.  

Affiche de propagande soviétique pour les enfants, louant les réalisations du ministre dans le domaine du travail

En perfectionniste, qui voulait tout décortiquer par soi-même, Tchitcherine a fondé les premières bases et directions de l’activité de son département. D’ailleurs, il ne travaillait pas seulement jusque tard, mais même la nuit, ce qui lui a valu des plaintes de ses subordonnés. Par la suite, Tchitcherine a confié que, durant la période de l’établissement du pouvoir soviétique, il avait travaillé 18 heures par jour.

« Tchitchérine est un employé modèle, bien intentionné, intelligent, connaisseur. Il faut apprécier les gens comme lui. Sa faiblesse – l’absence de "commandantisme", mais ce n’est pas grave. Beaucoup ont le problème inverse dans le monde ! », disait Vladimir Lénine à son sujet.

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C’était un fin connaisseur de musique

Dès son plus jeune âge, Gueorgui a appris à jouer du piano. Dans le domaine de l’historien Boris Tchitcherine à Tambov, son oncle, la famille se réunissait souvent pour écouter jouer le futur diplomate. L’amour pour la musique était pour Tchitcherine l’une des principales composantes de sa vie. Dans une lettre à son frère, il écrivait : « J’avais la révolution et Mozart, la révolution – le présent, et Mozart – l’anticipation du futur, mais je ne peux les séparer ». Encore avant sa retraite du poste de commissaire du peuple aux Affaires étrangères en 1930, Tchitcherine a achevé la rédaction de son livre sur les œuvres du grand composteur autrichien.

Gueorgui Tchitcherine en costume mongol

Appartenant aux intellectuels d’avant la révolution, il se distinguait d’autres commissaires du peuple staliniens. À Gênes, par exemple, Tchitcherine a impressionné les étrangers non pas par sa force ou sa brutalité, mais par son éducation encyclopédique et sa connaissance parfaite du français et de l’anglais, sans traducteur. Au lieu d’une veste en cuir et de bottes, il pouvait porter des habits traditionnels ouzbeks ou mongols, qu’il avait reçu en cadeau des diplomates de l’Orient (les désormais célèbres peignoirs tchitcheriniens sont aujourd’hui exposés au Kremlin de Moscou). En raison de cette passion, Tchitcherine était surnommé le « chef de la fraction orientale ». Cependant, ses peignoirs lui servaient réellement dans sa fonction. Par exemple, en recevant une délégation de l’émirat de Boukhara, Tchitcherine l’a accueillie en accoutrement traditionnel de cet État d’Asie centrale – en démontrant ainsi son ouverture et son aspiration au dialogue.

La démission de Tchitcherine a eu lieu lors d’une mésentente générale avec l’idée de Staline de confier les rênes du pouvoir au Parti communiste. « La primauté du Parti sur les affaires étatiques, signifie la paralysie du pouvoir de l’État », écrivait Tchitcherine.

Ensuite, il a mené une vie isolée – en été à la datcha, la plupart de l’année dans son appartement à Moscou, où il décède en 1936.

*L’exposition dédiée aux 100 ans de la formation de l’URSS et consacrée à Tchitcherine et la diplomatie soviétique se tient aux Musées du Kremlin de Moscou jusqu’au 8 janvier 2023. 

Dans cet autre article, nous vous dressions le portrait de cinq femmes ayant réussi à s’imposer dans le jeu politique en URSS.

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