Ce procès pour homicide qui a tenu en haleine la Russie tsariste

Histoire
NIKOLAÏ CHEVTCHENKO
La bataille juridique autour du sort de Vera Zassoulitch, une femme qui avait avoué un meurtre, a captivé l’opinion publique de l'Empire russe.

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Le 24 janvier 1878, une jeune femme entre dans le bureau du gouverneur de Saint-Pétersbourg Fiodor Trepov, sort un revolver Webley .450 et tire sur lui à bout portant. Le procès qui a suivi a tenu en haleine tout l'Empire russe.

Le crime

L'affaire s'annonçait simple à démêler pour le parquet. Une femme de 27 ans qui avait des antécédents d'arrestations et de condamnations était entrée dans le bureau d’un responsable gouvernemental et lui avait tiré dessus à bout portant, visant le cœur.

La tentative de meurtre était semble-t-il transparente, car Vera Zassoulitch - la femme qui avait tiré - n'avait pas fui la scène du crime, avait attendu la police et avait tout avoué à son arrivée. Zassoulitch risquait jusqu'à 20 ans de travaux forcés et la privation de ses droits.

L'affaire aurait dû être un jeu d'enfant pour l'accusation, mais en cours de route, plusieurs incidents se sont produits, générant un bourbier juridique que personne n'aurait pu prévoir.

Erreur fatale

L'affaire a commencé à dérailler non sans l’aide du charismatique avocat de l'accusée, Piotr Alexandrov. Ses contemporains le qualifiaient d'orateur et de professeur de droit exceptionnel. En revanche, le procureur Konstantin Kessel n'était pas caractérisé de manière aussi laudative.

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« Quand j'ai vu le regard complètement abattu de Kessel, j'ai [...] imaginé quel discours accusateur insipide, faible et aqueux Pétersbourg, attendant avec impatience le procès de Zasoulitch, entendrait », a écrit le juge Anatoly Koni, qui présidait le tribunal.

La sélection du jury a constitué un autre faux-pas de l'accusation. Pour des raisons inconnues, le procureur a renoncé à son droit de voir-dire et n'a apparemment pas veillé à ce que les jurés soient impartiaux. Le rusé défenseur n'a pas hésité à utiliser cette erreur de l'accusation à son avantage. En fin de compte, l’avocat de la défense Alexandrov a composé le jury pratiquement à lui seul.

Alexandrov a choisi des personnes de tendances libérales qui manifestaient des opinions relativement indépendantes et ne sympathisaient pas avec la puissante victime du crime. Apparemment, c'est l'erreur fatale de l'accusation qui a déterminé l'issue de cette scandaleuse affaire d'homicide.

Dilemme moral

Le mobile de l'accusée et ses antécédents, soigneusement présentés par le défenseur, ont constitué le dernier clou dans le cercueil de l'accusation.

Alexandrov a prudemment présenté Zassoulitch comme une victime répétée d'un régime arbitraire au sein d’un système de gouvernement oppressif. Sa vie avait été une succession d'injustices : elle avait été arrêtée sans raison par le passé, jetée en prison et, plus tard, forcée à l'exil. Son parcours a prédéterminé, faisait valoir le défenseur de Zassoulitch, sa nature extrêmement sensible aux injustices, quelle qu'en soit la victime.

Le défenseur a ensuite présenté un motif étrange pour expliquer le meurtre. L’impressionnable Zassoulitch, a-t-il soutenu, voulait venger une personne sans lien de parenté qui avait souffert de l'injustice que lui avait infligée la victime.

Tous les membres du jury connaissaient l'histoire, qui avait eu un grand retentissement à Saint-Pétersbourg. Le gouverneur Trepov avait ordonné de faire fouetter un détenu parce que ce dernier ne l'avait pas salué en lui enlevant son chapeau. Bien qu'illégale, la punition arbitraire avait été infligée sur ordre de Trepov. Indignée par ce cas d'injustice envers un autre être humain, Zassoulitch s'était rendue à Saint-Pétersbourg pour venger l'homme lésé qu'elle ne connaissait même pas personnellement, a plaidé sa défense.

Alexandrov a dépeint Trepov comme un tyran, et Zassoulitch comme une femme éprise de justice piégée dans un système injuste. Dans son discours, l’avocat de la défense a demandé au jury d'oublier la dichotomie standard entre verdicts de culpabilité ou de non-culpabilité et de porter à la place un jugement moral, général, sur l'ensemble de la situation.

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Lorsque les 12 jurés sont revenus de la salle après leurs délibérations, le silence régnait dans le tribunal.

« Le président m'a tendu la feuille d'une main tremblante. En face de la première question, il y avait écrit en grosses lettres : "Non coupable". Un tourbillon de pensées sur les conséquences, […] sur le sens de ces trois mots m'a traversé la tête lorsque je les ai signés », a écrit le juge en chef Koni.

Le chaos s’est emparé la salle d'audience. Les assistants du tribunal ont fait retentir un tonnerre d'applaudissements en signe de solidarité avec ce verdict juridiquement controversé du jury, mais, comme beaucoup le croyaient, juste au niveau moral. Zassoulitch a été acquittée et remise en liberté dans la salle d'audience.

Le célèbre cas de Vera Zassoulitch aurait exaspéré le tsar et fait dérailler la carrière de plusieurs personnes, dont celles du juge Koni et même du ministre de la Justice lui-même.

Craignant des répercussions, Zassoulitch a disparu immédiatement et, plus tard, a quitté le pays avec l'aide d’amis. Comme prévu, la décision du tribunal a été immédiatement portée en appel et l'affaire pénale a été rouverte, mais l'accusée était déjà partie à ce moment-là.

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