En images: Iouri Vlassov, ce héros soviétique qui a inspiré Arnold Schwarzenegger

Histoire
ANTON ISSAÏEV
Iouri Vlassov était un homme extraordinaire aux multiples talents: meilleur haltérophile de son temps, c’était aussi un intellectuel, un auteur, un journaliste, et un politicien qui s’est même présenté aux élections présidentielles russes. Au cours de sa longue vie, il a bu de la vodka avec Iouri Gagarine, porté Fidel Castro comme un enfant et été le porte-drapeau russe aux Jeux olympiques.

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En février 2021, Arnold Schwarzenegger, star hollywoodienne et ancien gouverneur de Californie, twittait sur la mort de Iouri Vlassov, qu’il présentait comme son inspiration en tant que jeune haltérophile. La vie de Vlassov explique cette phrase de Schwarzenegger : « C’est à cause de personnes comme lui que je refuse de dire que je me suis fait tout seul ».

Les jeunes années

Iouri Vlassov est né à Makiïvka, aujourd'hui en Ukraine, en 1935. Il a eu une enfance difficile, ce qui rend ses exploits (dont 31 records mondiaux d’haltérophilie et plus de 15 livres publiés) encore plus remarquables.

Les parents de Iouri étaient considérés comme des intellectuels : sa mère, de descendance cosaque, dirigeait la bibliothèque de Makiïvka, tandis que son père, aux ancêtres paysans des environs de Voronej, était un officier de renseignement et un diplomate soviétique en Chine pendant la Seconde Guerre mondiale.

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Durant le conflit, alors qu’il était encore enfant, Iouri a été évacué en Sibérie avec sa mère et son frère. Là, il a dû faire face à l’horreur des blessures de guerre des autres, ainsi qu’à la famine. En 1943, alors qu’il n’avait que 8 ans, il souffrait tellement de la malnutrition qu'il a perdu tous ses cheveux. Il décrit cet épisode de sa vie dans son livre A Confluence of Difficult Circumstances (Un concours de circonstances éprouvantes). Qui sait quelle aurait été l’ampleur de ses exploits s’il n’avait pas été exposé à la famine à un si jeune âge ?

Le « Superman » sportif

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, il a intégré l’école militaire Souvorov de Saratov. Il y a rapidement repris des forces, et y est resté de 1946 à 1953. Élève-officier, il faisait beaucoup de sport avec ses camarades et il s’est rapidement avéré qu’aucun de ses compagnons ne pouvait le battre à la lutte, aux pompes, aux tractions et au saut en longueur.

Son diplôme de l’école militaire en poche, il a intégré l’Académie des ingénieurs de l’Armée de l’air Joukovski, à Moscou. C’est là qu’il a commencé à pratiquer l’haltérophilie, sans toutefois apprécier de prime abord la discipline. Il l'évoque ainsi dans son livre La justice de la force : « Soulever des kettlebells me répugnait. Qu’est-ce que les gens peuvent bien trouver d’intéressant à la musculation, qui est si monotone ? Quel état d’esprit faut-il avoir pour pouvoir apprécier ce type d’exercices prétentieux ? ».

Malgré tout, il a continué à s’entraîner. « Pendant les premiers mois, je regardais juste les haltères, trop timide pour les utiliser. Quelque temps après, je faisais des squats avec 200 kg sur les épaules sans aucune difficulté. La force de mes jambes semblait infinie. J’avais beau m’entraîner, je n’arrivais pas à en atteindre les limites », écrivait Vlassov.

Des records à n’en plus finir

Quelque temps plus tard, Vlassov sortait diplômé avec mention de l’Académie et il semblait fort comme un ours. Tout comme Schwarzenegger, le Soviétique avait lui aussi une idole : l’Américain Paul Anderson. En 1955, le jeune Vlassov était témoin du nouveau record du monde établi par celui-ci. Devant un public de 12 000 spectateurs moscovites, ce dernier venait de soulever 518 kg. Vlassov se souvenait des blagues des Américains : « Vous avez un satellite, et nous avons Anderson ! »

Un an après cet événement, Anderson était sacré champion olympique. Inspiré par son idole, Vlassov était déterminé à battre son record, mais la compétition n’a jamais eu lieu entre ces deux géants de l’haltérophilie : Anderson a pris sa retraite peu après les Jeux olympiques de 1956.

Un an plus tard, seulement âgé de 22 ans, un Vlassov encore inconnu battait tous les records précédemment établis, à l’arraché comme à l’épaulé-jeté. Ces exploits seraient ensuite rapidement dépassés, mais il était clair qu'une nouvelle star venait de naître dans le monde de l’haltérophilie.

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Vlassov déclarait dans une interview que son coach était « avide de nouveaux records ». Il ne l’a pas déçu. Les années suivantes, il sera sacré quatre fois champion du monde, établira 31 nouveaux records, et gagnera 11 médailles d’or aux Jeux olympiques. Le sport à si haut niveau a cependant un coût : les entraînements rigoureux et ses multiples victoires lui ont causé une blessure à la colonne vertébrale dont il ne guérira jamais et qui a failli lui coûter la vie lors d’une opération chirurgicale en 1986.

Une superstar entourée de superstars

Lors de la coupe du monde de 1961, à Vienne, un jeune homme mince et timide a approché Vlassov alors qu’il se reposait entre deux séries. Au début, l’athlète était agacé d’être ainsi dérangé en pleine compétition. « Mais nous avons un peu discuté, et il semblait passionné », dira ensuite Vlassov. Ce dernier aurait sans doute apprécié la manière donc le frêle jeune homme soulevait de la fonte tous les jours, plaçant un escabeau contre le mur et passant par la fenêtre pour s’entraîner. Le gamin filiforme s’appelait Arnold Schwarzenegger.

En 1988, quand Schwarzenegger s’est rendu en Russie pour le tournage de Double Détente, il avait deux objectifs : acheter un manteau de fourrure pour sa femme, et serrer la main de son idole, qui l’avait poussé vers Hollywood et la célébrité.

« Schwarzy » n’est pas la seule star à avoir croisé Vlassov. En 1961, le président soviétique Khrouchtchev invitait l’haltérophile au Kremlin pour célébrer le Nouvel An. Iouri Gagarine, encore plus célèbre que Vlassov, est alors apparu avec une bouteille de vodka. « “Iouri, buvons ensemble”, m’a-t-il dit. Tout le monde était époustouflé. Nous avons passé la soirée à boire de l’alcool ensemble »racontait Vlassov.

Une autre rencontre remarquable a eu lieu lorsque Fidel Castro a reçu une délégation russe, dont Iouri faisait partie. Castro provoquait ce dernier, quand il a décidé d’attraper « El Commandante », qui pesait dans les 90 kg, par les aisselles, de le soulever comme un enfant et de le reposer sur le côté. Outré, Castro déclarera ensuite pendant le dîner que peu importe à quel point on remplit l’assiette de Vlassov, ça n’est jamais assez pour lui, et qu’il a besoin d’un camion pour se déplacer.

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Haltérophile, journaliste et politicien

On pourrait remplir des livres entiers avec des histoires sur Vlassov. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait : il n’était pas seulement connu comme haltérophile, mais aussi en tant qu’intellectuel. Selon lui, la littérature était la plus belle chose au monde. Dans une interview donnée en 2021, sa fille déclarait : « Il écrivait beaucoup. [...] Papa voulait plutôt être un auteur qu’un athlète ». Il a publié plus de 15 romans, ainsi que de nombreux articles de journalisme et œuvres de fiction. Il s’est également plongé dans les archives et les journaux de son père, entraînant la publication de littérature soviétique historique.

Enfin, en 1996, Vlassov était candidat à la présidentielle russe, face à Boris Eltsine. Plus tard, il déclarera dans une interview que ses célèbres victoires sportives ont rendu cette candidature possible, mais qu’il savait qu’il ne pourrait jamais gagner l’élection présidentielle à cause de certaines« circonstances ».

Le 13 février 2021, Iouri Vlassov est mort de causes naturelles à l’âge de 86 ans. Il pouvait encore soulever 185 kg bien après avoir célébré ses 70 ans. Derrière lui, il ne laisse pas uniquement ses multiples records d’haltérophilie, mais aussi des livres et des idées qui continuent d’inspirer des gens du monde entier.

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