Comment la bureaucratie «liait» les citoyens soviétiques à leur lieu de résidence

Histoire
GUEORGUI MANAÏEV
Les citoyens de l'Empire russe étaient obligés de vivre dans un endroit donné. Les bolcheviks ont interdit ce système, mais ont dû le restaurer quelques années plus tard. Pourquoi la «propiska» était-elle une question si douloureuse pour les citoyens soviétiques?

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« À l’époque soviétique, une personne sans propiska était considérée comme un clochard - avec toutes les conséquences qui en découlaient, a déclaré Sergueï Mironov, un homme politique russe, au journal Kommersant. Quand j'avais 17 ans, j'étais enregistré dans la banlieue de Leningrad avec ma mère, mon père et ma sœur. Ayant décidé de commencer ma vie d'adulte et d'aller en Sibérie pour des expéditions géologiques, j'ai dit à ma mère que je voulais me désenregistrer de l'appartement. Avec sagesse, elle a répondu : "Quand tu seras installé là-bas, alors je te désenregistrerai". Trois semaines plus tard, affamé et sans le sou, je suis rentré, et je suis toujours reconnaissant qu’elle ne m’ait pas laissé faire… ».

À l’époque soviétique, nul ne pouvait obtenir son « chez soi » sans propiska – c’était un permis de résidence permanent qui était tamponné sur son passeport. Actuellement, dans la Fédération de Russie, il n'y a pas de permis de résidence en tant que tel - seulement un enregistrement au lieu de résidence (bien qu'il soit encore souvent appelé « propiska »). Il s’agit toujours d’un tampon dans le passeport avec votre adresse actuelle. Lorsqu'ils déménagent, les citoyens russes sont tenus de s'enregistrer dans leur nouvelle résidence dans un délai de trois mois. Cependant, tout le monde ne respecte pas cette règle et c'est une question courante dans les institutions gouvernementales, ou même lors d’achats en ligne : « Est-ce votre adresse de propiska ou votre adresse réelle ? ».

Mais à l’époque soviétique, il fallait en cas de déménagement informer les autorités sous trois jours, pas un de plus. Et le règlement était valable même quand vous alliez en vacances à la mer...

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Pourquoi l'enregistrement sur le lieu de résidence était-il si important pour les Soviétiques ?

Un servage qui ne dit pas son nom

À partir de 1960, vivre sans propiska en Union soviétique pendant plus de trois jours était une infraction pénale, punie d’un an d’emprisonnement ou d’une amende de 100 roubles (équivalent au salaire mensuel d’un ingénieur expérimenté à l’époque). Cependant, même en 1967, les chiffres officiels montrent que 37% des citoyens soviétiques n’avaient pas de passeport. Pourquoi en était-il ainsi ? Parce que selon les lois soviétiques de l'époque, les passeports n'étaient délivrés qu'aux personnes vivant dans les villes, les petites villes et les agglomérations urbaines.

Les citoyens ruraux ne recevaient pas de passeport afin de « contenir la croissance de la population urbaine ». Cette situation a provoqué de multiples difficultés pour les habitants des campagnes. Ils avaient des problèmes d'emploi, de mariage, d’inscription dans les universités et les écoles techniques, et rencontraient même des difficultés même lors de la réception et de l'envoi de lettres et de colis à la poste ! En premier lieu, ils ne pouvaient pas voyager normalement - comme nous l'avons mentionné ci-dessus, vivre en URSS sans propiska était un délit. En conséquence, la plupart des ruraux restaient là où ils étaient, travaillant dans leurs kolkhozes - cela ne vous rappelle-t-il pas la façon dont les villageois étaient traités pendant le servage ?

En 1974, le gouvernement soviétique a finalement décidé de donner des passeports à toutes les catégories de citoyens - ce processus a cependant commencé en 1976 et ne s'est achevé qu'au début des années 1980. Cependant, même en possession d’un passeport, les Soviétiques étaient « fixés » à leur lieu de résidence. Voyons comment fonctionnait la propiska.

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Interdire les passeports… avant de les réintroduire

Dans l'Empire russe, les passeports ont été introduits au XVIIIe siècle. À partir de 1724, des documents appelés passeports sont distribués aux paysans possédant des compétences en construction et appelés à Saint-Pétersbourg ou dans d'autres villes pour participer à des travaux de construction. De plus, les paysans ayant quitté leur lieu de résidence pour travailler dans d'autres régions du pays devaient être porteurs de passeports avec la description de leur apparence. En 1803, les passeports des paysans ont été remplacés par des « tickets d'adresse » administrés par la police. Avec ces documents, le ministère de l'Intérieur contrôlait les mouvements des paysans à travers le pays - et surveillait leur retour éventuel chez leurs propriétaires terriens respectifs.

En 1903, Lénine écrivait : « Les sociaux-démocrates exigent une totale liberté de mouvement et de commerce pour le peuple - pour détruire les passeports… Le moujik russe est encore tellement asservi par les fonctionnaires qu'il ne peut pas se déplacer librement vers la ville, ni aller librement dans nouveaux territoires. N'est-ce pas du servage ? N'est-ce pas une oppression du peuple ? ».

Naturellement, immédiatement après l’arrivée au pouvoir des bolcheviks, ces derniers ont interdit le système de passeport tsariste, mais ont introduit des « registres d’emploi » pour contrôler la population et rechercher les personnes qui ne travaillaient pas. En 1925, la notion de propiska a été introduite pour la première fois dans la réalité soviétique : les pièces d'identité des citoyens soviétiques étaient tamponnées avec leur lieu de résidence permanent. En 1932, le système de passeport a été entièrement réintroduit, la propiska en constituant une caractéristique importante qui permettait à un citoyen d'accéder aux services gouvernementaux, y compris à l'aide médicale, sur son lieu de résidence. Comme nous l'avons mentionné précédemment, presque tous les paysans soviétiques étaient dépourvus de passeport dans les années 1930. Jusque dans les années 1980, les villageois devaient demander un permis spécial pour quitter leur village et aller étudier ou travailler en ville.

Divorcer pour un appartement

Comme il n’existait formellement pas de propriété privée en URSS : les appartements où vivaient les citoyens appartenaient en fait à l’État qui les « distribuait » parmi la population – c’était le sens de la propiska, selon les autorités – pour contrôler la densité de la population et les normes sanitaires. En réalité, la propiska était le seul document (un tampon sur le passeport) qui validait la possibilité de vivre dans un appartement. En cas de perte de votre propiska, vous perdiez le toit au-dessus de votre tête.

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Alla Dovlatova, une actrice russe, raconte l’histoire suivante à Kommersant : « Après son mariage, ma mère est allée vivre avec mon père, s’étant enregistrée dans la chambre de mon père située dans un appartement communautaire. Deux ans plus tard, les parents de ma mère ont pu emménager dans leur propre appartement et ont essayé de laisser leur pièce en appartement communautaire à ma mère, mais ont obtenu un refus des autorités : "Votre fille a déjà été enregistrée pour vivre avec son mari ! L'État va récupérer la chambre". Donc, pour éviter cela, mes parents ont dû divorcer, après quoi ma mère s’est enregistrée dans la chambre de l’appartement communautaire. Et six mois plus tard, ils se sont de nouveau mariés ».

De toute évidence, la propiska dans les grandes villes était plus difficile à obtenir - en particulier à Moscou. Beaucoup de gens se donnaient du mal pour l’obtenir, et il y a manifestement eu des « mariages de complaisance » qui ont souvent entraîné des inconvénients majeurs en cas de divorce. Mais même dans les mariages « réels », un homme ou une femme de villes comme Saint-Pétersbourg ou Moscou enregistraient leurs conjoints non originaires de la ville dans leurs appartements, et ils n’avaient finalement aucun problème à rester à Moscou, même lorsque les mariages se concluaient par un divorce.

En 1990, le Comité de contrôle constitutionnel de l'URSS a admis que « la loi sur la propiska, qui oblige les citoyens à obtenir l'autorisation de résider dans des localités situées sur le territoire de l'URSS, restreint le droit des citoyens de circulation et de choisir leur lieu de résidence. Ces restrictions [...] doivent être supprimées de la législation ». Pourtant, pendant la plus grande partie des années 1990 et 2000, la propiska restait un inconvénient majeur. À Moscou et à Saint-Pétersbourg, il y avait même des agences matrimoniales semi-légales chargées de trouver un mari ou une femme fictif(fictive) né(e) à Moscou avec une propiska moscovite, pour enregistrer leurs clients dans la capitale. Actuellement, vivre sans enregistrement ne peut entraîner qu'une amende (2 000 à 3 000 roubles - 30 à 40 dollars), et le processus d'enregistrement est devenu beaucoup plus simple qu'à l'époque soviétique.

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