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L'intervention américaine en Indochine ne pouvait pas laisser l'Union soviétique indifférente. Un mois seulement après le lancement en mars 1965 de l'opération Rolling Thunder, des bombardements réguliers du Nord-Vietnam, les premiers systèmes de missiles sol-air soviétiques et les spécialistes militaires qui les desservaient ont commencé à arriver dans le pays à la demande du gouvernement de la République démocratique du Vietnam.
Pendant toute la guerre, Moscou a livré à Hanoï 95 systèmes de missiles sol-air guidés S-75, plus de 500 avions, 120 hélicoptères, plus de 5 000 canons antiaériens et 2 000 chars. Plus de 10 000 spécialistes militaires soviétiques ont été envoyés dans le pays pour fournir une assistance internationale efficace : balisticiens, pilotes et agents des transmissions, membres d’équipages de chars et médecins.
Les artilleurs antiaériens soviétiques jouaient un rôle particulier. Ils étaient engagés non seulement dans la formation du personnel de l'Armée du Nord-Vietnam (ANV), mais ont eux-mêmes directement participé aux combats. Leur mérite considérable réside dans le fait que l'US Air Force et l’US Navy, ayant perdu plus de quatre mille appareils, n'ont pas pu venir à bout de la défense aérienne du pays et faire tomber le Nord-Vietnam.
Rim Kazakov, contrôleur d’opérations aériennes du 274e régiment d’engins sol-air de l’ANV : « Les camarades vietnamiens ont réussi à assimiler le fonctionnement des armes confiées, en restant toujours à proximité. Parallèlement au travail de combat des unités, nous avons régulièrement effectué des entraînements à l'aide d'équipements de simulation, en maîtrisant l'ensemble nécessaire de phrases en vietnamien. La barrière psychologique des premiers tirs a été surmontée ensemble - j'ai appuyé sur le bouton "tir" et le contrôleur d’opérations vietnamien l’a pressé après le lancement de la fusée, apparemment parfois sans même soupçonner ce qu’il faisait ».
Grigori Belov, responsable du Groupe de spécialistes militaires soviétiques au Vietnam de septembre 1965 à octobre 1967 : « Si, en aidant les Vietnamiens dans les combats, nous avions dit "faites comme moi", c'est-à-dire étudiez et maîtrisez les équipements et les armes militaires tels que nous les connaissons et les maîtrisons, exercez vos fonctions exactement comme nous, tirez comme nous, alors la question aurait été plus compliquée en termes de relations humaines. Les Vietnamiens, militaires et civils, nous regardaient, nous étudiaient, essayant de comprendre avec quels buts et intentions nous étions venus chez eux – c’était un peu plus de 10 ans après que les Français avaient été expulsés du Vietnam. Et seulement après avoir réalisé que nous leur apportions une aide désintéressée, du fond du cœur et de l'âme, avec abnégation, que nous souhaitions au peuple vietnamien uniquement la victoire sur l'agresseur, ils ont commencé à nous traiter avec un profond respect, je dirais avec amour ».
Guennadi Chelomytov, commandant de batterie du 274e régiment d’engins sol-air de l’ANV : « Pendant un mois, nous nous sommes assis aux manettes, et les Vietnamiens, à proximité et observant nos actions, ont acquis de l'expérience dans la réalisation de tirs de combat. Puis ils sont passés aux manettes, et nous nous tenions derrière eux, contrôlant leurs actions. Cela a duré 3-4 mois. Au fur et à mesure que les Vietnamiens acquéraient de l'expérience de combat, nos spécialistes militaires rentraient chez eux par petits groupes... Nous ne séjournions jamais au même endroit. Les positions changeaient très souvent - après chaque tir réel. Les positions découvertes par les pilotes américains faisaient forcément l'objet de bombardements massifs le lendemain, et parfois littéralement quelques heures plus tard. Par conséquent, rester sur la même position était très dangereux ».
Anatoly Zaïka, supérieur du groupe régimentaire de spécialistes militaires soviétiques du 238e régiment d’engins sol-air de l’ANV : « Le combat était éprouvant et difficile. Au départ, la division a été touchée par des avions américains. Le complexe a subi des dommages importants. Il semblait que la division était hors service pendant longtemps. Le deuxième groupe d'avions ennemis visait pour porter un deuxième coup, le coup de grâce. Mais le personnel n'a pas bronché - il a remis le complexe en état de préparation au combat et a accueilli la deuxième vague de raids avec une salve. Deux avions d'attaque embarqués abattus. Hourra ! La victoire la plus difficile est la première, mais elle est cent fois plus précieuse qu'une victoire facile ».
Major Igor Korbatch, Essai sur le colonel Nikolaï Beregovoï : « Pendant les combats, l'idée de mener des embuscades est née. Des divisions secrètes, généralement de nuit, occupaient des positions sur les itinéraires de vol probables des avions ennemis. Les embuscades étaient organisées loin des sites protégés. Les divisions pénétraient dans la jungle, aux confins du Laos. Ils tiraient deux ou trois coups de feu, abattaient un ou deux appareils et se retiraient immédiatement de leurs positions ».
Lioubov Rosliakova, employée du supérieur du Groupe d'experts militaires soviétiques au Vietnam : « Un jour d'été, il y a eu un tel bombardement que j’en tremble en m’en souvenant même aujourd’hui. Et l'une des bombes à fragmentation a frappé le coin de l’édifice où vivait le personnel de l’attaché militaire... Tout le coin de cet immeuble était soufflé, un profond cratère s'est formé et le mur de la maison était criblé d’éclats. Les maisons situées à proximité et en face ont également été touchées. Heureusement, tout le monde était au travail et personne n'a été tué. Après le bombardement, nous sommes entrés dans la pièce de la maison voisine (où se trouvait notre poste de premiers soins), et nous avons vu là des murs de 40 centimètres d'épaisseur criblés de bombes à fragmentation. Il y avait des explosifs sur les lits, sur la table et sur le sol ... »
Boris Voronov, chef d'état-major du Groupe de spécialistes militaires soviétiques de mai 1967 à avril 1969 : « Pendant les combats, la température à l'ombre atteignait 40 degrés avec une humidité très élevée. En raison de l’absence de climatiseurs dans les cabines de la station de pointage, les ventilateurs soufflaient de l'air à 60 degrés et ne refroidissaient ni l'équipement ni le personnel militaire y travaillant. L'uniforme de nos militaires était composé d’un casque en acier sur la tête et d’un slip. La sueur ruisselait à grosses gouttes le long du corps jusqu'au sol. Sous les sièges des opérateurs, dans les cabines, il y avait des flaques de sueur qui ne séchaient pas. Il y a eu des cas de maladie due à une transpiration excessive, lorsqu'une personne a perdu sa capacité de combat et a dû être hospitalisée ».
Alexander Anossov, membre du groupe d'experts scientifiques militaires qui effectuait une mission spéciale au Vietnam : « Le groupe s’occupait de la sélection et de l'étude des équipements militaires américains capturés : munitions non explosées, mines et ce qui restait des avions américains abattus. Pendant toute la guerre du Vietnam, ils en ont perdu plus de quatre mille, et bien sûr, nous avions beaucoup de travail, on ne s’ennuyait pas. Maintenant, notre groupe est parfois qualifié du mot désagréable « chasseur de trophées », mais au Vietnam, nous étions plus connus sous le nom de "Division sauvage". Division c’est un bien grand mot… Nous n'étions qu’une poignée d’hommes, mais il nous arrivait constamment quelque chose : il y avait toujours quelque chose qui explosait ou prenait feu. Tout le piquant de la situation était que nous étions "basés" dans une petite pièce du bâtiment de notre ambassade à Hanoi, et ce petit manège était bien visible. Alors quand nous rentrions d’une énième expédition sales, fatigués et mal rasés avec notre butin, tout le monde s’efforçait de garder ses distances avec nous, au cas où ».
Lieutenant principal Vadim Chtcherbakov, contrôleur d’opérations aériennes de la 88e division du 274e régiment d’engins sol-air de l’ANV : « Je ne combattais pas l'avion, mais celui qui le pilotait... En regardant mes indicateurs, j’avais l’impression de voir son visage, de lui souffler dans la nuque, de sentir tous ses mouvements, de ressentir intérieurement ce qu'il faisait en ce moment-même dans sa cabine scellée, survolant le tapis vert de la jungle, et j’attendais... J’attendais que ses nerfs lâchent ou un excès de confiance en soi. Et quand cela arrivait - c'est fini ! Mon garçon, tu es à moi ! Feu ! Et... rendez-vous au sol (si tu as la chance de te catapulter de l’avion en flammes, si ton groupe de secours est le premier sur place, et pas des paysans vietnamiens avec des houes... bonne chance...). Et rien de personnel. Ce n'est pas ton jour aujourd'hui. Et peut-être qu’un jour, la chance tournera pour moi aussi... »
Nikolaï Kolesnik, commandant d’un système de tir - commandant adjoint de section de la batterie du 236e, puis du 285e régiment d’engins sol-air de l’ANV : « Tous les traducteurs étaient des officiers de l’ANV, et leur grade aidait grandement à résoudre certains problèmes. Par conséquent, les traducteurs du régiment étaient des personnalités éminentes et respectées. Nos commandants et les commandants vietnamiens prenaient en compte leur opinion. En plus des difficultés purement techniques de traduction, ils devaient résoudre de manière indépendante de nombreux problèmes d'organisation du processus éducatif, et plus tard – assurer la coordination et l'interaction des divisions et des services du régiment. Ils ont mis toutes leurs compétences et leur force dans ce travail complexe ».
Viatcheslav Kanaïev, commandant de la 1ère batterie de la 1ère division du 5ème régiment d’engins sol-air de l’ANV : « Une nuit, la division s’est réveillée au son de l’alarme et a détecté une cible s'approchant du site. Les conditions de tir étaient idéales - altitude optimale (6 km), faible vitesse, mais c'est précisément ce qui a alerté Alexandre Gladychev (commandant de la 1ère division). Il n'a pas donné l'ordre d'ouvrir le feu et, après quelques secondes, il s'est avéré que c'était un avion postal de fabrication chinoise qui n'était pas équipé de système d'identification. L’intuition et l’expérience du commandant ont sauvé l’avion et l’équipage d’une mort certaine ».
Taouno Piattoïev, supérieur du groupe régimentaire des 236e et 275e régiments d’engins sol-air de l’ANV : « Les Vietnamiens nous avertissaient constamment du danger d'une attaque par un ennemi terrestre (on ne pouvait aller nulle part sans garde et seul, surtout lorsqu'on travaillait dans des positions de combat). Le matin du 25 décembre, un membre la 67e division a observé un lâcher de trois groupes de parachutistes dans les profondeurs du territoire le long de la route n°20. Le risque d'attaque était donc réel et les attaquants ne seraient évidemment pas des amateurs. Comment nous, experts militaires soviétiques, pourrions-nous nous opposer à eux ? Nous avons travaillé sans armes légères et sans aucun document ».
Alexeï Belov, supérieur du groupe régimentaire de spécialistes militaires du 278e régiment d’engins sol-air de l’ANV : « Par un jour clair, un avion de reconnaissance et d’attaque embarqué AT-5C Vigilante évoluait au-dessus de nous. Le groupe travaillait au sein de la 92e division, et j'étais en train de préparer un rapport, je suis sorti pour me dégourdir les jambes et à ce moment j'ai aperçu l’avion de reconnaissance. Cette nuit-là, nous avons changé d'emplacement et le lendemain, cinq bombes explosives et cinq cassettes de bombes à fragmentation ont été largués sur nos logements abandonnés ».
Iouri Demtchenko, commandant de batterie de la 82e division du 238e régiment d’engins sol-air de l’ANV : « À ce moment, de façon inattendue depuis l'autre côté - de l'ouest – a retenti un son ascendant comme un coup de tonnerre, et quelques secondes plus tard - trois puissantes explosions derrière la cabine. Je me suis tourné dans cette direction et j'ai vu deux nuages noirs s’élevant au-dessus de nos tentes et mon missile voler le haut depuis la batterie N°1, avant d’exploser, ainsi que trois avions américains faisant demi-tour à gauche. Quelques secondes plus tard, des tirs ont retenti et plusieurs autres explosions, et nos moteurs diesel se sont immédiatement éteints. J'ai vu des soldats et des officiers sauter des cabines en courant vers l'abri le plus proche. Quelqu'un m'a poussé dans cette direction. Bientôt, l’adjudant Nikolaïenko a porté dans ses bras un soldat vietnamien blessé à la poitrine dans la cachette, puis le caporal Martyntchouk blessé à l’épaule a accouru. Soudain, tout s'est calmé et j'ai sauté de ma cachette. La première chose que j'ai vue était le camouflage en feu des cabines, et le compartiment des missiles du sixième lanceur qui brûlait. Le lanceur N°1, d'où la roquette avait été arrachée par l’onde de choc du missile, était dans sa position initiale, les cinq autres lance-roquettes hors tension étaient quant à eux figés dans la même direction ».
Edouard Lekanov, commandant de l’unité de lanceurs du système de missiles antiaériens Volkhov : « En juillet 1966, nous étions près de Hanoi, nous gardions le plus grand pont d'Asie du Sud-Est. Sur une batterie voisine, une unité vietnamienne a été chargée de réaliser un tir indépendamment, et les deux missiles ont raté la cible. Le "Phantom" a fait demi-tour pour attaquer. Une bombe au napalm a explosé près de notre batterie et quelques gouttes ont touché ma cuisse. Il me semble que j'ai réussi à éteindre avec de la terre la résine brûlante qui coulait le long de ma jambe. Les danti (« camarade » en vietnamien) ont immédiatement accouru, et soigné ma blessure. Dans notre batterie, j'étais le seul blessé, mais dans l’unité qui avait manqué le tir tout le monde était mort. Après cet incident, les Vietnamiens ont été longtemps écartés des lancements indépendants : les affaires militaires doivent être apprises comme il se doit ! ».
Vladimir Balakine, en tant que membre du petit navire de reconnaissance Ampermetr, a participé à des campagnes dans la zone de combat de l'US Air Force et de l’US Navy dans l'océan Pacifique : « Un ou deux porte-hélicoptères de l'US Navy étaient au large des côtes du Sud-Vietnam. Nous avons informé de l'endroit où ils se trouvaient, enregistrant les négociations entre les navires et celles des pilotes par radio. Il y avait d'autres navires paramilitaires et civils dans notre champ de vision. Je me souviens de cas d’entrée dans les ports du Nord-Vietnam de navires soviétiques avec des armes, du matériel et de la nourriture à bord. Les pilotes américains, en règle générale, ne les bombardaient pas, mais détruisaient les jonques vietnamiennes qui transportaient l'équipement, naviguant entre le navire soviétique et la côte. Si je me souviens bien, il n'y a eu qu'un seul cas où les Américains ont jeté un bloc métallique d'un avion qui, tombant d'une certaine hauteur, a percé le pont et le bord d'un navire soviétique sous la ligne de flottaison. Après avoir colmaté le trou et rapiécé les dommages à la hâte, le navire a déchargé de toute urgence ses marchandises et est parti en réparation ».
Nous exprimons notre gratitude à l'Association interrégionale des vétérans du Vietnam et au président de son Présidium Nikolaï Kolesnik pour le matériel fourni.
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