Dans une galaxie très très lointaine, le khan (chef tataro-mongol) Koutchoum aurait été l’incarnation de Dark Vador. Impitoyable, rusé et insaisissable, cet homme n'a jamais été battu ou capturé, même après avoir perdu son frère, deux fils et deux petits-fils dans une attaque russe dévastatrice. S’il est celui qui a involontairement motivé l'exploration russe de la Sibérie, c’est aussi lui qui a causé la mort d’Ermak, le premier conquérant de cette vaste région.
Un homme sans passé
« Très courageux, et humain, et remarquable, plein de sagesse, au visage plat, à la barbe noire, de taille moyenne, robuste et aux épaules larges », telle est la seule description de l'apparence physique d’Ermak dont nous disposons, celle de Semion Remezov (1642-1721) de Tobolsk, dont le père connaissait les camarades d’Ermak, qui avaient conquis la Sibérie et décrit leur célèbre ataman (chef cosaque). C’est en réalité à peu près tout ce que l'on sait d’Ermak. Même son vrai nom est encore débattu, et ni son lieu ni sa date de naissance exacts ne sont connus. L’on s’accorde toutefois à dire qu'il est né vers 1532 dans la région d'Arkhangelsk (Nord de la Russie).
LÉGENDE : Un vieux conte ouralien affirme qu’Ermak était un sorcier possédant des lutins en guise de serviteurs : « Quand il n'avait pas assez d'hommes, il les utilisait ».
VÉRITÉ : Compte tenu des prouesses d’Ermak et de ses camarades, qui ont conquis le Khanat (territoire tataro-mongol) de Sibérie avec seulement 500 hommes, le folklore russe lui attribue souvent des capacités surnaturelles.
À noter que si Ermak est qualifié de cosaque, cela n'implique pas sa nationalité ou son lieu de naissance. Au XVIIe siècle en Russie, les personnes en charge de la protection de la périphérie du pays, mais qui n'étaient pas nobles et ne servaient pas dans l'armée, étaient appelées de cette façon. Ce terme ne désignait donc à l'époque pas encore un peuple distinct, résidant aujourd'hui dans le Sud de la Russie.
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Aussi, Ermak était un commandant de campagne expérimenté : pendant la guerre de Livonie, il a été à la tête d’une centaine de cosaques. En 1581-1582, il a défendu Pskov et pris part à plusieurs autres batailles ; mais en 1582, il a mis fin à son service dans l'armée du tsar de Moscou et s’est dirigé vers l'Est, en direction de l'Oural. Pourquoi ?
Au nom du sel
En 1563, Koutchoum a tué Ediguer, le khan de Sibérie, et conquit ses terres, poussant les Tatars locaux à le considérer comme un conquérant étranger. Le règne de Koutchoum s’est ensuite distingué par sa cruauté et son oppression, avec de nombreuses exécutions et de lourdes taxes. Contrairement à Ediguer, Koutchoum refusait en outre de payer un tribut au tsar russe Ivan le Terrible.
Son armée perturbait également régulièrement les affaires des Stroganov, famille de riches marchands qui faisaient fortune dans l’extraction de sel et possédaient plusieurs mines de cette denrée dans l'Oural. Les Tatars de Koutchoum attaquant et pillant leurs villages et faisant prisonniers de nombreux Russes, les Stroganov ont alors engagé Ermak et ses compagnons cosaques pour protéger leurs terres. Ermak s’est ainsi présenté avec 540 hommes et, à la fin de l’an 1582, a commencé son grand voyage depuis la ville d'Oriol, résidence des Stroganov dans l'Oural.
Les troupes d’Ermak voyageaient dans des bateaux de guerre, remplis de munitions et de nourriture. En traversant les forêts, elles se frayaient un chemin à la hache, en portant leurs embarcations sur leurs épaules. C’est de cette manière qu’elles n’ont pas tardé à traverser l'Oural et à pénétrer dans le Khanat de Sibérie.
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Simultanément, les cosaques avaient à repousser les assauts des forces de Koutchoum, y compris ceux de Mametkoul, son neveu et son commandant militaire en chef. Le groupe d’Ermak était cependant si fort qu'il est aisément parvenu à écraser les Tatars lents et mal armés. Lors de la bataille du Cap de Tchouvachie, ses armes à feu ont d’ailleurs fait fuir de terreur les Tatars, qui voyaient de tels engins pour la première fois. Mametkoul a alors de peu échappé à la capture, et Koutchoum lui-même a dû fuir sa capitale, Kachlyk.
Mort du gagnant
C'est un lieu commun de dire qu'Ivan le Terrible lui-même a envoyé Ermak à la conquête du Khanat de Sibérie. Pourtant, c’est de la panique qu’a ressenti le tsar en apprenant que cette mission avait été confiée à l’ataman et ses troupes. En effet, la guerre de Livonie se poursuivait toujours, et pas en faveur de Moscou, si bien qu'une guerre avec Koutchoum, que les actions d’Ermak auraient pu déclencher, aurait été l'une des pires choses qui pouvaient arriver à la Russie.
Ivan a donc fait parvenir une missive aux Stroganov pour leur demander de rappeler immédiatement Ermak ; mais à ce moment précis, ce dernier a capturé Kachlyk et envoyé son compagnon Ivan Koltso auprès du souverain afin de l’informer de ce haut fait. Dès qu'il a appris que Kachlyk était tombée, Ivan le Terrible s'est réjoui et a expédié diverses récompenses à Ermark, accompagnées toutefois de l'ordre de revenir sur le champ en terres russes.
LÉGENDE : En apprenant la conquête de la Sibérie par Ermak, Ivan le Terrible aurait été ravi et lui aurait envoyé deux coûteuses cottes de mailles lourdes.
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VÉRITÉ : Ivan IV a récompensé Ermak, mais lui a envoyé de l'argent ainsi qu’un habit onéreux, pas de cotte de mailles.
Cependant, Ermak ne reviendra jamais. Au fil du temps, le nombre de ses hommes, déjà initialement faible, s’était fortement réduit. Le 6 août 1585, lui et ses 50 soldats restants étaient en mission de reconnaissance. Endormis, ils ont soudainement été la proie d’un assaut tatar et Ermak a été tué dans cette escarmouche. Les quelques rares cosaques survivants sont retournés en Russie.
Une disparition portée en légende
L’une des fables portant sur le décès de ce héros raconte que l'armure de cotte de mailles qu'Ivan le Terrible aurait envoyée à Ermak (ce qui n’est pas le cas) serait devenue la cause de sa mort. Lors de cette attaque tatare sur son camp, il se serait en effet enfui, nageant vers le bateau de ses camarades, mais se serait noyé en raison du poids de cet attribut.
Le corps d’Ermak aurait par la suite été retrouvé par un pêcheur tatar quelques jours après cela. Des Tatars de Sibérie se seraient alors rassemblés pour observer le corps féroce de l'ataman et l’auraient percé de leurs lances. Ils auraient ainsi constaté qu’il saignait comme s'il était vivant. De plus, sa dépouille ne pourrissait soi-disant pas. Les Tatars auraient donc été stupéfaits et aurait honoré le défunt tel leur souverain, l’enterrant dans le cadre d’une cérémonie.
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VÉRITÉ : En réalité, les circonstances précises de la mort d’Ermak sont inconnues. L’emplacement de sa tombe, si jamais il y en a eu une, l’est également.
En 1598, l'armée du khan Koutchoum a finalement été définitivement écrasée par le voïvode (titre de noblesse qui désignait autrefois les commandants d'une région militaire) russe Andreï Voïeïkov. Le frère, les fils et les petits-fils de Koutchoum ont alors été tués, mais le chef lui-même a réussi à fuir dans les steppes. Aucunes données ne sont disponibles quant aux circonstances de sa mort ultérieure.
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