Ces bornes (appelées verstoviye stolbi, en russe), marquant les distances entre les villes, sont apparues le long des routes les plus importantes de la Russie au XVIe siècle. En pierre ou en bois, elles indiquaient la distance en « verstes », l’ancienne mesure russe, correspondant à 1067 m. Ces bornes existaient en Russie jusqu'en 1918. Les bolcheviks les ont brisées en tant que symboles de l'autocratie, puisque presque toutes portaient un aigle à deux têtes sur le dessus. De nos jours, il n'en reste que peu dans tout le pays. Comment donc ces bornes se sont-elles retrouvées en France ?
Après la victoire définitive sur Napoléon et la restauration de la monarchie en France, le roi Louis XVIII se tourna vers les souverains des pays victorieux en leur demandant de laisser une partie de leurs troupes en France pour assurer l'ordre. La demande du roi étant satisfaite, le corps d'occupation russe (36 334 personnes, y compris des non-militaires) sous le commandement du comte Mikhaïl Vorontsov, fait partie de l’armée alliée qui compte 150 000 hommes. Les Anglais occupent les départements du Nord, les Autrichiens sont dans l'Est, les Prussiens dans la Meuse et les Russes dans les Ardennes.
La zone d'occupation russe s'étend le long de la frontière nord de la France, sur un territoire de 120 kilomètres de long et de 20 à 6 kilomètres de large avec l’état-major à Maubeuge.
Le comte Fédor Rostopchine (Gouverneur général de Moscou de 1812 à 1814), venu à Maubeuge pendant l’été 1818, a découvert une ville « aussi russe que Kline ou Kolomna » : on y trouve partout le kvass, le sbiten, les poêles russes, même les injures sont russes. Les drojki (léger équipage ouvert à quatre roues sur ressorts - ndr) se baladent dans les rues, on voit et entend partout des chants et des danses russes. Même les enseignes des commerçants sont écrits en russe : « Quant au commandant, écrivait Rostopchine, les siens et les Français le vénèrent, car, quoique strict, il est juste et accessible ».
Un autre auteur, le célèbre mémorialiste russe Philippe Weigel, rapporte : « Dans un petit village appelé Briqueté, j'ai vu des cosaques ; mon cœur bondit involontairement en moi: je suis entré dans les possessions russes. Puis vint un pilier de bois, peint avec de la peinture blanche et noire, avec des rayures rouges. Je n'ai pas tout de suite compris ce que c'était et demandai au cocher. +Oui, ce sont ces diables maudits les Russes qui nous ont installé cela+, répondit-il avec dépit, me prenant pour un Français. On y trouvait écrites en russe les distances jusqu’aux villes, et, en comptant les verstes, j’ai continué mon chemin comme sur la route de Moscou ».
À l’initiative du compte Vorontsov, des travaux cartographiques à grande échelle ont été menés sur les territoires occupés par les Russes. A chaques exercice, revues et manœuvres des troupes, des cartes topographiques, plans, schémas et autres documents nécessaires ont été préparés soigneusement. Une étude topographique instrumentale des zones des départements des Ardennes et de la Marne a été réalisée, et le territoire compris entre l'Escaut et la Meuse a également été cartographié. Les routes ont été remesurées en verstes, l'unité russe de mesure de la distance, au lieu des lieues, des piliers en bois ont été placés, marquant les verstes le long des routes, et on installa des bornes de pierre aux intersections, indiquant la distance séparant de Maubeuge, où était implanté le l’État-major.
Quelque-unes de ces bornes ont survécu le long de certains itinéraires qui traversent les Ardennes, le Nord et la Thiérache, utilisés par les troupes russes pendant l’occupation de 1816 à 1818. Or, la disparition de certaines d’entre elles ces dernières années (c’est le cas des trois bornes russes de Montigny-sur-Meuse) a été constatée. Aujourd’hui les historiens français réunis par Bruno Ballery, le président de de l’A.S.P.H.N du sud de l'Aisne, travaillent pour attirer l’attention de l’Etat français sur la nécessité de sauvegarder ces bornes. Afin d’empêcher d’effacer définitivement ces traces matérielles de la présence des troupes russes dans la région, une pétition a été lancée sur la plateforme www.change.org (permettant aux personnes venues de tous horizons de lancer des campagnes pour mobiliser des sympathisants et travailler avec les décideurs pour créer des solutions).
« La sauvegarde et la mise en valeur de ce patrimoine, témoin de l’occupation russe de 1816 à 1818, est une question inéluctable, ces trésors de notre patrimoine mériteraient de bénéficier d’une inscription ou d’un classement aux monuments historiques.
L’avenir se nourrit du passé, ces monuments doivent être classés comme monuments historiques avec toute la sollicitude que lui mérite son importance dans l’histoire de notre région.
L’indifférence, l’oubli, menace ces monuments. L’élément culturel, exceptionnel et considérable qu’ils constituent dans notre patrimoine régional ne doit pas disparaître. La sauvegarde des monuments de notre Histoire constitue un apport majeur en tourisme qui, de plus en plus, a une vocation culturelle.
Voilà pourquoi nous sollicitons cette inscription, dans l’espoir que, si notre demande est satisfaite, ces vestiges du patrimoine historique national pourront être sauvés », stipule le document.
Pour appuyer cette demande de classement, 200 signatures minimum sont nécessaires. Sur sa page Facebook, Bruno Ballery écrit le 31 novembre : « Merci au 103 soutiens. Cette pétition continue, nous devons impérativement sauver ces bornes russes de distances, à l'aube d'une nouvelle découverte, ne laissons pas l'oubli remporter cette victoire. Avec 200 soutiens, la pétition aura plus de poids. Je compte sur nos ami(e)s Russes ».